Le discours prononcé dimanche par le député Gebran Bassil ne saurait passer sans que ne soient soulevées une série de remarques importantes, tant les propos du chef du Courant patriotique libre occultent des vérités historiques et constitutionnelles et éludent les vrais problèmes.

“Nous avons choisi l’accord de Mar Mikhaël avec le Hezbollah (2006) plutôt que le conflit sectaire, et avons convenu que ces armes se trouvaient là uniquement pour protéger le Liban”, a affirmé M. Bassil. Cette entente entre le général Michel Aoun et le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, comporte en fait un renoncement clair à la souveraineté du Liban. Il y est mentionné que le Hezbollah déposerait ses armes une fois écarté le danger qui guette le Liban. Il faut être puéril pour croire, au vu de cette mention, que le Hezbollah déposerait ses armes volontairement un jour.

La cession de souveraineté avait pour but, selon M. Bassil, d’éviter les conflits internes. Il n’en a rien été in fine, puisque, quinze années durant, l’instabilité a régné en maîtresse. Sans compter que cette situation porte en elle les germes d’une future guerre civile à étouffer systématiquement, les armes du Hezbollah risquant d’entraîner à tout moment l’émergence d’autres armes adverses. Quant aux dires de M. Bassil selon lesquels l’entente entre le CPL et le Hezbollah reposait sur l’idée que les armes du parti chiite ont pour unique mission de protéger le Liban… Il convient de rappeler que deux ans après cette entente, le 7 mai 2008, le Hezbollah a envahi Beyrouth, et que le 11 mai 2008, il a tenté d’envahir la Montagne. L’euphorie à Rabieh était alors à son paroxysme, et l’entourage du général Aoun annonçait des lendemains meilleurs pour le Liban, affirmant que le 7 Mai était un “jour glorieux”…

M. Bassil a par ailleurs affirmé que l’unité chiite est importante, mais pas aux dépens du pays. Il est absolument naïf de croire un seul instant que le Hezbollah préférerait M. Bassil, son mouvement et le président de la République à son allié Nabih Berry, qui contrôle le Parlement depuis trois décennies. Du reste, lorsque M. Bassil parle d’ “unité chiite”, cela montre qu’il connaît mal les chiites du Liban. Comment peut-il supposer que tous les chiites du Liban sont alignés derrière un duopole armé? N’est-il pas conscient de l’existence et de la présence active des chiites libéraux? Des élites chiites dont le Liban est fier? A-t-il décidé de réduire les chiites, qui croient plus que tout autre Libanais en un Liban souverain, libre et indépendant, au seul duopole? N’a-t-il pas lu ce que d’éminents chiites ont donné au Liban contemporain?

En prétendant que l’État central, et spécifiquement le Parlement et le Conseil constitutionnel, privent par la force le président de la République de ses pouvoirs, M. Bassil démontre une incompréhension flagrante de la Constitution. Il est clair qu’il n’a pas jugé bon d’avoir recours aux constitutionnalistes et juristes, qui expliquent pourtant à chaque occasion que, dans son esprit, notre Constitution de 1926 considère le Parlement comme un espace de dialogue entre les 18 communautés qui composent le Liban, et surtout leur garantie, sa raison d’être n’étant pas seulement de légiférer.

De plus, la Constitution mentionne le gouvernement comme autorité procédurale, et non comme pouvoir exécutif, pour signifier justement l’importance du président de la République. Ce dernier est un chef d’État, et non un président doté de pleins pouvoirs. Il est comparable à un monarque constitutionnel, qui doit s’élever au-dessus de toutes les autorités, et assumer le un rôle d’arbitre à distance égale de toutes les parties. Or depuis son élection, le président Aoun n’a pas raté une occasion de réaffirmer son alliance avec le Hezbollah. L’actuel président de la République aurait dû en ce sens suivre l’exemple de ses prédécesseurs, spécifiquement Fouad Chéhab, Charles Hélou, Elias Sarkis et Michel Sleiman, en jouant le rôle de souverain constitutionnel.

