Même si le ministre sortant de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui, a convoqué les électeurs pour les élections municipales, à partir du 7 mai prochain, la tenue du scrutin n’est pas acquise et ses chances sont de l’ordre de 50 pour cent, à en croire des sources politiques. Au cas où les élections n’auraient pas lieu, le mandat des moukhtars et des municipalités serait probablement prorogé, à la faveur d’une séance parlementaire.

Les Libanais risquent-ils de se retrouver sans moukhtars et sans conseils municipaux fonctionnels lorsque le mandat de ces "maires" et municipalités actuels expirera le 31 mai prochain, dans moins de deux mois? L’annonce par le ministre sortant de l’Intérieur Bassam Maoulaoui, lundi, de la convocation des collèges électoraux pour le scrutin municipal aurait dû rassurer ceux qui craignent une nouvelle vacance au niveau des institutions de l’État, mais cette démarche ne confirme pas la tenue du scrutin. Selon des sources politiques, les chances que ces élections aient lieu dans les délais sont de l’ordre de 50 pour cent.

Le ministre de l’Intérieur a accompli son devoir en convoquant les collèges électoraux pour le scrutin qui débutera à partir du 7 mai prochain, puis en fixant les délais et modalités de candidature. Sa décision intervient alors que le gouvernement est soumis à de nombreuses pressions européennes et internationales en vue du respect de cette échéance.

Néanmoins, plusieurs blocs parlementaires et députés, même parmi ceux qui sont favorables à ces élections, ne sont pas convaincus de la possibilité de les tenir dans les circonstances actuelles, en un si court laps de temps.

Dans un tel cas de figure, la seule solution pour garder les municipalités et les moukhtars opérationnels serait de proroger une nouvelle fois le mandat des " maires " et des municipalités actuels, élus en 2016, en votant une loi portant une telle mesure. Devant le refus des blocs souverainistes de participer à toute séance législative avant l’élection d’un nouveau chef de l’État, celle-ci pourrait se tenir en leur absence. Le quorum serait assuré par les blocs du 8 Mars, mais également par les députés du Courant patriotique libre, qui fourniraient par la même occasion la couverture chrétienne nécessaire à une telle démarche, et sa "conformité au Pacte national".

Le financement

Si " l’organisation administrative " a été finalisée, selon M. Maoulaoui, le financement du scrutin, estimé à près de 9 millions de dollars, pose un grand problème. Les députés sont divisés en deux groupes sur cette question, qui était d’ailleurs à l’origine de la vive altercation qui a éclaté mardi dernier durant la réunion des commissions parlementaires mixtes, entre des députés souverainistes et du Changement d’une part, et leurs collègues du 8 Mars, et plus particulièrement du mouvement Amal, de l’autre.

Les députés des Forces libanaises, des Kataëb et du Parti socialiste progressiste ainsi que plusieurs élus du Changement, sont en faveur du financement des municipales en ayant recours aux droits de tirage spéciaux (DTS), versés au Liban en 2021 par le Fonds Monétaire International, sur base des quote-parts que le FMI attribue à ses 189 États membres. Selon ces députés, le gouvernement peut puiser dans ces DTS sans en revenir à la Chambre, comme il le fait depuis deux ans pour certaines dépenses, notamment afin de subventionner le blé ou des médicaments.

Ces blocs soulignent que le Liban avait obtenu près d’un milliard de dollars du FMI, dont il reste moins de 400 millions. "La somme de neuf millions de dollars est bien modeste face à la nécessité de respecter l’échéance des municipales", selon une source proche des Forces libanaises.

Les blocs du 8 Mars préfèrent, eux, que le financement des municipales se fasse à travers un texte de loi voté en séance plénière. Le député Kassem Hashem (bloc du président de la Chambre Nabih Berry) a d’ailleurs présenté une proposition de loi prévoyant cette mesure. Elle a été cependant rejetée par les députés souverainistes et du Changement, opposés à toute législation avant l’élection d’un nouveau chef de l’État, prioritaire à leurs yeux.

Mais le financement est-il le principal problème, ou n’est-ce qu’un prétexte pour proroger les mandats des conseils municipaux et des moukhtars actuels?

Les FL, les Kataëb, et le PSP favorables au scrutin

Certains partis insistent sur l’organisation de ces élections dans les délais. Il s’agit notamment des Forces libanaises, qui ne perdent pas une occasion de réclamer le respect de cette échéance institutionnelle et son financement à travers les DTS, "dont l’État a déjà dépensé 783 millions de dollars", selon une source proche des FL. Si l’objectif est de respecter toutes les échéances, les milieux du parti de Samir Geagea considèrent également que le scrutin serait à leur avantage, tout comme les élections législatives l’ont été.

Du côté des Kataëb, on est "prêt" à participer au scrutin, mais on attend que le ministre de l’Intérieur confirme que toutes les conditions sont remplies, notamment au niveau des fonctionnaires et enseignants qui seront mobilisés, et qui sont actuellement en grève.

Une source proche du parti note dans ce cadre que la non-tenue des élections serait encore plus grave que leur organisation dans des circonstances difficiles, "car ce serait le chaos".

