Cette prévision stratégique est une synthèse de plusieurs prévisions (Forecast) d’analystes géopoliticiens et d’évaluations personnelles de l’auteur. Sa lecture nécessite 15 à 20 minutes.
En 1920, une partie des Libanais ne voulaient pas du Grand Liban et lui préféraient l’union syrienne, et une autre partie était convaincue que le pays ne pouvait survivre dans ses frontières actuelles. Seuls les éclairés qui étaient derrière la récupération des territoires historiques des émirats libanais des XVIe et XIXe siècles étaient confiants en l’avenir du pays. Trente-huit ans plus tard, la guerre de 1958 entre les nationalistes arabes d’une part, et les pro-occidentaux et promonarchies arabes d’autre part, était perçue comme un jalon sur le chemin de l’extinction du pays. Depuis, certains voyaient le salut par le retour au Liban de la Moutasarrifiya des 4 000 km2, alors que d’autres ambitionnaient l’union avec l’Égypte et la Syrie au sein de la République arabe unie. En 1975 rebelote avec la guerre, tendances à la partition d’une part et nationalisme arabe de l’autre partageaient l’opinion, alors que les éclairés voyaient le salut en les institutions étatiques loin des émotions et du romantisme démesuré. À chaque événement majeur, les champions du fait accompli annonçaient la fin imminente du Liban de 1920. Les théoriciens d’aujourd’hui font de même et les visions pour le Liban circulent comme des feux de paille. Le petit Liban de 1861 fait rêver les uns, les nationalismes arabe, syrien, libanais, syriaque… sont les fantasmes des autres, les partitionnistes excellent dans l’art de prouver que leur projet est unificateur sous l’étiquette du fédéralisme, alors que les sympathisants de l’impérialisme perse s’imaginent qu’ils sont à deux doigts de réaliser leurs ambitions démesurées, bref! un cocktail Molotov de théories explosives et contradictoires. En contrepartie, notre Constitution a résisté à toutes les guerres et toutes les tempêtes intellectuelles. Elle continue aujourd’hui à résister aux saboteurs et son changement radical est impossible. Les Libanais éclairés et le citoyen moyen tiennent plus que jamais loin des théories à leur pays dans ses frontières actuelles et à leurs institutions étatiques. Ils ambitionnent de voir ces institutions nettoyées des parasites, des incapables et des malintentionnés qui y pullulent. Le mal est non pas dans les institutions, mais dans les personnes qui les font fonctionner. Un bulldozer opéré par un professionnel est bien plus efficace et surtout moins dangereux qu’un autre opéré par un abruti.
Les prévisions d’avenir devraient être faites non pas sous la pression des événements du moment, aussi dramatiques soient-ils, mais devraient tenir compte des constantes plus solides, tel que le stipule le principe fondamental de la géopolitique. En ce début de 2022, le monde n’est pas dans ses meilleurs jours. Il est ravagé par des crises sans précédent dans l’époque contemporaine, ce qui n’est point favorable à la restauration de la souveraineté du Liban et de ses institutions étatiques, et pourtant rien n’est perdu, bien au contraire, car les problèmes universels ne nuisent pas seulement au Liban mais aussi à ses détracteurs. Qu’en sera-t-il donc du monde, de la région et du Liban en 2022?
Le monde est interconnecté de manière tellement étroite que le Liban vivra en 2022, directement ou indirectement, les répercussions des crises, principalement celles du Covid-19 et de ses conséquences mondiales, de l’instabilité des prix du carburant, du manque de denrées alimentaires et de la recrudescence du terrorisme qui fleurirait dans les milieux défavorisés. Par contre, les leçons de l’histoire indiquent que de telles crises sont toujours suivies de pics positifs de stabilité et de prospérité.
Fin 2021, moins de la moitié de la population mondiale était complètement vaccinée contre le Covid-19. Les régions les moins vaccinées ont vu apparaître les variants plus contagieux que le virus initial, notamment le variant britannique avant la vaccination, le Delta en Inde, qui s'est rapidement propagé dans le monde entier battant en brèche les défenses des personnes déjà vaccinées, et l’Omicron qui sévit actuellement a été identifié pour la première fois en Afrique du Sud où le taux de vaccination complète était seulement de 27% (comme au Liban) fin décembre 2021, et semble maintenant beaucoup plus contagieux que le Delta, bien que sa gravité n'ait pas encore été entièrement déterminée. Même si la couverture vaccinale augmente considérablement en 2022, nous devrions être prêts à continuer à vivre avec l’endémie de Covid-19.
