Le débat sur la question est entretenu depuis plusieurs années : un dialogue national est-il réellement utile et pourrait-il déboucher sur des résultats concrets à l’ombre de la posture actuelle du Hezbollah, de l’arsenal militaire dont il dispose, et du vaste soutien inconditionnel que lui procure l’Iran sur tous les plans ? Ces interrogations ont été relancées à la suite de l’appel au dialogue lancé il y a une dizaine de jours par le président Michel Aoun lors de sa dernière intervention télévisée. Une réponse – négative – sans équivoque a été apportée vendredi à ces questions par l’ancien Premier ministre et chef du courant du Futur, Saad Hariri, qui est entré en contact par téléphone – de son lieu de résidence actuel aux Emirats – avec le président Michel Aoun pour l’informer de son refus de participer à un dialogue national, précisant que ce dernier ne pourrait avoir lieu avant les élections législatives prévues en mai prochain.
Le président Aoun avait essayé de prendre contact avec Saad Hariri, une première fois, pour l’inviter à participer à la conférence de dialogue, mais il n’était pas parvenu à le joindre. Face à ce silence lourd de sens, M. Aoun s’est trouvé acculé à faire parvenir son message à travers la députée de Saïda, Bahia Hariri (courant du Futur), pour que celle-ci prévienne son neveu du but de l’appel téléphonique. M. Hariri a par la suite contacté le président, et a respectueusement décliné l’invitation en précisant qu’il ʺne voyait pas l’intérêt de ce dialogue aujourd’hui et qu’il préférerait s’abstenir d’y participer avant les législatives ˮ. L’appel téléphonique entre les deux hommes a été ʺ court mais bienveillant ˮ, comme l’a indiqué une source proche de Baabda à Ici Beyrouth.

En tout état de cause, force est de relever qu’en prenant l’initiative de relancer le président Aoun, M. Hariri a fourni indirectement un indice dont il ressort qu’il n’a pas jeté l’éponge et qu’il continue à s’impliquer activement dans la vie politique libanaise, contrairement à ce que soutiennent certains de ses détracteurs. Dans les faits, M. Hariri serait actuellement en train de considérer ses options et d’étudier les conditions de son retour à Beyrouth, prévu dans les prochaines semaines, à en croire la rumeur publique dans la rue sunnite. Plus encore, le refus de l’ancien Premier ministre de se joindre à la conférence de dialogue avant la tenue des élections législatives met en exergue la volonté de ce dernier de ʺpeser le poids électoral de chacune des parties concernées, avant de se prononcer sur une éventuelle participation de sa part ˮ, avance une source informée à Ici Beyrouth.

Il est important de rappeler que l’entretien téléphonique de M. Hariri, vendredi, avec le chef de l’Etat est le premier depuis sa récusation en juillet 2021. En effet, les relations entre Baabda et la Maison du Centre sont extrêmement glaciales, du fait d’abord de la démission de M. Hariri en novembre 2019 suite aux mouvements populaires de contestations, et plus récemment, en raison de l’incapacité de M. Hariri à former un gouvernement l’an dernier, puisque le Courant patriotique libre (CPL) et son allié, le Hezbollah, l’empêchaient d’accomplir sa tâche en voulant contrôler le choix des ministres. Ces raisons, accompagnées d’une atmosphère particulièrement tendue, alimentée par des attaques verbales proliférées par les deux camps, ont culminé et ont atteint un divorce brutal, amer et peut-être même définitif. C’est d’ailleurs ce que laisse entendre l’ancien député et vice-président du courant du Futur, Moustapha Allouche, qui attribue cette rupture ʺaux innombrables atteintes émanant du président et de son gendre, Gebran Bassil, tout au long des deux dernières années, envers M. Hariri et son parti, ne laissant aucune marge pour une réconciliation ou une baisse de tensions ", indique M. Allouche à Ici Beyrouth.

Pour certains milieux optimistes, l’invitation de M. Aoun au dialogue serait peut-être ˮ un prélude à un dégel des tensions avec le courant du Futurʺ, comme l’a précisé un ancien Premier ministre à Ici Beyrouth. Une théorie très vite écartée par le général à la retraite et analyste politique, Khalil Hélou, qui soutient que ʺ le parti sunnite n’a aucune sympathie envers le CPL ˮ. Et d’ajouter que cette éventualité serait ʺun suicide politique pour M. Hariri, connu pour ses positions souvent controverséesʺ. En effet, une tentative de réconciliation est tout à fait exclue selon les milieux de l’opposition. L’invitation de M. Aoun ne s’inscrirait que dans un cadre ‘protocolaire’ car tous les chefs des partis politiques traditionnels auraient été conviés au même titre, comme l’a expliqué l’ancien vice-président du Conseil des ministres, Ghassan Hasbani (Forces libanaises). Et de poursuivre qu’une convocation à un dialogue national de la part du président ʺaurait dû se faire au début de son mandat et non pas lors de la dernière année de son sexennat, ou à quelques mois des élections législatives, car habituellement, cette dernière année est réservée à la préparation de la passation du pouvoir ˮ.
Ce point de vue est par ailleurs partagé par M. Allouche, qui profite de l’occasion pour relever que cette initiative présidentielle est ˮ la dernière cartouche du mandat Aoun pour s’imposer sur la scène politique libanaise, bien que le président sait pertinemment bien que cette conférence de dialogue ne mènera à rien, surtout si elle portera sur la stratégie de défense ˮ.

La conférence de dialogue paraît donc être, d’office, un flop total, car selon diverses sources, le courant du Futur, les Forces libanaises (FL), les Kataëb, et le Parti socialiste progressiste (PSP) refusent catégoriquement d’y participer et semblent ʺvouloir rendre au CPL la monnaie de leur pièce ˮ, pour citer le général Hélou, faisant allusion à la décision du parti orange et du Hezbollah, en 2012, de se retirer de la conférence de dialogue national qui avait été organisé par le président Michel Sleiman.