On rappelle dans ce cadre qu’en vertu de la loi sur les municipalités, si le mandat des conseils municipaux ou des moukhtars expire, ils perdent le droit d’exercer leur fonction, et leur rôle devient tributaire du caïmacan et du mohafez concerné.

Le Parti socialiste progressiste est également en faveur de la tenue des municipales et estime que le gouvernement n’a aucune excuse valable pour ne pas les organiser, surtout à la lumière de l’insistance internationale et européenne à respecter cette échéance.

"Les institutions s’effondrent l’une après l’autre, et les municipales doivent absolument avoir lieu", indique une source proche du parti. Le PSP, lui aussi, estime que le financement doit provenir des DTS, "dont des millions ont été dépensés sur le secteur de l’électricité sans que les citoyens n’en profitent".

Quant aux résultats politiques, la source note qu’ils sont limités à certaines grandes villes, alors que partout ailleurs, "la bataille est d’ordre familial".

Le 8 Mars peu enthousiaste

En revanche, d’autres partis, notamment le Hezbollah et le mouvement Amal, ne semblent pas enthousiastes envers la tenue de ces élections. "Comment assurer les frais de 28 000 bureaux de vote, sachant que les enseignants, qui jouent un grand rôle le jour des élections, sont actuellement en grève, et que le transport et la nourriture de chacun d’entre eux coutera au moins dix millions de livres libanaises?", se demande une source parlementaire proche du Hezbollah. "Si un seul chef de bureau de vote manque à l’appel, et que les chefs des deux autres bureaux sont présents, dans un village qui en compte trois, que se passera-t-il ", ajoute la source, qui souligne son "inquiétude pour la démocratie libanaise à ce moment-là".

Et si les arguments logistiques ne suffisent pas, les milieux du Hezbollah brandissent celui de la parité. "Dans les circonstances actuelles, qui peut garantir la parité islamo-chrétienne à Beyrouth, ou à Mina (Tripoli) ? Qui peut même garantir une représentation chrétienne à Tripoli", avancent-ils.

On rappelle dans ce cadre que le conseil municipal de Beyrouth, qui compte 24 membres, est actuellement composé de 12 chrétiens et 12 musulmans. Ils faisaient partie d’une même liste, appuyée en 2016 par les principaux partis politiques, qui avait été élue dans sa totalité.

Du côté du mouvement Amal, des sources parlementaires se disent en faveur des municipales "si les circonstances sont propices", mais notent que cela ne semble pas être le cas. Selon ces sources, le financement par le recours aux DTS est acceptable, à condition que le gouvernement effectue cette démarche sans passer par le Parlement.

À en croire les sources du Hezbollah, tout comme celles du mouvement Amal, les deux formations n’ont aucune inquiétude quant au résultat des élections dans les régions où elles sont présentes. Toutefois, des observateurs relèvent que ces deux partis, qui contrôlent pour le moment la plupart des municipalités et moukhtars dans ces régions, ne souhaitent pas s’embarrasser d’un scrutin qui pourrait changer, ne serait-ce que légèrement, la donne.

Prorogation en séance plénière ?

Si les élections n’ont pas lieu, il faudra proroger le mandat des moukhtars et conseils municipaux actuels. Cela nécessite une loi et ne peut être réalisé autrement. Le quorum d’une séance plénière convoquée à cette fin pourrait être assuré par les blocs du 8 Mars, mais également celui du CPL. "Nous ne permettrons pas qu’il y ait une nouvelle vacance institutionnelle", souligne une source proche du parti aouniste, qui explique que les députés du parti "sont ouverts à la participation à une éventuelle séance visant à empêcher une telle vacance".

En fait, le CPL est en faveur de la tenue d’élections municipales et de moukhtars, malgré la situation difficile. "Mais le gouvernement est-il préparé à un tel scrutin ? Le ministre de l’Intérieur lui-même a maintenu l’ambiguïté, et a reconnu qu’il n’avait pas encore de financement", précise la source proche du parti orange. "Et pourtant, les députés avaient bien demandé au ministre de ne pas convoquer les collèges électoraux avant d’avoir garanti le financement des élections", souligne la source.

Commentant l’enthousiasme d’autres partis pour la tenue des municipales, le CPL y voit une certaine "surenchère".

Quel sera donc le sort des municipales ? Les chances qu’elles aient lieu sont de l’ordre de 50 pour cent pour le moment, selon plusieurs sources politiques. Le fait que le Hezbollah et le mouvement Amal ne soient pas enthousiastes à leur tenue fait dire à certains observateurs qu’elles n’auront pas lieu, à moins d’une surprise. Mais il semble qu’au lieu d’une nouvelle vacance, qui rendrait la vie des Libanais encore plus difficile, notamment en termes de formalités, l’alternative serait une nouvelle prorogation des mandats des conseils municipaux et des moukhtars.

On rappelle que les dernières élections municipales et des moukhtars ont eu lieu en 2016. Leur mandat étant de six ans, un scrutin devait se tenir en mai 2022. Il a cependant été reporté d’un an, et le mandat prorogé jusqu’au 31 mai 2023, sous prétexte que ce scrutin coïncidait avec les élections législatives de mai 2022. M. Maoulaoui, tenu par la loi de convoquer les collèges électoraux deux mois avant l’expiration des mandats des instances actuelles, a annoncé le 3 avril qu’il convoquait le corps électoral.