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Nous avançons en aveugles, traçant vaille que vaille notre voie particulière sur la mappemonde géopolitique dont la règle nous échappe partiellement ou totalement. Se trouvera-t-il un homme de bon sens pour sauver le Liban de la violence qui l’attend, si les choses restent en l’état? Un Akhwat Chanay, un fou, doublé d’un homme de bon sens, qui trouvera la formule à la fois simple et magique pour le sortir de cette impasse mortelle où il se trouve? Ce "divorce" impossible dont certains évoquent la possibilité.

La solution de Akhwat Chanay était lumineuse: que chaque homme valide creuse un trou de la longueur de sa taille, et la canalisation d’eau de Nabeh el-Safa à Beiteddine sera exécutée en un rien de temps. Il y a là une métaphore qui peut nous être utile: que chaque groupe parlementaire qui aime le Liban mesure bien les conséquences de ses actes, qu’il fasse son devoir, "creuse son propre trou"… et revienne à la raison. Le "divorce" mental que vivent aujourd’hui certains groupes politiques devrait nous alerter sur les violences possibles si celui-ci devait se traduire en actes, pour imposer son fait accompli.

Certes, l’armée ne restera pas passive, et ne laissera pas la violence s’étendre, a promis le général Joseph Aoun. C’est ce que nous nous disons. Mais qui peut garantir que la gravité des violences sporadiques qui pourraient éclater ne produiront pas des situations irréversibles? Et dans ce cas, que deviendra le Liban du vivre-ensemble dont "les racines historiques sont religieuses", comme l’a si bien analysé Jean-Paul II.

Le péché originel 

Bien sûr, il n’est pas question de renvoyer les protagonistes de la crise dos à dos, ni de leur attribuer une égale responsabilité dans ce qui nous accable. Le Hezbollah doit bien mesurer non seulement ce que ses armes lui assurent, mais ce dont ses armes le privent. Il doit mesurer les conséquences de ses actes, s’il continue à servir un Liban autre que celui que l’histoire a forgé: un Liban du pluralisme, et donc de la concorde et de la liberté, de la modération et du compromis. Que chacun calcule bien les conséquences de ses actes, que nous n’en venions pas à mettre en danger le Liban tout entier.

Mais, le Hezbollah n’est pas le seul à assumer la violence dont nous sentons tous, sourdement ou ouvertement, la morsure. Il y a le péché originel de la guerre civile dont nous ne savons toujours pas faire l’historique; il y a la violence de la corruption et du pillage des ressources; il y a celle des partis de personnalités incapables d’évoluer vers la démocratie chrétienne; il y a en ce moment particulier, la xénophobie. Nous avons fait notre propre malheur en ouvrant grand nos portes en 2011, et nous voilà accablant une population de toutes nos maladresses, de toute notre mauvaise gouvernance.

Creusons mentalement le fossé de ce que le maintien des choses en l’état pourrait nous valoir, et trouvons une solution pour faire passer le Liban de la guerre à la paix, du nihilisme au bon sens. Écoutons ce grand spécialiste de l’argumentation qu’est le philosophe Paul Ricœur parler de la volonté de vivre en commun et de la voie royale du compromis.

"Aucun système constitutionnel ne se prolonge sans être soutenu par une volonté de vivre ensemble qui est en acte de chaque jour, même si on l’oublie. Lorsque ce vouloir s’effondre, toute l’organisation politique se défait, très vite (…). Jamais la Cité n’existe par la seule inertie de son système institutionnel (…). La continuité et la rénovation de ce vouloir font l’objet de notre responsabilité", dit-il dans son ouvrage Philosophie, éthique et politique (Seuil, p 70).

"La seule possibilité réaliste aujourd’hui pour sortir le Liban de la zone rouge est sur le point d’être perdue (…) par manque de volonté de compromis" , a affirmé le collectif d’ambassadeurs de l’ Union européenne dans un message du 27 septembre 2022.

Entre compromis et compromission 

Le terme "compromis" prête à équivoque, parce qu’on le confond avec la compromission. La compromission est un marchandage, un "arrangement" au profit exclusif de l’une des parties prenantes. Ainsi, le patriarche maronite et les partis représentatifs de l’électorat chrétien, redoutent à bon droit que le "compromis", tel que le réclame le Hezbollah, ne soit un jeu de dupes dont la souveraineté de l’État ferait les frais. Toutefois, en raison même de son pluralisme confessionnel, force est d’admettre que la logique du compromis s’impose, à condition que tous les dossiers soient examinés dans un processus conforme à celui que prônent tous les professionnels de la médiation ou de l’arbitrage.

"Le compromis, écrit encore Ricœur dans l’ouvrage cité, loin d’être une idée faible, est une idée au contraire extrêmement forte (…). Nous n’atteignons le bien commun que par le compromis entre des références fortes, mais rivales". Il qui ajoute que "le compromis est une barrière entre l’accord et la violence". "Nous pourrions même dire que le compromis est notre seule réplique à la violence, en l’absence d’un ordre reconnu par tous, et en quelque sorte unique dans ses références", dit-il. Il semble bien que la clé de sortie de la crise que nous traversons se trouve dans la notion de compromis. En tout cas, le seuil d’alerte du "mal vivre-ensemble" est largement dépassé.

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