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Certaines factions libanaises sont passées maîtres dans l’art de la diversion, de l’occultation des causes véritables de l’effondrement généralisé qui pointait du nez, lentement mais sûrement, et de manière savamment orchestrée, depuis fort longtemps… Pour ces factions, plus précisément pour le Hezbollah (puisqu’il faut l’appeler par son nom!), il est vital de banaliser la situation de "non Etat" dans laquelle se débattent désespérément les Libanais. Pour le parti pro-iranien, il est crucial de détourner tous les regards de ce qui constitue pour lui son oxygène, son fonds de commerce, à savoir les éléments d’une situation d’instabilité chronique.

Le Hezbollah, en sa qualité de tête de pont des pasdaran aux frontières d’Israël, s’évertue ainsi à n’épargner aucun effort, à mettre en œuvre tous les moyens possibles et imaginables (parfois même inimaginables!) pour plonger le Liban dans une situation guerrière permanente, dans un climat belliqueux qui n’a pas de fin. Et pour cause: pour pouvoir continuer à jouer son rôle régional de serviteur inconditionnel du nouvel empire perse, il se doit d’être l’antithèse du projet de réédification d’un Etat efficace et souverain.

Le nœud gordien qui bloque ainsi la sortie de crise ne réside nullement dans les revendications communautaires politiques du tandem chiite. Aussi importantes soient-elles, celles-ci constituent une sorte de diversion, un écran de fumée qui cache les effets du rôle transnational imparti au Hezbollah. Lorsque le parti pro-iranien s’obstine devant l’émissaire présidentiel français Jean-Yves Le Drian à s’en tenir à la candidature de Sleiman Frangié, c’est une façon pour lui de maintenir l’impasse pour permettre à son parrain iranien de détenir une carte supplémentaire en main dans ses négociations avec l’Occident. Et s’il appelle au "dialogue" pour débloquer la présidentielle, c’est parce qu’il sait qu’il aura toute la latitude d’entrainer ses interlocuteurs dans des labyrinthes jalonnés de petits détails portant sur l’équilibre des pouvoirs, de manière à reporter l’issue aux calendes grecques. Ils l’ont dit à plusieurs reprises, les dirigeants du parti ont tout le temps devant eux. Ils ne sont en aucune façon pressés. Il faudra attendre que la fumée blanche se dégage de Téhéran…

Le problème auquel est confronté par voie de conséquence M. Le Drian est par essence un problème de souveraineté et non de dosage politique interne. La clé de la solution se trouve sur ce plan à Téhéran et non entre les mains du Hezbollah. Cela implique que l’issue, et donc le déblocage de la présidentielle, doit s’inscrire dans le cadre d’un accord global, d’un package deal régional – voire international – incluant l’ensemble du contentieux encore en suspens avec les mollahs iraniens, notamment pour ce qui a trait à la place et au rôle qui pourraient être réservés à la République islamique.

C’est précisément à ce niveau que réside l’importance des efforts déployés par la France, par le biais de M. Le Drian, et l’Arabie saoudite. Des efforts qui devraient être facilités, sur le plan du principe, par l’accord de Pékin conclu en mars dernier par le royaume saoudien et l’Iran. Si la finalité du document de Pékin est, comme cela est certifié officiellement, d’établir une stabilité pérenne dans cette partie du monde, la carte libanaise – et donc la présidentielle – devrait être l’une des pièces maitresses du puzzle… Car il ne saurait y avoir de stabilité durable dans la région en dehors du passage obligé que constitue une nécessaire stabilité au pays du Cèdre. Terre d’accueil, le Liban, du fait de sa mosaïque socio-communautaire et de son attachement aux libertés, risque rapidement d’être un foyer de tension pour son environnement s’il continue à être traité comme un champ de manoeuvres par ses voisins plus ou moins proches.   

Ce n’est pas la première fois que le Liban est confronté de la sorte à un problème de souveraineté. De manière plus précise, l’aliénation de la souveraineté s’est manifestée dès la fin des années 1960, avec la présence des organisations palestiniennes armées, suivie de l’occupation syrienne, et aujourd’hui de l’hégémonie iranienne. Rien d’étonnant de ce fait que le pays ait été pris de manière quasi permanente, au fil des ans, dans un engrenage destructeur et qu’il en a résulté, par ricochet, une agitation sans cesse croissante qui s’est étendue peu à peu, comme un effet domino, à de nombreuses régions du Moyen-Orient. L’instabilité chronique au Liban ne pouvait que faire tache d’huile. 

Dans la conjoncture géopolitique présente, la restauration de la souveraineté perdue nécessite de rompre non pas les simples liens coutumiers, qui peuvent être compréhensibles, mais plutôt le cordon ombilical entre le Hezbollah et le pouvoir iranien. Et pour atteindre cet objectif impérieux, les Etats-Unis, la France et l’Arabie Saoudite doivent pouvoir présenter aux mollahs de Téhéran " une proposition qu’ils ne pourront pas refuser "…