Après le verdict rendu mardi par le tribunal militaire au bout de 20 mois d’attente, les habitants de la localité de Khaldé sont sur le qui-vive. 36 personnes (des éléments armés sunnites appartenant à des tribus dites "Arabes de Khaldé") ont été inculpées dans le cadre des incidents d’août 2021 qui les avaient opposés à des partisans du Hezbollah. Ces derniers n’ont toutefois aucunement été inquiétés, ce qui suscite l’indignation des milieux politiques et judiciaires.

Contre toute attente, alors qu’il était prévu que l’instance susmentionnée procède, de nouveau, à des interrogatoires, le général Khalil Jaber, président du tribunal militaire (et, on le précise, nommé par décision du ministre sortant de la Défense, Maurice Slim), a prononcé, dans la soirée du mardi, son verdict, après des plaidoiries tenues le jour même. Ont été déclarés coupables les Arabes de Khaldé, qui se sont engagés au début du mois d’août 2021 et pendant plusieurs heures, dans de violents affrontements à l’arme automatique et aux roquettes RPG contre des partisans du Hezbollah.

"Comment expliquer cela lorsque ce sont les deux parties qui se sont engagées dans le conflit?", s’étonne un juriste sous couvert d’anonymat. "Il est clair qu’il existe une force qui dessine les grands mouvements de la justice militaire et que celle-ci cède aux pressions qu’elle subit", poursuit-il. Et d’ajouter: "Ce n’est pas la première fois que l’on assiste à ce genre de manipulation. Rappelons les incidents de Tayouné, à l’issue desquels des habitants de Aïn el-Remmaneh avaient été arrêtés sur décision du commissaire du gouvernement près le tribunal militaire, Fadi Akiki". On rappelle à cet égard qu’en octobre 2021, des combats avaient opposé des sympathisants des Forces libanaises (FL) résidant à Aïn el-Remmaneh à des miliciens du tandem chiite Hezbollah-Amal. Ces derniers s’étaient introduits à Tayouné, manifestant contre le juge d’instruction, Tarek Bitar, chargé de l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth, qui avait convoqué des personnalités politiques affiliées au tandem. À l’époque, le chef des FL, Samir Geagea, avait accusé le juge Akiki, qui l’avait convoqué, d’exécuter les instructions du Hezbollah.

Pour revenir à notre sujet principal, la décision de M. Jaber ne serait pas anodine. Elle serait, selon certaines sources, le fruit de négociations engagées, au cours des derniers mois, dans le bureau du général Tony Kahwaji, chef du service des renseignements militaires, en présence de représentants du Hezbollah et des tribus arabes. Selon ces mêmes sources, les effets du jugement, considéré "sévère" par certains députés comme Ghayath Yazbeck (FL) et Fayçal Sayegh (Parti socialiste progressiste) – puisqu’il a consisté, pour certains accusés, en une peine de mort – auraient été amoindris dans le cadre d’une sorte de compromis entre les différents protagonistes.

"C’est dire à quel point le pouvoir judiciaire est noyauté", s’insurge le juriste interrogé par Ici Beyrouth. Et de poursuivre:"La justice n’a plus lieu d’être au Liban, puisqu’il est désormais de coutume que de tels accords se fassent en dehors de ce que préconisent les textes de loi. Bientôt, le Liban deviendra un pays où la justice militaire est celle ordinaire et la justice judiciaire, celle d’exception, surtout lorsque l’on sait que les motifs avancés apparaissent au second degré et ne sont pas mis en valeur dans les décisions du tribunal militaire." En d’autres termes, le tribunal militaire n’est pas tenu de justifier sa décision par des motifs, comme devrait le faire un tribunal de droit commun, puisque le tribunal militaire est un tribunal d’exception. Par conséquent, cela peut avoir des répercussions sur l’intelligibilité du jugement rendu par cette instance.

Pour rappel, les incidents de Khaldé ont été déclenchés à la suite d’une affaire de vendetta. Ali Chebli, un membre du Hezbollah, a été tué le 31 juillet, à Jiyeh par le frère de Hassan Ghosn, qui a voulu venger la mort de ce dernier. C’est Ali Chebli à qui le crime a été imputé par la partie adverse. La famille de l’adolescent Hassan Ghosn s’était insurgée contre l’absence de mesures prises à l’encontre du tueur et avait décidé de se faire justice elle-même. Après le décès d’Ali Chebli, un convoi funéraire transportant la dépouille de l’hôpital al-Rassoul al-A’azam en direction de Khaldé a été attaqué par les tribus arabes. De violents combats ont alors éclaté, faisant morts et blessés.

Justice est ainsi faite dans un État de non-droit et où les tribunaux militaires sont pointés du doigt, élargissant leur compétence à des dossiers liés à des infractions commises par des civils.