Un symposium de quatre jours vient de se tenir à Nicosie, sur le présent et l’avenir des Églises orientales. L’Église d’Occident s’engage à "préserver leur témoignage de foi dans sa spécificité".

C’est à l’un de ces heureux moments où l’Église est vécue comme famille, qu’ont eu droit les 257 responsables d’églises du Moyen-Orient venus à Nicosie quatre jours durant (21-24 avril), dans le but de dresser un bilan des années qui ont suivi la publication par le pape Benoît XVI, à partir du Liban, de son exhortation apostolique sur les Églises catholiques du Moyen-Orient (2012).

"Il a été question de tout, durant ces jours de calme et de réflexion, d’échanges et de prières, mais plus que les sujets abordés, ce qui m’a le plus marqué, dans cette conférence, c’est son cachet de synodalité, de mise en commun des expériences et des décisions, et l’apparition de nouveaux liens d’amitié entre les présents", confirme pour Ici Beyrouth un évêque qui demande à garder l’anonymat.

Le symposium a également été marqué par une petite révolution, une sorte d’amende honorable du nouveau préfet de la congrégation des Églises orientales, Matteo Gugerotti, qui s’est engagé à tenir désormais le dossier des Églises orientales loin de toute conduite d’assimilation et, selon diverses sources, de tout "paternalisme".

Une démarche essentielle

Au sujet de la démarche synodale, il faut rappeler qu’elle est essentielle aux yeux du pape François, qui cherche depuis trois ans à la transmettre à toute l’Église catholique, grâce à un travail de longue haleine qui se conclura cet automne, avec la tenue à Rome d’une assemblée spéciale du synode des évêques, qui en fera la synthèse.

On aurait tort de ne voir dans la synodalité que la multiplication des structures, assure en substance à Ici Beyrouth Myrna Mzawak, responsable du Bureau de la femme au siège patriarcal maronite et l’une des intervenantes de cette conférence. En un sens, c’est même la "disparition" des structures, dans ce qui devient "carrefour", lieu où tous les réseaux et chemins particuliers se rejoignent et se recoupent. On pourrait appeler ça, aussi, collégialité.

La conférence s’est tenue en présence également de plusieurs patriarches orientaux, dont les patriarches maronite, chaldéen, latin et syriaque et de responsables de la Roaco (Réunion des œuvres d’aide aux Églises orientales).

Il s’agissait à la fois de revoir les grands thèmes abordés par Benoît XVI dans son exhortation, de prendre note des énormes bouleversements géopolitiques qui se sont produits depuis, et d’établir une première liste de besoins des Églises pour rester fidèle à l’annonce du Christ. Mais aussi de continuer à se rendre utiles dans les divers domaines de la vie sociale et politique: éducation scolaire et universitaire, formation au sacerdoce, soins de santé, pastorale des jeunes et de la famille, droits de la femme et préparation au mariage, partage et justice distributive, lutte contre l’épuisement des ressources, sans oublier la lutte pour l’avènement de régimes politiques justes et au service de l’homme.

Le Saint-Siège aux côtés des chrétiens du M-O

Inaugurant le colloque, le préfet du dicastère pour les Églises orientales, Mgr Claudio Gugerotti, est revenu sur les "efforts héroïques" des chrétiens du Moyen-Orient pour "témoigner de la foi". Ancien représentant du Saint-Siège en Arménie et en Ukraine, l’évêque a osé faire amende honorable pour certaines conduites de l’Église d’Occident à l’égard des Églises orientales. "Nous, Occidentaux, portons une lourde responsabilité dans la déstabilisation du Moyen-Orient par notre tendance à exporter notre culture et à demander à ses peuples d’y conformer leur vie", a-t-il dit. "En tant que catholiques occidentaux, a ajouté le préfet, nous nous excusons d’avoir soutenu cette vision myope des choses. Nous rendons hommage à vos efforts héroïques pour être les témoins de notre foi commune dans les difficultés de toutes sortes."

Mgr Gugerotti a également remis en question tout un passé au cours duquel l’attitude du Vatican envers les Églises orientales en diaspora a été marqué par une volonté d’assimilation.

Le rôle du Saint-Siège "dans le soutien aux chrétiens du Moyen-Orient" est donc prioritaire, a-t-il souligné, car, "si généreux que soient vos efforts pour suivre les membres de votre Église dans la diaspora, ils seront encore plus efficaces avec des instructions spécifiques aux évêques de l’Église latine dans le monde entier, afin d’éviter toute assimilation, même involontaire, et de vous aider à préserver votre témoignage de foi dans sa spécificité".

