On cogite et on médite sur les qualifications requises pour accéder à la haute fonction du chef de l’État au Liban. On ne se pose pas la question de savoir si cette fonction transcende réellement toute qualification bien qu’elle exige des qualités impératives. Quant aux amis étrangers, leur souci ne porte pas sur les qualifications ou les qualités du futur président libanais. Leur souci a pour objet leurs intérêts propres que leurs relations avec le Liban pourraient ménager.

Écoutez l’article

Que demande-t-on au futur chef de l’État ? On ne cesse de nous ébaucher des profils. Bien sûr, il doit appartenir à la communauté maronite puisque tel est l’usage consacré encore qu’on pourrait se suffire d’un chrétien tout simplement.
À cela s’ajoutent deux conditions politiques péremptoires. Pour un camp, il doit être souverainiste. On ne nous précise pas le descriptif détaillé de ce critère. Pour le camp adverse d’en face, le président ne peut ni ne doit être en mesure de poignarder la "Résistance" dans le dos. Par là on entend la milice du Hezbollah qui sert d’entité interposée à l’occupation iranienne indirecte du Liban.
Si on considère les profils particuliers au sein du groupe des maronites favorables au Hezbollah, un candidat est rejeté tant son image de marque serait celle de l’ennemi public N°1. Un deuxième, issu du clanisme rural et féodal traditionnel, est critiqué pour son manque en diplômes prestigieux. Dans le camp souverainiste, le candidat maronite le plus en vue est accusé d’intelligence avec l’ennemi contre la Résistance. Seule l’affiliation à l’Église maronite de ces personnalités fait l’unanimité. Dans cet imbroglio, savamment entretenu, on oublie une vérité de toujours : pour être un bon chef d’État, on n’a pas besoin de qualifications professionnelles ou académiques. Comme nous l’ont appris les Grecs de l’antiquité: "en matière de vérité, l’opinion du premier venu peut faire l’affaire". On peut donc parfaitement exercer le pouvoir politique sans être bardé de doctorats.
On rappellera ici le cas de Pierre Bérégovoy (1925-1993), Premier ministre français sous François Mitterrand. Ce fils d’émigrés ukrainiens, qui avaient fui la révolution bolchevique, était simplement titulaire d’un Certificat d’études primaires (CEP) et d’un Brevet d’enseignement industriel (BEI). Ni BEPC, ni Baccalauréat de l’enseignement secondaire, et encore moins de diplômes de l’Enseignement supérieur. Ceci n’empêcha pas P. Bérégovoy de détenir le portefeuille ministériel des Affaires sociales et de la Solidarité nationale de 1982 à 1984. À deux reprises, entre 1984 et 1992, il devint ministre de l’Économie, des Finances et du Budget avant que le Président Mitterrand ne lui confie la haute fonction de Premier ministre. Pierre Bérégovoy n’avait pas de qualifications académiques mais il avait la qualité rare de commis de l’État et d’homme politique.
Le problème du candidat Sleiman Frangieh ne réside pas dans son manque en diplômes mais, précisément, dans ses choix politiques dont il ne fait aucun secret. Frangieh est sans aucun doute un excellent notable féodal traditionnel, mais il demeure à ce jour le candidat présidentiel du tandem qui a détruit l’État libanais : les Mollahs de Téhéran et le régime de Damas. Les augures libanais disent que le Président français soutient fortement sa candidature. Dont acte. Il est cependant anormal d’entendre des citoyens libanais spéculer sur les intentions cachées de grands électeurs étrangers qui, en l’occurrence, se doivent de servir en premier les intérêts de leur propre pays.
En politique, il n’y a pas d’émotivité qui compte. L’amitié franco-libanaise remonterait aux Croisades dit-on, grâce à une lettre envoyée par Saint Louis aux maronites du Liban. La critique rigoureuse date cependant ce document de 1845. On se souvient du savoir-faire diplomatique de la France après la chute de Constantinople aux mains des Ottomans. Alors que toute l’Europe catholique, sous l’égide du Pape Pie V, avait constitué la Sainte-Ligue pour contenir l’expansionnisme ottoman en Europe, François 1er, roi de France, entreprit de conclure avec l’Empire des Osmanlis les Traités des Capitulations afin de briser la toute-puissance montante des Habsbourg.
Les calculs du Président Emmanuel Macron se situent dans l’esprit des Capitulations ottomanes, à l’instar de Louis XII en 1500, François 1er en 1528, Charles IX en 1569, Henri IV en 1604, Louis XIV en 1673, sans oublier le règne de Louis XV. Tous ces rois de France ont cherché à ménager leurs intérêts géostratégiques, indépendamment des affinités de la France catholique. Emmanuel Macron n’a pas à servir, par émotivité, les intérêts d’une faction libanaise mais ceux de son pays en fonction de sa propre politique étrangère. Par ailleurs, le camp libanais dit souverainiste, très critique à l’égard du soutien français à Frangieh, n’a qu’à s’unir autour d’un seul candidat et d’un programme clair. Pour contrer le Hezbollah qui espère, à travers Sleiman Frangieh, assurer sa totale mainmise sur le Liban, les souverainistes sont condamnés à s’unir et parler d’une seule voix.
Certes, on doit rejeter catégoriquement Frangieh. Mais qui y a-t-il en face ? Combien d’interlocuteurs existe-t-il dans l’autre camp ? Et que recouvre exactement le concept de souverainisme ? Peut-on le décliner de différentes manières? Est-ce la construction d’un État de droit moderne ? Ou serait-ce plutôt le maintien des chefferies claniques traditionnelles qui s’interposent entre le citoyen et le service public? Ce souverainisme n’est-il pas, chez certains, une autre manière de dire l’émiettement du Grand-Liban en faveur d’entités identitaires ou sectaires? Être souverainiste signifie-t-il un retour au petit Mont-Liban? Ou bien, serait-ce une dilution dans un Méga-Liban qui serait la mosaïque d’une alliance de minorités religieuses?
Le camp souverainiste est invité à faire un choix national clair à l’instar de la Rencontre de Kornet-Chehwan entre 2000 et 2004 ainsi que des différents congrès dits du Bristol. Que ce camp réalise un consensus en son sein et annonce au monde, d’une seule voix, ce qu’il souhaite pour libérer son pays, le pacifier et le reconstituer. Que ce camp annonce un candidat crédible, en dehors des familles et des clans traditionnels; qu’il le dote d’un programme clair et transparent et non d’un plan de rapiéçage des loques libanaises.
C’est au camp dit souverainiste que revient le devoir de doter ce concept d’une vision claire du Liban comme état de droit. Le Liban a perdu son rôle pionnier au sein du monde arabe. Il n’est plus l’école, l’hôpital, l’université, la banque de l’Orient. Le camp souverainiste se doit de réaliser qu’il est dépositaire d’un legs qui n’a pas de prix : la culture de la liberté. C’est ce qu’il faut protéger et défendre à n’importe quel prix. Non, le Liban n’a pas perdu sa vocation même s’il ne joue plus le même rôle. Il demeure, même en lambeaux, une terre de liberté et de fraternité qu’il faut protéger à n’importe quel prix.
[email protected]