Le chef du CPL a inauguré sa campagne électorale par des messages à son allié et un règlement de comptes avec ses adversaires.

La première réflexion qui vient à l’esprit en écoutant la conférence de presse, dimanche, du chef du Courant patriotique libre (CPL), le député Gebran Bassil, est que rien ne justifie l’empressement que ce dernier a manifesté pour s’exprimer sur l’actualité locale, alors que la trêve des confiseurs n’a pas pris fin.
Boycottée par plusieurs chaînes locales, l’intervention télévisée de Gebran Bassil a porté pêle-mêle sur presque tout : la crise gouvernementale, les relations du CPL avec le Hezbollah, la stratégie de défense, la politique du président de la Chambre, Nabih Berry, la présence des réfugiés syriens, l’affaire de l’enquête sur l’explosion du 4 août 2020 au port de Beyrouth, les législatives, la Thawra, la crise financière et le rôle du gouverneur de la Banque centrale .
Au vu du timing, il semble évident que le M. Bassil a surtout voulu anticiper la conférence de presse du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, lundi en principe, pour rassurer son allié chiite sur l’avenir de l’accord de Mar Mikhaël (6 février 2006) ébranlé récemment par les critiques vives du fondateur du CPL, le président Michel Aoun, à l’encontre de la formation chiite. Gebran Bassil a donc voulu faire d’une pierre deux coups : adresser un message sans équivoque à son allié chiite et exposer la feuille de route/programme électoral de son parti, en perte de vitesse au niveau populaire, quelques mois avant les législatives de mai. Pour cela, il a eu recours à ce qu’il sait le mieux faire : régler ses comptes avec ses adversaires politiques, notamment Nabih Berry et Samir Geagea, son adversaire chrétien, sur un ton polémique.
M. Bassil a d’abord interpellé ʺ l’aile mensongère du soulèvement du 17 octobre 2019 " hostile à l’ensemble de la classe politique et dont le slogan était : tous, cela signifie tous ", pour se poser en victime d’une injustice : " Le but était de nous attaquer personnellement, alors que le vrai slogan devait être tous sauf nous ". Le ton était ainsi donné. Pour Gebran Bassil, c’était l’entrée en matière pour se lancer dans une longue tirade à double objectif : dénigrer ses détracteurs, notamment le chef des Forces libanaises, Samir Geagea, et se mettre en valeur en multipliant les détails sur " les réalisations " de son camp. Il a inauguré de la sorte sa bataille électorale, le CPL étant appelé à le faire notamment avec les Forces libanaises, dans plusieurs régions chrétiennes, aux prochaines législatives. Il n’a pas hésité dans ce contexte à expliquer que si son parti a " préféré se ranger du côté du Hezbollah plutôt que du côté des FL dans l’affaire de Tayouné, c’est parce que Samir Geagea a été toujours un instrument tantôt d’Israël, tantôt des Etats-Unis ". " Il était de collusion dans les années 90 avec les Syriens qui n’ont plus voulu de lui. Aujourd’hui, nous savons sur les bordereaux de qui il émarge. Il lui est demandé de provoquer une discorde ", a-t-il dit, sans évoquer bien entendu l’allégeance du Hezbollah à l’Iran, que la formation chiite ne cache pourtant pas.

Changement de système
Le chef du CPL devait ensuite prôner le changement " à tous les niveaux de la vie nationale " et estimer que celui-ci devrait porter sur " deux axes notamment : le système politique et le système économique et financier ", sans évidemment expliquer comment cela peut être réalisé quand une composante politique libanaise est armée jusqu’aux dents et prend tout le Liban en otage. Il a égratigné au passage un dysfonctionnement de la démocratie consensuelle ainsi que l’accord de Taëf, responsable selon lui " du blocage du système politique, parce que son objectif était que le Liban reste inféodé à l’étranger ".
Gebran Bassil s’est étendu ensuite sur ses rapports avec le Hezbollah et le mouvement Amal du président de la Chambre, Nabih Berry. " Les tentatives visant à isoler le Hezbollah sont permanentes et la plus récente date du 17 octobre 2019. Son objectif était de nous affaiblir et d’ôter la couverture chrétienne que nous lui procuronsʺ.
Clarifiant davantage sa position et celle de son parti vis-à-vis du Hezbollah, il a affirmé : " Nous ne voulons pas abolir notre entente avec le Hezbollah mais voulons la faire évoluer ʺ. Il a justifié cette décision par son refus de voir le Hezbollah isolé, ʺpour éviter une guerre civile ˮ et ʺétablir un accord avec lui au lieu d’ouvrir la voie à un conflit ˮ. M. Bassil a, par ailleurs, souligné que l’unité chiite est " vitale, tant qu’elle ne prime pas sur l’existence et l’unité de l’Etat ". Il s’en est pris avec une violence particulière à Nabih Berry à qui il a consacré une bonne partie de sa conférence de presse, non seulement parce que " son alliance avec le Hezbollah est en train d’affecter l’accord de Mar Mikhaël ", mais parce que selon lui, le président de la Chambre entretient un " pouvoir discrétionnaire qui fait qu’il fait passer les textes de loi de son choix et de la manière qu’il entend et bloque d’autres ". Il l’a entre autres accusé d’avoir " fait sauter la loi sur l’audit juri-comptable, lorsqu’il avait considéré que le caractère de double urgence de la proposition de loi n’avait pas obtenue la majorité alors qu’une majorité de bras avaient été levés ".

Une visite à Damas
Et de poursuivre : ʺNous voulons l’Etat et le Hezbollah veut la Résistance, mais celle-ci doit se faire sous le contrôle de l’Etat et non pas le transcender ˮ. De plus, le chef du CPL a mis en exergue la nécessité d’édifier ʺun Etat civil et laïc doté d’une armée forte, d’une économie productive et d’une politique étrangère indépendante ˮ.
Concernant l’échéance législative du 15 mai 2022, le député de Batroun a estimé que le but de ces élections est de " limiter la présence politique " de son parti. Il a insisté dans ce cadre sur le fait qu’il préfèrerait " préserver l’intégrité et la dignité " du CPL, plutôt que de remporter les élections ; si jamais l’alliance prévue avec le parti chiite n’a pas lieu. M. Bassil a en outre déclaré qu’il est prêt à se rendre en Syrie avant la tenue des élections, confirmant ainsi l’ouverture de son parti au régime de Bachar el-Assad. Une visite qu’il a cependant placée dans le cadre de la quête d’une solution au problème que pose la présence de centaines de milliers de réfugiés syriens au Liban, dont nombreux, a-t-il dit, sont en train de travailler alors qu’ils ont le statut de réfugiés.
Plus encore, M. Bassil a déploré le fait que le pays soit ʺsans gouvernement jusqu’à l’échéance des élections législatives ˮ.
Il s’en est pris au gouverneur de la Banque centrale, Riad Salamé, l’accusant d’avoir ʺorganisé le plus grand braquage de l’histoire, en mettant la main sur l’argent des déposants ˮ et de " se rebeller contre les décisions du Conseil des ministres ". " Il empêche l’audit et manipule la monnaie nationale ˮ, a-t-il ajouté.
Le chef du CPL a par ailleurs dit avoir demandé au Trésor américain la levée des sanctions prises à son encontre, et émises dans le cadre du Magnitsky Act, qu’il a estimé ʺinjustes et sans fondements ˮ. Dans ce contexte, il a expliqué qu’il a eu recours à une pétition et non pas à un procès parce que la pétition " est moins coûteuse ".