Le sort des élections municipales, prévues en mai, mais longtemps masqué par les surenchères politiques, a enfin été tranché. Dans la matinée de mardi, le Parlement a décidé à la va-vite, le report du scrutin. Le gouvernement devait pourtant plancher dans l’après-midi de la même journée sur son déroulement et son financement.

Trois mois durant, la Chambre s’est trouvée dans l’incapacité de se réunir pour procéder à l’élection (primordiale) d’un président de la République, alors que la vacance présidentielle dure depuis le 31 octobre 2022, date à laquelle le mandat de l’ancien chef de l’État, Michel Aoun, a pris fin.

Mardi, comme par miracle, le quorum requis pour la tenue de la séance législative convoquée par le président du Parlement, Nabih Berry, a été assuré. Soixante-six députés, réunis par une volonté commune – quoique non déclarée par certains –, celle du report des élections municipales, ont ainsi pris part à une séance boycottée par les Forces libanaises (FL), les Kataëb et certains députés dits du changement.

Considérant que la réunion est entachée d’illégalité, le Parlement étant un collège électoral depuis la fin du mandat Aoun, les FL s’apprêtent à présenter devant le Conseil constitutionnel, un recours en invalidation des lois votées. Présidé par le juge Tannous Mechleb, le CC tendrait, selon une source proche du dossier, à accepter le recours dans la forme, mais à le rejeter dans le fond, en raison des "circonstances exceptionnelles" qui entourent le dossier.

Mardi a été l’occasion aussi pour les différentes factions politiques, réunies Place de l’Étoile, de régler de vieux comptes et de se renvoyer la balle "en direct". "Cela fait des mois que le gouvernement subit, à tort, les critiques de divers partis et responsables politiques", lui reprochant de ne pas vouloir organiser les municipales, s’est indigné le chef du gouvernement d’expédition des affaires courantes, Najib Mikati. Il a toutefois admis qu’il était impossible de procéder aux élections dans les délais fixés par le ministre sortant de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui. "Si certains parlementaires sont hostiles à un report des élections, pourquoi ont-ils assisté à la séance législative? Ils n’avaient qu’à la boycotter et à ne pas permettre au quorum d’être assuré", a-t-il déclaré, en pointant du doigt, ainsi indirectement, les députés du Courant patriotique libre (CPL).

Ses propos ont entraîné des réactions violentes et déclenché une dispute, en pleine réunion, entre les députés CPL, notamment Salim Aoun, et M. Mikati d’une part et entre les deux parlementaires Oussama Saad et Ahmad Kheir d’autre part. "Vous ne vous attaquez qu’au Premier ministre", s’est insurgé M. Kheir, avant de marteler: "Lorsque vous vous en prenez à lui, attendez-vous à une réaction de notre part." "Je vous rappelle que le ministre sortant de l’Intérieur, Bassam Maoulaoui, avait confirmé, loin des médias, être incapable d’assurer la tenue des élections, indépendamment de la question du financement", a réagi le député CPL, Ghassan Atallah.

Le problème de l’absence de candidats aux élections municipales dans certaines régions du pays, comme le Akkar, au nord du Liban, a été soulevé. "À supposer que le financement est assuré, comment voulez-vous que ce scrutin ait lieu lorsque aucune candidature n’a été avancée dans certains villages?" s’est interrogé le député Hadi Aboul Hosn du parti socialiste progressiste (PSP). De son côté, le député Sajih Attieh s’est posé la question de savoir "à quoi serviraient les municipales dans un pays aux institutions effondrées et s’il serait bon de dépenser 9 millions de dollars à cet effet au moment où une telle somme pourrait profiter à d’autres secteurs comme celui de la santé".

Ce brouhaha a surtout servi à M. Berry qui, dans la foulée et alors que le débat houleux battait son plein, a soumis au vote la proposition de loi portant report de la date des municipales et prolongeant pour un délai ne dépassant pas l’année, les mandats des conseils municipaux et de moukhtars, élus en 2016. Il a appelé à un vote à main levée, lançant son célèbre "souddik" (approuvé) sans qu’il soit possible de déterminer le nombre de bras levés.

Et, c’est suivant le même scénario qu’il a soumis au vote une proposition d’amendement de la loi sur les marchés publics de 2021. Il s’agit d’un texte proposé par les députés Ali Hassan Khalil, Jihad Abdel Samad et Alain Aoun, selon lequel les principes de transparence et de la libre concurrence seraient limités. Ces deux votes n’ont nécessité chacun qu’un quart de minute avant que le président de la Chambre ne s’empresse de lever la séance qui n’aura finalement duré qu’environ 45 minutes.

Le document comporte deux volets. D’une part, une modification substantielle qui constitue, selon le directeur des adjudications, Jean Ellieh, "un grand pas vers la lutte contre la corruption". Interrogé par Ici Beyrouth, M. Ellieh a déclaré qu’en vertu de ce premier amendement, les entreprises contractantes avec le gouvernement libanais ou le secteur public sont tenues de révéler l’identité de leurs bénéficiaires ultimes légaux. "Cela empêche, d’une part, les conflits d’intérêts et permet, d’autre part, de contourner les manœuvres corruptives", a-t-il insisté.

Le second amendement est d’ordre technique. "Il facilite l’application de la loi sur les marchés publics par les autorités contractantes, dont les municipalités, explique M. Ellieh. Selon le nouveau texte, la composition des commissions d’évaluation et de réception se fera sans accord préalable, à condition d’adopter les critères de spécialisation, de formation et de compétence pour les fonctionnaires."

On rappelle qu’au vu des circonstances exceptionnelles par lesquelles passe le pays, composer les commissions d’évaluation et de réception se fait de plus en plus difficile. Alors que la loi sur les marchés publics imposait que ces commissions soient formées de fonctionnaires de troisième catégorie, les municipalités manquent aujourd’hui des moyens nécessaires pour y procéder (le budget annuel d’une grande partie des municipalités ne dépassant pas un milliard de livres libanaises). Pour y remédier, cet amendement permet aux municipalités et aux autorités contractantes de recourir à des fonctionnaires de quatrième catégorie ou à des contractuels, si le nombre de ceux de troisième catégorie est insuffisant, à condition de retenir les critères de spécialisation, de formation et de compétence.