On aurait honte de commenter la dernière inutile séance électorale d’un président de la République. Le Liban n’est plus un État mais un territoire de criminalisation légale pourrait-on dire. Le crime organisé d’aujourd’hui est issu des élites et, secondairement, il recrute dans les bas-fonds de la société ses auxiliaires.
« Ils sont venus, ils sont tous là,
Dès qu’ils ont entendu ce cri :
Elle va mourir la mamma »
C’est ainsi que débute la célèbre chanson de Charles Aznavour.
Pour la 12ème séance électorale présidentielle, ils étaient effectivement tous venus, ils étaient bien tous là: 128 représentants d’un peuple, accourus non pour sauver une mère-patrie à l'agonie, mais bien pour en célébrer les rites funéraires. À la fin du décompte, ils n’étaient plus que 127 dans l’urne, un des bulletins ayant servi de dernier soupir qui s’était envolé dans les nuages, laissant dans l’enceinte de l’hémicycle le cadavre inerte de l’Etat.
On a compté et recompté. Quelques protestations molles ont fusé. Quelques gesticulations face aux micros des médias. Et puis, rien. Tout est rentré dans l’ordre criminel du terrorisme politico-mafieux qui a fait main basse sur le pays.
La crise actuelle de l’Etat libanais ne doit pas s’analyser selon la langue de bois des politologues infatués d’eux-mêmes. Cette crise doit pouvoir être perçue selon une double approche juridique et morale. Nous ne sommes plus face à un comportement politique digne d’analyse mais en présence d’une stratégie consciente et organisée du crime. La corruption n’explique pas tout. Le peuple libanais a été pillé en toute légalité.
La lamentable 12ème séance électorale ne différait en rien de celles qui l’ont précédée. La cause première du mal n’est pas dans les élu(e)s de la nation mais dans la loi électorale elle-même, scélérate par excellence tant elle interdit le jeu démocratique sain en créant des cartels de nature confessionnelle.
Certes il y a le bloc d’airain, ce tandem dit chiite Amal-Hezbollah qui bloque tout. En face, on a vu un bloc hétéroclite où se sont retrouvés deux groupes chrétiens rivaux mais qui ont accepté de se donner une accolade tactique pour la cérémonie électorale. Mais au nom de quelle raison politique ? Aucune. Un des groupes est bel et bien responsable de la dilapidation de 40 milliards de dollars dans le secteur de l’électricité. On ferme les yeux sur le crime. On accepte une alliance qui a honte de dire son nom. On n’ose pas jouer l’esprit-de-corps confessionnel comme d'habitude.
La démocratie serait-elle morte? On va finir par le croire. Le drame libanais est révélateur de quelque chose de plus universel. La corruption d’un système peut emprunter les voies obscures de l’illégalité: commissions, pots-de-vin, jeu d’écritures etc. Mais curieusement, elle peut se servir de la légalité. Dans une décision historique de janvier 2010, la Cour Suprême des États-Unis avait jugé que les entreprises et les syndicats peuvent dépenser sans limites dans les campagnes électorales (Citizens United v. Federal Election Commission). Ainsi, en dérégulant le financement, le magistrat suprême donne aux intérêts privés une arme redoutable contre la démocratie. Qui pourra encore s’étonner de la multiplication des malversations au sein des élites ?
Dans Géostratégie du crime, Jean-François Gayraud avertit : «Le temps de l’aveuglement aux phénomènes criminels est parallèle à celui de leur enracinement», ce qui devrait sonner l’alerte de la criminalisation de certains territoires.
N’est-il pas trop tard en ce qui concerne le Liban ? Ce pays pourra-t-il encore se libérer de l’étreinte criminelle qui l’étouffe par le biais de la mainmise du Hezbollah, et de ses alliés de tout bord, sur tous les leviers de l’Etat? Ce pays, jadis si prospère, donne l’exemple lamentable que le criminel n’est pas nécessairement un «damné de la terre» ni l’avant-garde de la révolution comme le pense l’historien Eric Hobsbawm. Le crime organisé, dans le monde actuel, s’épanouit au sein des classes aisées. Dans un deuxième temps, il recrute ses ressources humaines auxiliaires dans les bas-fonds de la société.
Mais l’originalité libanaise par excellence c’est que le crime organisé est en mesure de se revêtir des oripeaux de la religion, ou de l’appartenance confessionnelle, afin de paralyser le jugement citoyen. C’est ce qui permet de comprendre la surprenante passivité de l’opinion publique, incapable de se démarquer de certaines allégeances confessionnelles. Ces constats que nous évoquons étaient perceptibles sur tous les écrans lors de la transmission de la lamentable séance électorale.
1. Un pays sans État souverain, a-t-il vraiment besoin d’un chef d’État ?
2. L’élection d’un président de la République peut-elle encore mettre un frein à la fatalité inexorable ?
3. Un président, clef de voûte de l’édifice étatique peut-il jouer son rôle avant que la voûte ne soit reconstituée ?
Ce sont là les trois questions fondamentales qui conditionnent le positionnement des forces politiques actuelles. Quoi qu’il en soit, l’impression que laisse cette 12ème séance de simulacre démocratique c’est une sorte d’horreur métaphysique où on sait que tant que des milices étrangères ou autochtones tiendront en otage la volonté souveraine de l’État, tout jeu démocratique ne sera que simulacre.
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