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Il semble que, depuis la crise de 2019 au Liban, tout ce qui touche au Hezbollah ou à ses alliés est explicitement prohibé. Le pays de Charles Malek (coauteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme de l’ONU) s’affiche désormais comme fervent défenseur de l’injustice. C’est ce que démontre, entre autres prises de position, celle du ministre sortant des Affaires étrangères, Abdallah Bou Habib.

Jeudi, et à quelques heures avant un vote à l’ONU devant porter sur la création d’un organisme indépendant visant à clarifier le sort des quelque 100.000 disparus en Syrie, M. Bou Habib déclare publiquement, à la chaîne locale LBCI, que le Liban s’abstiendra de voter pour ce projet, parrainé par la communauté internationale. Une décision qu’a fortement condamnée l’Association des détenus et des victimes des disparitions forcées en Syrie qui a appelé le ministre Bou Habib à démissionner. La qualifiant de "non patriotique", l’Association a tenu pour responsables le ministre sortant des Affaires étrangères, le Premier ministre du gouvernement intérimaire, Najib Mikati, ainsi que l’ensemble du gouvernement des répercussions de cette décision. "Au vu de cette décision imprudente et irresponsable du ministre qui s’est désisté de ses responsabilités, de son rôle et de son patriotisme, nous demandons sa démission immédiate et réclamons qu’il présente ses excuses aux familles des détenus et des disparus ainsi qu’à tous les Libanais".

Dans un communiqué publié vendredi, l’Association a déclaré, en pointant du doigt M. Bou Habib: "N’a-t-il pas honte de ce que l’histoire retiendra de lui et de ce gouvernement non patriotique qui répond aux commandes d’un meurtrier et d’un criminel de guerre?". Elle rappelle par ailleurs que la Commission ne baissera pas les bras face à un "gouvernement corrompu" et qu’elle poursuivra sa mission qui consiste à libérer et à déterminer le sort des 622 soldats libanais détenus dans les prisons syriennes.

Une indignation partagée dans certains milieux politiques. "Ce qui l’emporte aujourd’hui sur notre sentiment de honte à l’égard de la décision prise par le gouvernement libanais, c’est notre satisfaction quant à l’adoption de la résolution", a déclaré, sur son compte Twitter, Georges Okaiss, député des Forces libanaises (FL).

Il convient, à cet égard, de rappeler qu’avec 83 voix pour, 11 contre et 62 abstentions, la résolution de l’Assemblée générale de l’ONU a, quand bien même, été adoptée.

"Ce qui m’intéresse, ainsi que tous les Libanais, c’est que la Commission nationale pour les disparus et les disparitions forcées, créée en vertu de la loi n° 105/2018, entre en contact avec l’organisme en question, une fois ses membres désignés, pour lui soumettre le dossier des disparus libanais dans les prisons syriennes", a ajouté M. Okaiss.

De son côté, l’ancien ministre et responsable des relations externes du parti des FL, Richard Kouyoumjian, s’est indigné sur Twitter: "[Cette décision] est une trahison nationale et humanitaire. Le Liban aurait dû suivre l’exemple honorable du Qatar et du Koweït".

Pour sa part, le député et ancien ministre de la Justice, Achraf Rifi, a qualifié cette prise position de "crime lâche et de désistement de responsabilité envers les familles des disparus". Il a rappelé que 622 soldats libanais sont portés disparus, en plus d’un nombre indéterminé de civils, et que c’est le régime syrien qui en est responsable.

Dans une interview accordée à notre confrère This is Beirut, le député Antoine Habshi (FL) a déclaré que "la création de l’organisme indépendant en question devrait être saluée et applaudie par tous les citoyens, notamment par le gouvernement libanais". Et M. Habshi de poursuivre: "Ne pas voter pour une telle résolution est une sorte de trahison, surtout que le Liban compte un grand nombre de disparus dans les prisons syriennes, dont le sort demeure inconnu. Une trahison à l’égard de l’armée libanaise dont des soldats sont également détenus en Syrie". M. Habchi a en outre appelé le ministre sortant Bou Habib à représenter le Liban et à ne pas se faire le porte-parole d’une puissance régionale, parce qu’il est "honteux que le Liban de Charles Malek, qui a participé à la rédaction de la Déclaration universelle des droits de l’homme, prenne le parti des tyrans".

Pour justifier sa décision qui a suscité une vague de colère, le ministère des Affaires étrangères a publié, dans la matinée du vendredi, un communiqué dans lequel il précise avoir demandé à la délégation libanaise de s’abstenir de voter conformément à ce qui a été décidé par une grande partie des pays arabes. Le second motif qu’il a avancé est celui de ne pas vouloir politiser un dossier à caractère humanitaire, ce qui pourrait accroître les problèmes, notamment en ce qui concerne le dossier des disparus libanais. Il précise également que "Le Liban tient à résoudre cette affaire ainsi que celle des déplacés syriens, via le dialogue et l’entente avec la Syrie et les instances arabes et internationales concernées", sachant qu’ "un éventuel vote du Liban pour la résolution aurait pu compromettre les travaux du Comité ministériel arabe".

Dans le communiqué, le ministère a insisté sur le point suivant: "Le Liban renouvelle son respect et son adhésion à la mise en œuvre de toutes les résolutions juridiques internationales qui ont été appliquées, ainsi qu’aux nombreuses résolutions qui ne l’ont pas encore été, puisqu’elles constituent un vecteur de protection pour la paix régionale et internationale".

Au-delà de ces justificatifs, les considérations pour lesquelles M. Bou Habib a adopté cette prise de position ne s’inscriraient-elles pas dans le cadre d’une série d’événements locaux et régionaux dont le retour de la Syrie à la Ligue arabe le 15 mai dernier?

Régression de l’approche libanaise du dossier

En soirée, la commission nationale indépendante chargée du dossier des personnes disparues a dénoncé la position du Liban, estimant qu’il s’agit d’une "régression regrettable et injustifiée de l’approche officielle" du dossier des personnes victimes de disparition forcée au Liban.

Saluant la décision des Nations unies, la commission a, dans un communiqué, appelé le gouvernement libanais à adopter à cet égard "une position qui soit plus cohérente avec les droits du peuple libanais, notamment les familles des détenus libanais dans les prisons syriennes". Elle l’a également invité à assumer ses responsabilités envers la commission et à la doter des outils nécessaires pour qu’elle puisse jouer son rôle. La commission a rappelé, dans ce cadre, que "le droit des familles des disparus à connaître le sort des leurs a été consacré dans la loi 105/2018 (sur les victimes de disparition forcée, NDLR)". Celle-ci a également souligné la responsbailité de la commission à coordonner avec les différentes parties libanaises et onusiennes pour faire la vérité sur le sort des disparus.