Écoutez l’article

Malgré le "soulagement" du Hezbollah quant à la teneur de la déclaration finale du sommet arabe de Jeddah, en raison de l’absence d’une mention imputant à l’Iran et au Hezbollah la responsabilité de la déstabilisation de la région, comme ce fut le cas dans les déclarations des précédents sommets arabes, le Hezbollah a décidé, 48 heures après la fin des assises de Jeddah, d’effectuer des manœuvres militaires à Mlita (à l’est de Saïda), au Liban-Sud.

Selon Mohamed Afif, responsable des relations publiques du Hezb, il s’agissait "de manœuvres militaires dans l’un des camps du Hezb, dans le sud; des manœuvres limitées de par leur nature, leur emplacement, leur timing et leur portée". Elles ont été exécutées, précise-t-il, "exclusivement devant un parterre de journalistes à l’occasion de la fête de la libération et de la résistance". Et M. Afif d’ajouter: "Cette démonstration est un simple aperçu des capacités du Hezb qui souhaite, par ce biais, adresser un message à l’ennemi lui indiquant clairement qu’il doit être prêt à toute éventualité".

Certaines sources au sein de l’opposition soulignent de leur côté que cette initiative constitue "une provocation pour les Libanais exsangues qui sont désormais incapables de supporter les conséquences de toute équipée du parti de Dieu, d’autant que les Arabes et la communauté internationale insistent sur la nécessité de préserver le calme et de respecter la résolution 1701".

La démonstration de force du Hezb est la réponse du loup à la bergère, notamment à la clause 6 de la déclaration de Jeddah qui rejette "toute formation de groupes et de milices armés en dehors du cadre des institutions de l’État". De source bien informée, on indique que le communiqué du Hezb au sujet de ses manœuvres militaires est considéré comme un "message iranien à l’étranger". Ce faisant, le Hezbollah a voulu prouver qu’il n’est pas concerné par la teneur de la clause 6 de la déclaration de Jeddah, et qu’il s’en tient plutôt à une décision arabe antérieure qui insiste sur "la distinction entre la résistance et les milices armées", comme l’a souligné le dernier sommet arabe d’Alger.

Par conséquent, le Hezbollah désire donner une "légitimité locale et régionale à son rôle et à ses armes". Il convient de noter que lors des discussions portant sur le communiqué final de Jeddah, les participants ont rejeté l’approche établissant la distinction précitée et ont insisté sur la concentration des armes entre les mains de l’État exclusivement. C’est ce qui explique d’ailleurs l’absence de la clause sur "le droit du Liban à la résistance pour libérer son territoire".

Le Hezb tient également à souligner son rôle dans "la stabilisation et le respect" de ce qui a été convenu lors de la délimitation des frontières maritimes avec Israël. Le parti chiite affirme dans ce cadre que si l’accord était violé, il serait "capable de tout bouleverser et de porter un sérieux coup à la stabilité". C’est pourquoi les manœuvres, qui ont eu lieu avant le début des travaux de forage et avant l’arrivée de la foreuse au bloc 9, "véhiculent un message adressé aux parties étrangères qui soutiennent l’accord, leur rappelant qu’il est nécessaire d’en respecter les dispositions et de reconnaitre le rôle du Hezb, garant de la stabilité", relèvent les milieux de la formation pro-iranienne. "De plus, ajoutent les sources proches de cette formation, ces manœuvres sont aussi un message au futur président pour qu’il reconnaisse le rôle et les armes du Hezb comme étant légitimes en vue de libérer les terres encore occupées".

Cette décision d’organiser les manœuvres précipitera-t-elle ou, a contrario, retardera-t-elle l’élection présidentielle, compte tenu du récent développement judiciaire à Paris concernant le gouverneur de la Banque centrale? Qu’adviendra-t-il en outre à la lumière de la nouvelle équation, Sleiman Frangié ou la vacance, qui rappelle l’équation américaine de 1988, Mikhail Daher ou le chaos?

À l’aune de ces développements, qui font suite au sommet arabe rassembleur de Jeddah, quel rôle jouera la France spécifiquement, sachant qu’elle est mandatée par Washington, "jusqu’à nouvel ordre", pour assurer l’élection d’un président et résoudre la crise? Par ailleurs, quel est le rôle des Cinq de la réunion de Paris (USA, France, Arabie saoudite, Egypte et Qatar) face à la position du Hezb et ses manœuvres? Paris réussira-t-il à convaincre le patriarche Béchara Raï et Gebran Bassil (actuellement en France) ainsi que les dirigeants chrétiens et les forces de l’opposition qui réfutent l’élection de Frangié? Ces manœuvres aideront-elles les acteurs étrangers dans leur soutien à Frangié?

Selon des sources diplomatiques, le Liban a tenté, en vain, d’inclure des éléments de langage concernant le Liban dans le projet de la déclaration finale du sommet de Jeddah, et de faire adopter la clause finale du sommet d’Alger selon laquelle "il est nécessaire de distinguer entre le terrorisme et la résistance contre l’occupation, qui est un droit reconnu par les conventions internationales, et de revendiquer la libération des fermes de Chebaa, des collines de Kfarchouba et de la partie libanaise de la ville de Ghajar, ainsi que le droit de résister contre toute agression par les moyens légitimes". Mais au lieu de cette clause qui adopte la rhétorique du Hezbollah, la déclaration finale de Jeddah a, au contraire, mis l’accent sur "la neutralité du Liban face aux conflits, le refus de la politique des axes, le maintien du parrainage du groupe des Cinq de Paris ainsi que le rôle actif de l’Arabie saoudite dans l’échéance présidentielle". Face à cette situation, le Hezb a souhaité "adresser des messages tous azimuts pour confirmer son rôle et justifier ses armes, les inscrivant dans le cadre de la libération des territoires", affirment les sources du parti pro-iranien.

Compte tenu de la lecture politique de l’évolution des relations saoudo-iraniennes suite à l’accord de Pékin qui prévoit une détente entre les deux parties dans leurs zones d’influence, l’attachement du Hezbollah à ses armes contredit l’essence de la récente visite à Beyrouth du ministre iranien des Affaires étrangères, Hassan Amir Abdollahian. Celui-ci a été clair dans son appel à un consensus sur la question de l’échéance présidentielle. Par ailleurs, sa visite au village frontalier de Maroun al-Ras où il a tenu à planter un olivier adresse un message sans ambiguïté aux Israéliens pour exprimer la volonté de son pays de ne pas recourir à l’escalade et d’éviter tout affrontement avec le Hezbollah.

Quoi qu’il en soit, la période à venir est susceptible de révéler les intentions et les orientations des uns et des autres au cours de la prochaine étape dans la région. Il semblerait, après le sommet de Jeddah (le sommet de Ben Salmane), qu’une nouvelle phase géopolitique se profile à l’horizon suivant une stratégie établie par l’Arabie saoudite et déjà mise en place.