Le Premier ministre Nagib Mikati a récemment tenté, à travers une initiative de solution partielle ou de “minicompromis”, d’opérer un forcing pour libérer son gouvernement du blocage dans lequel ce dernier se trouve confiné.

M. Mikati s’est retranché derrière l’argument de l’adoption nécessaire et incontournable du budget avec un plan de sauvetage économique et un certain nombre de projets réformateurs, conditions posées par le Fonds monétaire international pour le début des négociations avant l’arrivée à Beyrouth de la mission chargée de ce dossier, le 21 janvier, pour sa première tournée au Liban.

Le président du Conseil estime en effet que nul ne peut bloquer le budget à l’ombre de la crise sociale et économique étouffante. L’approbation du budget constitue en outre l’entrée en matière principale pour les pourparlers avec le Fonds monétaire international (FMI), ce qui nécessite une revitalisation des réunions du gouvernement et de la Chambre.

Nagib Mikati a discuté de son initiative avec le président de la République, Michel Aoun, le 5 janvier, au palais de Baabda. Ce dernier a favorablement accueilli le retour des séances du gouvernement. M. Mikati s’est aussitôt penché sur les moyens de sortir du blocage actuel, en commençant par un assainissement des relations entre Baabda et Aïn el-Tiné. M. Aoun a finalement accepté de signer le décret d’ouverture d’une session extraordinaire pour que le budget soit adopté – et barrer la route à une pétition de 70 députés qui réclamerait l’ouverture de cette dernière.

Le président du Conseil a aussitôt contacté M. Berry pour l’informer de la bonne nouvelle. Le président de la Chambre a appelé à son tour M. Aoun par téléphone, souhaitant que le geste du locataire de Baabda marque le début d’une nouvelle ère. Mais la trêve n’a pas duré longtemps.

Les événements se sont de nouveau gâtés lorsque M. Aoun a fixé l’ordre du jour de la session extraordinaire, qui s’étend du 10 janvier au 22 mars. M. Berry s’y est opposé, affirmant que cela constitue une atteinte aux prérogatives de la Chambre souveraine, dont c’est au bureau de fixer l’ordre du jour. Or, selon un ancien ministre et expert constitutionnel, M. Berry aurait lui-même transgressé la Constitution, dans la mesure où la détermination de l’ordre du jour de la session extraordinaire relève des prérogatives du président de la République.

De plus, M. Berry n’a pas rendu la pareille à M. Aoun et s’est abstenu de “libérer” le décret relatif à la promotion 1994 des officiers, qui traîne dans les bureaux du ministère des Finances depuis un moment. Il s’est contenté d’obtenir une immunité pour les ministres et députés déférés devant le juge d’instruction dans l’affaire de l’explosion du port.

Au lieu de contribuer à briser la glace entre Baabda et Aïn el-Tiné, Nagib Mikati a, sans le vouloir, compliqué les choses, suscitant une polémique sur l’article de 33 de la Constitution, en dépit de la clarté de ce dernier.

Qu’à cela ne tienne, des sources parlementaires proches de Nabih Berry considèrent que la démarche de M. Aoun était piégée. Aussi réclament-elles un compromis global, et non une solution partielle ou un “minicompromis”. L’important pour M. Berry, disent-elles, est que l’enquête avec les ministres et les députés dans l’affaire de l’explosion du port soit désormais entre les mains d’une commission parlementaire. Toute solution ne prenant pas en considération dans les détails cette question, avec un vote des députés du Courant patriotique libre en faveur de la distinction nette au niveau du traitement entre les fonctionnaires et les députés et ministres, est irrecevable, notent ces sources. Ce à quoi le mandat répond que “Aoun a abandonné la question du compromis, qui a échoué, et oeuvre à la relance des institutions sans conditions et revendications, dans la mesure où la sécurité sociale et alimentaire du citoyen passe avant tout”.

Des sources proches du Grand Sérail affirment de leur côté que Nagib Mikati attendrait que le ministres des Finances lui soumette un projet de budget pour appeler le gouvernement à se réunir, sachant que le ministre en question fait partie du camp qui boycotte les réunions du Conseil des ministres et retardera certainement l’envoi du projet de budget en attendant qu’un compromis mûrisse. Ces sources ajoutent que l’initiative reste d’actualité et que M. Mikati cherche à arrondir les angles pour revitaliser les institutions et sortir de cet état de paralysie mortelle.

Selon des sources proches de l’opposition, le bras de fer entre les gens du pouvoir se poursuit, chacun semant des mines sur le chemin de l’autre. Ils continuent de privilégier leur intérêts et leurs agendas à ceux des citoyens, notent ces sources, d’où l’absence de coordination sérieuse pour trouver une solution à la crise.

Selon un pôle du 8 Mars proche de la banlieue sud, le Hezbollah ne s’est pas mêlé de l’initiative de Nagib Mikati et s’est contenté de camper sur sa position en faveur du déssaisissement du juge Bitar, lequel est “à l’origine de la crise”. “Telle est la volonté de Hassan Nasrallah”, indiquent ces sources. Cependant, le parti serait en faveur de la tenue d’élections législatives à même de propulser le Liban dans une nouvelle étape et qui mettraient un terme à un cumul de problèmes hérités depuis 2018, comme l’avait souligné fin 2021 le secrétaire général adjoint du Hezbollah, le cheikh Naïm Kassem. Le Hezbollah n’est ainsi en faveur d’aucune solution partielle, mais prône une solution globale qui partirait d’un changement de régime et de mentalité politique.

De son côté, le mouvement Amal rejette toute décision avant que la question du port ne soit réglée. Des sources de l’opposition estiment que la persistance du duopole chiite à clore l’enquête sur le port serait due à l’inquiétude du Hezbollah concernant l’acte d’accusation à paraître. C’est pourquoi le parti souhaite le limogeage du juge Bitar avant que ce dernier ne fasse paraître son acte d’accusation, en février, qui pourrait aussitôt être récupéré à des fins politiques. Sans oublier sa volonté de rester en retrait à l’ombre des négociations entre Téhéran et la communauté internationale à Vienne, en attendant un mot d’ordre iranien.

Mais il y a aussi l’angoisse des élections. Le Hezbollah prétend vouloir la tenue du scrutin, mais il craint des résultats qui provoqueraient un changement de majorité en faveur de ses adversaires, à un moment de profondes mutations régionales, où il se considère comme victime d’une attaque ciblée contre lui. D’autant qu’il est désormais considéré par bien de ses alliés comme un pestiféré dont il vaut mieux ne pas trop s’approcher en période électorale, surtout avec la montée en puissance de la fibre souverainiste au sein de l’électorat libanais. C’est pourquoi il s’emploie à bloquer les institutions, dans l’espoir de torpiller les élections, impossible sans un cabinet capable de prendre des décisions exécutives. Quand bien même, rétorquent des observateurs, le Hezbollah est incapable d’empêcher un scrutin s’il existe une volonté internationale qu’il ait lieu.

Des sources proches de M. Mikati indiquent que ce dernier pourrait s’aventurer à convoquer le Conseil des ministres à une réunion, fort du soutien international à la tenue des législatives, et sur base du principe de la séparation des pouvoirs – surtout avec l’approche des négociations avec le FMI en février. Ce qui pousserait tout le monde, y compris le mandat, dans ses derniers retranchements.

À quoi des sources diplomatiques répondent, laconiques: “Ne vous fatiguez pas, attendez les résultats des négociations à Vienne, seules capables de déterminer dans quelle direction ira le Liban…”

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