La pandémie du Covid-19 continuera à ralentir l’économie mondiale en 2022. Déjà 131 millions de personnes supplémentaires sont sous le seuil de la pauvreté de par le monde à cause du Covid-19. La hausse de l'inflation dans les pays industrialisés et l’hyperinflation qui frappe plusieurs pays en voie de développement menacent de déstabiliser davantage les économies des pays en manque de ressources, entre autres le Liban. En effet, la communauté internationale se verrait obligée de venir en aide financière aux pays les plus pauvres, sans pouvoir assurer tous les fonds nécessaires. Sans cette aide, l'instabilité politique et sécuritaire dans ces pays, y compris le nôtre, s'intensifierait, déborderait les frontières, laisserait plus de marge de manœuvre aux organisations terroristes, surtout dans les milieux les plus pauvres, et aggraverait la crise de l’immigration illégale vers le monde libre. À titre d’exemple, et selon les Nations unies, 3,5 millions de personnes sont déplacées à l'intérieur de l’Afghanistan, et 2,6 millions de réfugiés afghans se trouvent en Iran et au Pakistan. Ces réfugiés propulsent davantage l’immigration illégale vers l'Europe, et sont un milieu favorable de recrutement aussi bien pour le régime des mollahs de Téhéran que pour les organisations extrémistes fondamentalistes, ce qui augmenterait en 2022 les risques d'activités terroristes dans le monde, y compris d'éventuelles attaques contre les intérêts américains ainsi que ceux de la Russie et de la Chine.
En novembre dernier, le Programme alimentaire mondial (World Food Program) a averti que 45 millions de personnes sont au bord de la famine dans 43 pays, dont le Liban et la Syrie, et les coûts des denrées alimentaires resteraient à la hausse en 2022. Ceci est dû à une convergence de facteurs dont le Covid-19, induisant distanciation sur les lieux de travail, réduction du personnel, absentéisme, dont le résultat est la chute de la production qui ne satisfait plus les demandes, surtout dans les secteurs alimentaires et celui des puces électroniques. Les changements climatiques qui perdurent seront défavorables à l’agriculture et l’élevage, et les prix instables du carburant induiraient une baisse de la production de pétrole et de gaz, dont le résultat sera une augmentation/fluctuation des coûts de transport.
Les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Union européenne, principaux concernés qui endossent des responsabilités mondiales faces aux crises mentionnées, resteront concentrés sur leurs problèmes internes en 2022, notamment la pandémie du Covid-19 et ses conséquences, les immigrés illégaux, l’insécurité et l’inflation. Ils seront également très préoccupés par leurs conflits mutuels. Ceci augmentera considérablement les marges de manœuvres des puissances régionales, surtout au Moyen-Orient, et celles-ci étendront certainement leurs influences géostratégiques en 2022. Les puissances régionales les mieux placées pour avoir le plus d’influence sont celles qui gèrent avec succès le Covid-19, notamment Israël, la Turquie, les pays arabes du Golfe et l’Iran, leurs taux de vaccination complète variant entre 62 et 93%.
Washington dépriorise le Moyen-Orient depuis plusieurs années, la Russie a une présence limitée en Syrie, ses intérêts vitaux étant au Caucase et en Europe de l’Est, et la Chine déjà fortement présente économiquement dans la région ne s’immisce pas dans les problèmes régionaux. Ceci dynamise la politique étrangère des puissances régionales et la rend moins idéologique et plus pragmatique. En 2022, les États du Golfe opteront en priorité pour le développement économique et la stabilité interne. Dans ce cadre, les relations entre les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite resteront solides malgré leurs divergences quant aux relations avec la Turquie, les quotas de production de pétrole, le projet d’énergie solaire futuriste régional et le niveau de contacts avec l’Iran et le régime syrien. Le CCG solidifiera ses liens avec Israël sur les plans économiques et technologiques, et pour faire face à l’Iran, sans nécessairement une normalisation complète avec l'État hébreu surtout de la part de l’Arabie saoudite. Dans cette confrontation avec Téhéran, ils auront toujours besoin des grandes puissances et ne pourront jamais résoudre ce problème régionalement. Par ailleurs, ils tendront la main à de nouveaux alliés potentiels qui ne sont pas alignés sur l’Iran, notamment les partis nationalistes chiites irakiens, sortis gagnants des élections législatives de 2021. Ceux-ci sont engagés dans un processus prolongé de formation d’un nouveau gouvernement, et une longue et violente confrontation est prévue en 2022 entre eux et les milices pro-iraniennes. Sur ce chapitre, la colère du public iranien se manifestera toujours en 2022, en protestation aux dépenses des fonds à l'étranger, mais ceci ne mettra nullement le régime des mollahs en danger. Les Assa’ib Ahl al-Haq (milice pro-iranienne) en Irak s’occuperont plus de leurs intérêts politiques locaux que de s’opposer aux États-Unis, contrairement à la volonté stratégique iranienne. Ceci pousserait les décideurs à Téhéran à s'appuyer de plus en plus sur de petites unités spéciales, qui agiraient en solo indépendamment du leadership de ces milices, en utilisant drones et/ou missiles contre des objectifs américains ou arabes afin de soutirer des concessions de la part des Occidentaux concernant les sanctions qui frappent l’Iran.
