L’annonce par le ministre sortant des Transports, Ali Hamiyé, de sa décision de renoncer au contrat de gré à gré à l’Aéroport international de Beyrouth pourrait paver la voie à un mécanisme plus transparent des adjudications, et à un plan directeur de l’aviation civile prévoyant éventuellement de nouveaux aéroports.

Entourant Ali Hamiyé, de gauche à droite, les députés Abbas Moussaoui, Sajih Attiyé, et Mohammad Khawaja. Photo Ali Fawaz

En annonçant qu’il renonçait au contrat de gré à gré pour la construction d’un second terminal à l’Aéroport international de Beyrouth, et qu’il " considérait même que ce marché n’a jamais existé ", le ministre sortant des Travaux publics et des Transports, Ali Hamiyé, a voulu mettre fin à la vive polémique qui a éclaté à cet égard. Si sa démarche a été applaudie par certains députés, elle a été accueillie avec scepticisme par d’autres, qui réclament toujours de lire le contrat en question, et de prendre connaissance du rapport que doit établir la Cour des comptes à son sujet.

En tout cas, cette affaire constitue en quelque sorte un tournant au niveau des adjudications dans le secteur public, la plupart des blocs insistant sur la nécessité dorénavant de respecter les principes de transparence, de concurrence et de contrôle préalable dans l’attribution de tout contrat. Elle a également abouti à une recommandation d’établir un plan directeur pour le secteur de l’aviation civile. C’est en fonction de ce plan que toute décision d’élargir l’AIB ou d’ouvrir des aéroports dans d’autres régions libanaises serait prise.

On rappelle que l’annonce il y a quelques jours de la signature d’un contrat de gré à gré pour la construction d’un nouveau terminal à l’AIB, qui n’avait pas été soumis pour approbation à l’Autorité de régulation des marchés publics ni à la Cour des comptes, avait soulevé un tollé. D’une valeur de 122 millions de dollars, le contrat, présenté par un gouvernement d’expédition des affaires courantes, permettait à la compagnie irlandaise Dublin Airport Authority International (daa International), de bénéficier jusqu’en 2052 des profits tirés du terminal, prévu de démarrer en 2027.

" A la demande du Hezbollah "

En raison de l’importance de ce dossier, près d’une quarantaine de députés ont assisté jeudi à la réunion de la commission parlementaire des Travaux publics, qui s’est tenue dans l’hémicycle sous la présidence de Sajih Attiyé, et en présence de M. Hamiyé, du directeur de l’Autorité de régulation des marchés publics, Jean Elliyé, et du président de la Cour des comptes Mohammad Badran.

Juste avant d’entrer dans l’hémicycle, M. Hamiyé a tenu un point de presse, annoncé peu auparavant. Entouré des présidents des commissions parlementaires des Travaux publics Sajih Attiyé, et des Télécommunications Abbas Moussaoui (membre du bloc du Hezbollah), ainsi que du rapporteur de la commission des Travaux publics Mohammed Khawaja (mouvement Amal), il a annoncé sa décision, en moins d’une minute.

Il a fait la déclaration suivante: " En dépit de l’importance du projet; en raison de la polémique autour du contrat d’établissement du nouveau terminal à l’aéroport de Beyrouth sur lequel il s’est avéré qu’il y a deux points de vue juridiques; parce que le projet a pris une portée différente de celle que nous souhaitions; à la demande de la partie que j’ai l’honneur de représenter au gouvernement, à savoir le Hezbollah; et pour trancher le débat, j’annonce courageusement que je renonce au contrat et je considère même qu’il n’a jamais existé ".

Il convient de noter que M. Hamiyé a ensuite publié un tweet qui reprend mot à mot sa déclaration au Parlement, mais dont a été retirée la partie relative au Hezbollah.

Indirectement, le ministre a ainsi reconnu que s’il s’est rétracté, ce n’est pas sur base d’une décision du gouvernement dont il fait partie, ou même du Premier ministre sortant Najib Mikati, favorable au projet, mais à la demande de la formation dont il relève.

Lors du point de presse, M. Attiyé, membre du bloc de la Modération nationale (qui regroupe des députés du Liban-Nord et du Akkar), a félicité M. Hamiyé pour sa décision. Il l’a également " remercié pour sa sagesse et son respect du Parlement en tant que pouvoir de contrôle ", et a loué " sa modestie et sa sagesse, surtout dans ces circonstances difficiles ".

Un plan directeur

Le député Sajih Attiyé. Photo Ali Fawaz

Après la réunion de la commission, M. Attiyé a indiqué que cette affaire constitue " un tournant dans le processus de rectification du tir des adjudications, non seulement au ministère des Travaux publics, mais de la part du gouvernement tout entier ".

Il a précisé que si M. Hamiyé " a renoncé au mécanisme d’application du contrat, ce projet reste en vigueur mais sera soumis à des mécanismes bien définis dans le cadre d’un plan directeur général ".

M. Attiyé a ensuite énuméré les recommandations de la commission, dont celle de " mettre un terme au mécanisme d’adjudication actuel, et de n’attribuer aucun contrat avant d’avoir obtenu l’aval de l’Autorité de régulation des marchés publics et de la Cour des comptes ".

Les députés ont également exigé que toute adjudication soit précédée d’un contrôle préalable (par les organismes concernés) et se fasse en toute transparence.

Au niveau du nouveau terminal lui-même, la commission a estimé que sa nécessité devait être décidée dans le cadre d’un " plan directeur de l’aviation civile au Liban ", qui serait établi par une commission parlementaire, selon M. Attiyé. Sur base de ce plan, des propositions d’aménagement d’un ou de plusieurs aéroports pourraient être avancées, a-t-il précisé.

Parmi les autres recommandations aussi: mettre fin au monopole des compagnies aériennes privées au Liban et réactiver le Conseil pour la privatisation.

" Nous attendons que Cour des comptes nous remette son dossier sur le Terminal 2 ", a déclaré M. Attiyé, qui a précisé que toute nouvelle adjudication attend l’élection d’un président de la République et la formation d’un nouveau gouvernement.

Avant cette conférence de presse, plusieurs députés ont exprimé des positions allant dans le même sens. C’est notamment le cas du président de la commission de l’Administration et de la Justice, Georges Adwan (Forces libanaises), et des députés Ibrahim Mneimné, Melhem Khalaf et Firas Hamdane (Changement), qui ont insisté sur l’importance de la transparence et de la concurrence dans les adjudications, et ont appelé à l’adoption d’un plan directeur de l’aviation civile.

Pour sa part, le député Sélim Sayegh (Kataëb), qui avait demandé la formation d’une commission d’enquête parlementaire sur ce contrat, a appelé à l’annulation en bonne et due forme du document en question, soulignant l’importance de la transparence.