Pour la Journée internationale du droit à la vérité, le Liban célèbre l’impunité. Depuis 1970, les enquêtes sur les assassinats politiques et sur les crimes d’État demeurent inabouties. La dernière du genre est celle relative à l’assassinat de l’activiste et journaliste, Lokman Slim, tué le 4 février 2021 au Liban-Sud, région sous contrôle du Hezbollah. Avant lui, toute une ville, Beyrouth, a été meurtrie par une explosion dont on ignore, deux ans et demi plus tard, les tenants et les aboutissants.

Sur la déflagration au port de la capitale le 4 août 2020, qui a pulvérisé plusieurs quartiers de la ville et ôté la vie à des centaines de Libanais et de non-Libanais, Sarah Copland a beaucoup à dire. D’origine australienne, elle est la maman d’Isaac, plus jeune victime ayant péri ce jour-là. Il était à peine âgé de deux ans. C’est en sa mémoire qu’une balançoire a été installée dans le jardin du musée Sursock par l’ambassade d’Australie au Liban. Une cérémonie avait été organisée pour l’occasion le 4 septembre 2021. Il faut dire que ce pays d’Océanie a pris le commandement du groupement de 38 pays ayant exigé, lors de la 52e session du Conseil des droits de l’homme (CDH), le 7 mars dernier, une " enquête rapide, impartiale, crédible et transparente " sur l’explosion au port de Beyrouth.

Une initiative qui tient à cœur pour la maman qui, sans relâche, a multiplié les activités de lobbying avec le collectif des victimes du 4 août. " Je suis fière de dire que mon pays n’est pas un simple signataire, mais chef de file en la matière ", confie-t-elle à Ici Beyrouth. " Il a fallu deux ans et demi de travail acharné et de persistance pour parvenir à là où l’on en est aujourd’hui ", a-t-elle poursuivi.

Elle révèle que chaque membre du collectif a passé de longues heures à rédiger des lettres, tenir des réunions, prendre la parole dans des panels, avant de faire en sorte que cette déclaration commune soit lue par les signataires du CDH. " Nous continuerons de nous battre pour la vérité ", martèle-t-elle avant d’annoncer qu’elle sera reçue vendredi par le ministre australien des Affaires étrangères. Un entretien qui s’inscrit dans le cadre du lobbying qu’elle mène.

À la question de savoir si l’on peut espérer qu’une résolution portant sur la création d’une mission d’établissements des faits sera adoptée lors de la prochaine session du CDH en juin, Mme Copland estime que les États signataires semblent vouloir accorder davantage de temps au gouvernement libanais pour qu’il agisse dans le sens d’une quête de la vérité. " Cela pourrait cependant être probable au mois de septembre ", estime-t-elle.

" L’essentiel est de ne pas baisser les bras ", insiste Melkar Khoury, expert en développement humanitaire et directeur d’une entreprise de recherche et de consulting. " Lorsqu’on s’adresse à la communauté internationale, il faut savoir bien tenir son discours et choisir le bon timing pour un rendement efficace ", affirme-t-il. Et de préciser que le droit à la vérité est " inhérent à tout individu ". " C’est autour de ce principe que tournent, au regard de l’International, les enquêtes liées à des affaires comme celle de l’explosion au port ", ajoute Melkar Khoury. Sur le plan humanitaire, le respect de ce droit est indispensable tant sur le plan individuel que collectif puisqu’il permet aux victimes et à leurs proches de faire le deuil des faits traumatisants.

Se disant pessimiste quant aux perspectives de l’enquête libanaise, Mme Copland assure qu’elle continuera d’exhorter le gouvernement australien à poursuive ce dans quoi il s’est engagé.

En attendant que justice soit faite, il serait utile de rappeler que la culture de l’impunité s’est exacerbée au lendemain de la guerre civile libanaise, et notamment avec l’émergence d’un système policier et sécuritaire en appui à l’occupation syrienne du pays. En 1991, une loi avait vu le jour. Celle de l’amnistie qui avait exempté tous les auteurs des crimes et des délits commis durant la guerre civile et qui n’a fait qu’aggraver le problème de l’impunité. Depuis, et à quelques rares exceptions près, les responsables des assassinats politiques au Liban n’ont jamais été jugés.