L’exhortation du pape Benoît XVI

S’exprimant après le préfet, Pietro Pizzaballa, patriarche latin de Jérusalem, a évoqué les dix dernières années de défis vécus par les Églises dans la région, années marquées par l’extrémisme islamique, après la fin des printemps arabes, par la violence de Daech et par les guerres – Syrie, Irak, Yémen, Libye – au cours desquelles les communautés chrétiennes "ont payé un prix très élevé", mais ont également témoigné de l’espérance avec le martyre de "tant de frères et sœurs".

"Le présent, avec ses lumières et ses ombres, nous oblige à faire une synthèse vraie et concrète" de ce qui a été vécu au cours des dix dernières années, a déclaré le patriarche, qui a mis l’accent sur l’inlassable recherche de l’unité recommandée par Benoît XVI, non sans relever que les Églises catholiques d’Orient n’ont toujours pas une version commune du "Notre Père"!

C’est "l’unique Église du Christ (qui) s’exprime dans la variété des Traditions liturgiques, spirituelles, culturelles et disciplinaires des six vénérables Églises orientales catholiques sui iuris, ainsi que dans la Tradition latine, avait déclaré Benoît XVI, avant son voyage au Liban, en 2010. C’est cette optique intérieure qui m’a guidé dans les voyages apostoliques en Turquie, en Terre sainte – Jordanie, Israël, Palestine – et à Chypre, où j’ai pu connaître de près les joies et les préoccupations des communautés chrétiennes."

Les autres intervenants au symposium de Nicosie étaient Mgr Paolo Martinelli, vicaire apostolique des Latins pour les Émirats arabes unis, le Yémen et Oman, le professeur Youssef el-Hajj (Université du Saint-Esprit Kaslik), Viola Raheb, consultante en communication scientifique et en projets à la Fondation Pro Oriente, Mirna Mzawak, coordinatrice du Bureau pastoral de la femme à Bkerké, et Nadim Amman, membre de la ROACO.

Selon un rapport interne de Mgr Mounir Khairallah (évêque maronite de Batroun), Mme Mzawak a présenté diverses statistiques concernant l’engagement des chrétiens au Liban, en particulier des jeunes, soulignant certains aspects positifs, notamment en ce qui concerne les "mouvements apostoliques et les groupes de prière", qui rencontrent beaucoup plus de popularité qu’auparavant parmi les jeunes, renforçant le sentiment "d’appartenance à l’Église" et "sa vocation missionnaire".

Les chrétiens pris entre deux feux

Pour sa part, le patriarche de Bagdad des chaldéens, le cardinal Louis Raphaël I Sako, a déploré, dans une conférence de presse tenue en marge du symposium, le danger que courent les églises du Moyen-Orient, et réclamé à cette fin une action diplomatique beaucoup plus énergique du Saint-Siège.

"La présence des Églises orientales est menacée et elles ne voient pas d’avenir, que ce soit en Irak, en Syrie, au Liban ou en Palestine, à cause des défis politiques, économiques, culturels et autres", a-t-il dit. Et de souligner que, face à ces défis, les chrétiens d’Orient sont pris entre deux feux: "En Occident, il y a un manque de valeurs religieuses et humaines, il y a une sécularisation et la vie est vidée de tout caractère sacré. À l’Est, en revanche, il y a le fondamentalisme, qui se transforme en terreur et en terrorisme, et nous sommes menacés, nous sommes marginalisés. Nos maisons, nos biens, nos villages sont occupés, et puis il y a la question démographique."

"L’Exhortation est très belle, mais nous vivons dans un autre monde, a encore lancé le patriarche des chaldéens. Nous ne sommes pas traités de la même manière que les musulmans, avec les mêmes droits et les mêmes devoirs." "La persécution ne consiste pas seulement à tuer quelqu’un, a-t-il enchaîné. Prenez le Liban, les chrétiens étaient majoritaires, ils sont à l’origine du Liban. Combien de chrétiens y restent aujourd’hui? Ils pensent tous à quitter ce Moyen-Orient, mais c’est leur terre, leur identité. L’histoire nous dit que les chrétiens ont beaucoup donné à leur pays (…), nous payons pour une mauvaise politique occidentale. L’Église doit faire entendre la voix prophétique de Jésus. Nous sommes en Irak moins d’un demi-million, demain nous serons peut-être 300 000, voire moins."

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