Un pays qui a mis tant de siècles pour se construire ne peut disparaître. A moins qu’il ne s’agisse d’un suicide collectif, d’une émigration frénétique, du ras-le-bol d’une génération qui ne connaît pas son histoire et qui n’a pas idée de ce qu’elle abandonne. Notre civilisation se suicide-t-elle comme dirait Arnold Toynbee ? Le Liban ne s’est pas fait par hasard. Il a mis des siècles à s’imposer dans cette région hostile. Certains ne veulent plus rien savoir de cette histoire et ne croient plus qu’en l’exile vers des terres meilleures. D’autres sont las de foi et de religions sans comprendre qu’il s’agit là en réalité de cultures, d’appartenance et de valeurs.
Pour certains élitistes mondialistes, il s’agit de reconstruire le Liban sur des bases nouvelles selon le principe de la table rase. La laïcité est alors recherchée à outrance en sacrifiant les piliers qui ont fait leurs preuves durant des siècles. Mais peut-on affronter avec un idéal poétique et laïc, un monstre totalitaire et ultra religieux porté par une hystérie idéologique ? Des fléaux d’envahisseurs analogues ont été combattus par le passé, à plusieurs reprises, et toujours vaincus par les institutions auxquelles nous nous accrochons encore. Car il y a la réalité et il y a l’idéalisme. Ce dernier consiste à vouloir braver la milice religieuse terroriste avec des slogans progressistes, et à défier l’occupation comme on affronterait un problème de corruption administrative. La corruption nécessite une révolution, il est vrai, mais l’occupation exige une libération.
Nos anciens ont trop longtemps lutté pour que nous puissions nous permettre aujourd’hui de baisser les bras. Nous avons trop arrosé cette montagne de notre sang, de nos monastères, écoles, villages, clochers, cultures en terrasses, calvaires et chaumières. Nous avons surmonté le génocide mamelouk de 1285-1305, ainsi que Kafno, le génocide-famine de 1914-18, et enfin la guerre des années 70 et 80 où nous eûmes à affronter des mercenaires venues des quatre coins de la planète. Et nous avons ceci de particulier, que c’est aussi durant les siècles d’occupation que nous continuons à sculpter notre montagne et à développer nos établissements culturels que le Moyen Orient nous envie.
La résistance est un devoir et elle doit se développer sur plusieurs niveaux dont la microéconomie, l’énergie et les infrastructures à l’échelle municipale, les institutions éducatives et le secteur de la santé. Un volet crucial est aussi celui des structures millénaires telles que l’Eglise et ses nombreuses institutions qu’il faudrait encore développer et réadapter. Au côté de tout cela, il y a encore la résistance culturelle, voire même spirituelle, qui a déjà fait ses preuves dans l’histoire, comme en France et en Pologne. Cette dimension nous inspire plus particulièrement car elle semble former l’âme de la résistance.
La France
Pendant que la voix de la résistance en exile résonne dans « ici Londres », c’est sur le territoire français que le jésuite Pierre Chaillet publie clandestinement, les Cahiers du Témoignage chrétien, dont le premier s’intitule « France, prends garde de perdre ton âme ». Car c’est à l’âme d’une nation que s’attaque en premier lieu un ennemi totalitaire. Il cherche à la détruire, ce qui rend la résistance culturelle aussi essentielle que sa version militaire. Quelques mois plus tôt, le pasteur André Trocmé s’écriait : “Des pressions païennes formidables vont s'exercer sur nous-mêmes et sur nos familles, pour tenter de nous entraîner à une soumission passive à l'idéologie totalitaire... Le devoir des Chrétiens est d'opposer à la violence exercée sur leur conscience, les armes de l'Esprit”. C’est donc le moment d’écrire, de publier et de dénoncer, à partir d’ici, ici à Beyrouth, sur le territoire national occupé.