Pour en revenir au Parlement, celui-ci est dans la pratique le souverain constitutionnel. Toutefois la Constitution ne stipule point la souveraineté de M. Berry sur la Chambre. Le problème n’est donc pas dans la Constitution, que M. Bassil propose de changer, mais dans l’hégémonie exercée par M. Berry sur la Chambre. Pourquoi donc M. Bassil et son courant se suffisent-ils de déclarations publiques intempestives, brumeuses et imprécises vis-à-vis de M. Berry, sans entreprendre d’actions en ce sens ?

Gebran Bassil ajoute que “notre système politique fondamental est paralysé depuis l’accord de Taëf, dont l’objectif était de maintenir le Liban à l’état de pays gouverné de l’extérieur”, sans préciser que cet “extérieur” n’était autre que le régime syrien. Cela est vrai concernant la clause relative à la présence syrienne de l’accord. Pourtant, lorsque l’occupation syrienne a pris fin, le général Aoun a visité Damas sans que le régime baathiste change de comportement, reconnaisse ses crimes au Liban, ou s’excuse auprès du peuple libanais pour ses 30 ans d’occupation jalonnés de destructions, d’assassinats, d’oppression et de mainmise totale. Quant aux dispositions constitutionnelles de Taëf, elles sont le fruit de concertations internes libanaises entre 1975 et 1990 et donc libanaises… si ce n’est justement des clauses qui ont été introduites à l’époque par le régime Assad, aujourd’hui allié à M. Bassil.

M. Bassil affirme que “l’État central est un échec sous ‘votre’ direction et à cause de ‘votre’ système”. “Nous ne voulons pas vivre dans un État défaillant, et l’État central que nous voulons est un État civil laïc”, souligne-t-il. Mais de qui parle-t-il lorsqu’il dit “votre” ? Par qui est dirigé l’État central ? Qui occupe la présidence de la République ? Qui sont les alliés du président depuis l’accord de Mar Mikhaëll ? Quant à la laïcité que M. Bassil réclame, ne contredit-elle pas ses précédents propos relatifs aux “droits des chrétiens” ?

Gebran Bassil s’est par ailleurs demandé si l’entente de Mar Mikhaël s’est traduite dans le processus d’édification de l’État, avant d’ajouter : n’a-t-elle pas assuré une couverture à la corruption et compromis le mandat du président (Aoun) ? N’a-t-elle pas torpillé le Conseil constitutionnel ? M. Bassil oublie-t-il, en évoquant l’accord de Mar Mikhaël, que c’est bien le président Aoun et lui-même qui sont parties à cette entente ? Ils devraient assumer entièrement, partant, la responsabilité de la situation dans laquelle ils se retrouvent aujourd’hui tous les deux. Le sens du leadership suppose prévision, efficacité, calcul de risques, et non aventures et paris suicidaires.
Évoquant la stratégie de défense, Gebran Bassil s’est demandé où elle en est, et pourquoi elle reste sans contenu réel. C’est plutôt à nous de lui demander pourquoi cette question n’a pas été abordée dès le début du mandat Aoun, alors que le président avait promis de le faire. Mais aussi pourquoi le CPL s’était retiré du comité de dialogue national, où le président Michel Sleiman avait proposé d’élaborer une stratégie de défense, en 2012.

“Nous n’avons plus de raison de ne pas visiter la Syrie, et je suis prêt à m’y rendre avant les élections”, affirme enfin M. Bassil. Ceci n’est guère étonnant de sa part. D’ailleurs les rumeurs circulent concernant l’ouverture d’un bureau du CPL depuis des années déjà à Damas, où l’ex-ministre aux Affaires présidentielles Pierre Raffoul se rendait hebdomadairement. Personne n’a démenti ces rumeurs. La relation au grand jour du CPL avec le Baath syrien remonte d’ailleurs à la visite du général Aoun en Syrie, en plein contentieux lourd entre Beyrouth et Damas, le régime Assad ne voulant ni reconnaître ses crimes au Liban, ni faire la lumière sur le sort de 660 Libanais disparus dans ses geôles.

Nul ne peut nier les faits historiques, ou blâmer la Constitution pour les malheurs que nous vivons. Ces derniers sont surtout le résultat de l’hégémonie du Hezbollah, de l’incompétence des gens du pouvoir, de leur lâcheté face aux évènements, et de la corruption enracinée. Et, une fois de plus, M. Bassil est loin d’avoir mis le doigt sur la plaie.