
La dernière session parlementaire a révélé l’ampleur du clivage vertical entre les forces politiques autour de la loi électorale, notamment sur la question du vote des expatriés. Un clivage si profond qu’il a ravivé les craintes d’une éventuelle annulation du scrutin. Un scénario qui pourrait servir les intérêts de certains acteurs, dont l’influence s’est érodée à la faveur de récents bouleversements locaux, régionaux et internationaux.
Le conflit entre le tandem chiite (Hezbollah-Amal) et le Courant patriotique libre d’un côté, et les Forces libanaises, les Kataëb, les indépendants et les députés du changement de l’autre, dépasse les pratiques politiques habituelles, les traditions parlementaires et même le règlement intérieur de l’Assemblée. Ce bras de fer traduit en réalité un enjeu bien plus large: celui du désarmement du Hezbollah. Certains observateurs restent toutefois confiants. Selon eux, le différend pourrait se résoudre par une reconduction du mode de scrutin précédent, qui permettait aux expatriés de voter pour l’ensemble des 128 députés. Cette solution éviterait une remise en cause de l’échéance électorale prévue pour mai prochain.
Du côté des Forces libanaises, la position est claire: pas d’élections sans la pleine participation des expatriés, et pas d’élections non plus sans que le monopole des armes revienne exclusivement à l’État. Il est inacceptable, selon elles, de désigner les représentants du peuple alors qu’un groupe armé continue d’agir en dehors du cadre institutionnel. Elles rappellent à cet égard les municipales, où le tandem chiite a imposé des résultats par acclamations dans 93 municipalités, en tirant parti de ce déséquilibre. Il s’apprête, selon les mêmes sources, à reproduire ce scénario lors des législatives, afin de conserver le contrôle des 27 sièges chiites.
Dans cette logique, le Hezbollah refuse de remettre son arsenal, invoquant la poursuite de l’occupation israélienne sur certaines zones du territoire libanais. Mais la véritable crainte du tandem chiite est ailleurs: désarmer avant les élections pourrait fragiliser son emprise sur son électorat, ouvrir la voie à une dispersion des votes chiites et, in fine, lui faire perdre la présidence du Parlement.
Pour cette raison, le Hezbollah privilégie un report des élections. Une orientation également défendue par le Courant patriotique libre, dont la conjoncture politique actuelle reste défavorable.
Le Hezbollah exigera un prix pour la remise de ses armes: une «conversion» de sa puissance militaire en influence institutionnelle, à travers des positions clés au sein de l’appareil d’État et de l’administration. Il pourrait ainsi revendiquer un poste de vice-président de la République, de Premier ministre, ou des fonctions stratégiques dans les institutions militaires et financières, tout en veillant à ancrer fermement le principe de parité tel que consacré par l’accord de Taëf.
L’objectif: obtenir suffisamment de concessions pour garantir que les 27 députés chiites restent sous la tutelle du tandem Hezbollah-Amal.
Parallèlement, le parti chiite réclamera des garanties juridiques et politiques: qu’aucun de ses membres ne fasse l’objet de poursuites judiciaires, quelle qu’en soit la nature, et que le nouveau régime syrien dirigé par le président Ahmad el-Chareh s’abstienne de toute forme de représailles contre ceux qui avaient soutenu Bachar el-Assad contre la révolution syrienne.
Face aux incertitudes, des visiteurs du palais de Baabda rapportent les propos fermes du président Joseph Aoun, qui assure: «Les élections législatives se tiendront à la date constitutionnelle prévue en mai prochain, tout comme les municipales ont eu lieu dans les délais.»
Même son de cloche du côté du Premier ministre, Nawaf Salam, qui assure, lui aussi, dans ses cercles privés, que les législatives auront bien lieu à leur date prévue, qu’aucun motif ne saurait justifier leur report ou leur annulation, et que le litige autour du vote des expatriés sera réglé. Selon lui, aucune force majeure ne fait obstacle à la tenue du scrutin; bien au contraire, les développements politiques à venir devraient modifier le paysage politique en faveur du maintien de l’échéance.
Dans ce contexte, les évêques maronites de la diaspora ont adressé une lettre au président Aoun, à la suite de leur conférence de juin 2025 au Liban, pour exiger l’abrogation de l’article 112 de la loi électorale actuelle. Cet article limite la représentation des non-résidents à six sièges, créant une «circonscription des expatriés» distincte.
Face à ces données, ces mêmes visiteurs rapportent l’appel du président Aoun à un engagement collectif en faveur de l’accord de Taëf, qu’il considère comme le seul pacte signé entre l’ensemble des composantes politiques, garantissant leur partenariat dans l’exercice du pouvoir et la prise de décision, ainsi qu’une parité sans domination aucune.
En conséquence, nombre d’acteurs locaux et internationaux continuent de considérer Taëf comme l’unique solution institutionnelle et politique, d’autant qu’il constitue la pierre angulaire de la Constitution libanaise. Par ailleurs, le discours d’investiture du président et la déclaration ministérielle s’inscrivent pleinement dans l’esprit de l’accord de Taëf, du cessez-le-feu et des résolutions de la légalité internationale auxquelles nul ne peut se soustraire.
Le secrétaire d’État du Vatican, le cardinal Pietro Parolin, avait déjà exhorté les responsables chrétiens, tant politiques que religieux, à renoncer à tout discours qui remettant en cause l’accord de Taëf et encouragerait des velléités de partition. Il les avait appelés à s’y attacher fermement, rappelant que le Liban, avec ses chrétiens et ses musulmans, constitue un message vivant et ne saurait être revendiqué par un seul camp. Selon lui, la dualité libanaise renforce le vivre-ensemble, en faisant du pays un espace unique de dialogue interreligieux et d’échange entre civilisations. Le Liban, avait-il souligné, demeure un modèle à suivre.
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