La Pologne
Le cas de la Pologne est encore plus frappant et semblable au notre. Unifié comme le Liban en 1919-1920, ce pays est occupé par les nazis dès 1939. Il subit de nombreux crimes de guerre qui lui coutent jusqu’à cinq millions de morts. Les Polonais luttent durement, endurant les représailles les plus terribles, seulement pour se retrouver simultanément libérés des nazis et occupés par l’Union Soviétique. Le Liban est loin d’être le seul pays à passer successivement d’une occupation à la suivante. Et cela ne devrait nullement fournir un prétexte pour le déserter. Ce sont la culture nationale et la foi qui ont sauvé la Pologne catholique face aux idéologies les plus athées, totalitaires et inhumaines de l’extrême droite nazie à l’extrême gauche marxiste.
Mgr Karol Wojtyla, le pape Jean-Paul II. Photo AFP
En 1920, Karol Wojtyla est né en même temps qu’une Pologne indépendante et unifiée. A l’âge de 19 ans il assiste au bombardement de Cracovie par les Nazis et à la déportation de 300 jeunes universitaires. Ayant échappé aux arrestations, il travaille ici et là comme ouvrier d’usines et prépare la résistance culturelle. En 1948, son pays devient staliniste et est choisi comme lieu de construction de Nowa Huta, la cité sans église, symbole et manifeste du communisme.
Karol Wojtyla y affronte le totalitarisme durant encore 30 années donnant des messes en plein air et en plein hiver devant des milliers de croyants dans cette cité glaciale. En 1977, il remporte sa première victoire en inaugurant la nouvelle église et en déclarant : "Nowa Huta a été conçue comme une cité sans Dieu. Mais la volonté de Dieu a prévalu. Que ceci serve de leçon". Un an plus tard il est élu pape et finit par faire tomber le rideau de fer et avec lui, tout le bloc soviétique. "C’est Dieu qui a vaincu à l’Est" lance-t-il devant des milliers de pèlerins.
Beaucoup de Libanais ont déjà mis une croix sur le Liban et ont choisi de partir. Personne ne pourra leur rendre leur foi. Il s’agit là d’un cheminement purement personnel. Mais la résistance doit se poursuivre malgré tout. Là où certains rêves révolutionnaires, certaines théories, certains combats se sont retrouvés obsolètes, là où l’avenir nous réserve d’immenses zones d’ombre et d’incertitudes, l’expérience nous montre que face à la terreur et au totalitarisme, l’Eglise finit toujours par vaincre.
Pour certains élitistes mondialistes, il s’agit de reconstruire le Liban sur des bases nouvelles selon le principe de la table rase. La laïcité est alors recherchée à outrance en sacrifiant les piliers qui ont fait leurs preuves durant des siècles. Mais peut-on affronter avec un idéal poétique et laïc, un monstre totalitaire et ultra religieux porté par une hystérie idéologique ? Des fléaux d’envahisseurs analogues ont été combattus par le passé, à plusieurs reprises, et toujours vaincus par les institutions auxquelles nous nous accrochons encore. Car il y a la réalité et il y a l’idéalisme. Ce dernier consiste à vouloir braver la milice religieuse terroriste avec des slogans progressistes, et à défier l’occupation comme on affronterait un problème de corruption administrative. La corruption nécessite une révolution, il est vrai, mais l’occupation exige une libération.
Nos anciens ont trop longtemps lutté pour que nous puissions nous permettre aujourd’hui de baisser les bras. Nous avons trop arrosé cette montagne de notre sang, de nos monastères, écoles, villages, clochers, cultures en terrasses, calvaires et chaumières. Nous avons surmonté le génocide mamelouk de 1285-1305, ainsi que Kafno, le génocide-famine de 1914-18, et enfin la guerre des années 70 et 80 où nous eûmes à affronter des mercenaires venues des quatre coins de la planète. Et nous avons ceci de particulier, que c’est aussi durant les siècles d’occupation que nous continuons à sculpter notre montagne et à développer nos établissements culturels que le Moyen Orient nous envie.
La résistance est un devoir et elle doit se développer sur plusieurs niveaux dont la microéconomie, l’énergie et les infrastructures à l’échelle municipale, les institutions éducatives et le secteur de la santé. Un volet crucial est aussi celui des structures millénaires telles que l’Eglise et ses nombreuses institutions qu’il faudrait encore développer et réadapter. Au côté de tout cela, il y a encore la résistance culturelle, voire même spirituelle, qui a déjà fait ses preuves dans l’histoire, comme en France et en Pologne. Cette dimension nous inspire plus particulièrement car elle semble former l’âme de la résistance.
La France
Pendant que la voix de la résistance en exile résonne dans « ici Londres », c’est sur le territoire français que le jésuite Pierre Chaillet publie clandestinement, les Cahiers du Témoignage chrétien, dont le premier s’intitule « France, prends garde de perdre ton âme ». Car c’est à l’âme d’une nation que s’attaque en premier lieu un ennemi totalitaire. Il cherche à la détruire, ce qui rend la résistance culturelle aussi essentielle que sa version militaire. Quelques mois plus tôt, le pasteur André Trocmé s’écriait : “Des pressions païennes formidables vont s'exercer sur nous-mêmes et sur nos familles, pour tenter de nous entraîner à une soumission passive à l'idéologie totalitaire... Le devoir des Chrétiens est d'opposer à la violence exercée sur leur conscience, les armes de l'Esprit”. C’est donc le moment d’écrire, de publier et de dénoncer, à partir d’ici, ici à Beyrouth, sur le territoire national occupé.
La Pologne
Le cas de la Pologne est encore plus frappant et semblable au notre. Unifié comme le Liban en 1919-1920, ce pays est occupé par les nazis dès 1939. Il subit de nombreux crimes de guerre qui lui coutent jusqu’à cinq millions de morts. Les Polonais luttent durement, endurant les représailles les plus terribles, seulement pour se retrouver simultanément libérés des nazis et occupés par l’Union Soviétique. Le Liban est loin d’être le seul pays à passer successivement d’une occupation à la suivante. Et cela ne devrait nullement fournir un prétexte pour le déserter. Ce sont la culture nationale et la foi qui ont sauvé la Pologne catholique face aux idéologies les plus athées, totalitaires et inhumaines de l’extrême droite nazie à l’extrême gauche marxiste.
Mgr Karol Wojtyla, le pape Jean-Paul II. Photo AFP
En 1920, Karol Wojtyla est né en même temps qu’une Pologne indépendante et unifiée. A l’âge de 19 ans il assiste au bombardement de Cracovie par les Nazis et à la déportation de 300 jeunes universitaires. Ayant échappé aux arrestations, il travaille ici et là comme ouvrier d’usines et prépare la résistance culturelle. En 1948, son pays devient staliniste et est choisi comme lieu de construction de Nowa Huta, la cité sans église, symbole et manifeste du communisme.
Karol Wojtyla y affronte le totalitarisme durant encore 30 années donnant des messes en plein air et en plein hiver devant des milliers de croyants dans cette cité glaciale. En 1977, il remporte sa première victoire en inaugurant la nouvelle église et en déclarant : "Nowa Huta a été conçue comme une cité sans Dieu. Mais la volonté de Dieu a prévalu. Que ceci serve de leçon". Un an plus tard il est élu pape et finit par faire tomber le rideau de fer et avec lui, tout le bloc soviétique. "C’est Dieu qui a vaincu à l’Est" lance-t-il devant des milliers de pèlerins.
Beaucoup de Libanais ont déjà mis une croix sur le Liban et ont choisi de partir. Personne ne pourra leur rendre leur foi. Il s’agit là d’un cheminement purement personnel. Mais la résistance doit se poursuivre malgré tout. Là où certains rêves révolutionnaires, certaines théories, certains combats se sont retrouvés obsolètes, là où l’avenir nous réserve d’immenses zones d’ombre et d’incertitudes, l’expérience nous montre que face à la terreur et au totalitarisme, l’Eglise finit toujours par vaincre.
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