En Syrie, l’amélioration des liens du CCG avec Bachar el-Assad sera toujours conditionnée en 2022 par la limitation palpable de l’influence iranienne en Syrie, ce qui est loin d’être chose faite, sauf dans les médias et les rumeurs. Au Liban, le lien du CCG avec les parties anti-iraniennes restera tributaire du sérieux et de la crédibilité de leurs actions nationales, et non de leurs discours populistes.
Enfin, la crise du Yémen continuera à peser lourd sur l’Arabie saoudite, sans qu’une fin du conflit ne soit perceptible en 2022, et sans réalisation d’une victoire décisive de l’un des belligérants. Le Yémen est devenu et resterait pour Riyad en 2022, le Vietnam des années 60-70 pour les Américains, et l’Afghanistan des années 80 des Soviétiques. Les Saoudiens multiplieront les pressions militaires et diplomatiques afin de réaliser un arrangement honorable, toutefois l’agenda des Houthis et les empreintes iraniennes ne vont pas en ce sens, avec ou sans accord à Vienne.
Les Iraniens exigent la levée totale des 1500 sanctions américaines qui pèsent lourd sur leur économie. Pour cette fin, ils multiplieront en 2022 leurs attaques aux drones, missiles et mines navales par tiers interposés, et leurs attaques cyberélectroniques furtives contre des objectifs arabes, israéliens et américains. Ils continueront également pour le même objectif, à développer leurs propres technologies atomiques leur permettant de devenir la dixième puissance nucléaire mondiale, sans toutefois le devenir réellement afin de ne pas attirer les foudres occidentales et israéliennes. Ces technologies atomiques avancées, à elles seules, seront le moyen de dissuasion le plus efficace afin d’empêcher toute administration américaine future de remettre en place les sanctions qu’un éventuel accord pourrait lever, surtout que des pressions sur Joe Biden sont en cours d’élaboration au Congrès américain, afin qu’il impose des sanctions encore plus dures sur Téhéran, comme celles visant l’arrêt de l’exportation de pétrole iranien vers la Chine.
Il est probable qu’un accord aboutira à Vienne en 2022, toutefois il serait moins restrictif que celui de 2015 vis-à-vis de l’Iran, et ne stipulerait pas la levée complète des sanctions. Cependant, des actions militaires américaines et/ou israéliennes contre les installations nucléaires iraniennes ne sont pas à exclure. Dans ce cas le risque pour le Liban serait l’utilisation du Hezbollah par l’Iran pour mener une «guerre» furtive contre Israël de par le monde, comme par exemple la prise pour cibles des diplomates ou des ressortissants israéliens à l’étranger, et moins probablement de déclencher un conflit militaire direct où Israël subirait des dégâts importants, mais finirait par ruiner le Liban vu sa supériorité militaire. Aucune partie au monde et au Moyen-Orient ne veut cette escalade, toutefois les tensions existantes risquent d’induire de mauvais calculs ou bien des accrochages par inadvertance qui mèneraient à un conflit de plus grande envergure.
Les crises mondiales et régionales se répercutent sur l’économie libanaise, déjà en ruines. À ce problème indépendant des Libanais, viennent s’ajouter l’incapacité de l'État à contrôler ses frontières et le manque à gagner pour le Trésor public qui en résulte, et la corruption métastatique à tous les niveaux. Cette situation se prolongera en 2022, et aucune percée dramatique au niveau politique n’est en vue. Les élections législatives prévues en mai apporteraient des changements plus ou moins importants au niveau parlementaire qui dépendraient largement de la crédibilité des candidats de l’opposition tous bords confondus. Le Hezbollah, allié de l’Iran, restera la puissance dominante, fort de ses armes, de son idéologie, de ses institutions et de son sponsor. Il a son agenda local qui se résume par l’affirmation de ses acquis par les armes dans les textes constitutionnels, chose qui n’aura pas lieu de gré, face à la résistance de la majorité des Libanais. Dans ce cadre, les partis qui se veulent souverainistes, et qui avaient acquiescé à plusieurs compromis avec le parti de Dieu depuis les arrangements de Doha (2008), ont perdu beaucoup de crédibilité et risquent d’en perdre encore si leurs alliances électorales se basent sur l’affairisme. Le manque de gouvernance au sein de ces partis nécessite de vraies réformes et une mise en place de processus internes de responsabilisation, afin de créer une courroie de transmission entre les partisans et le leadership qui semble prendre sa base partisane pour acquise, quelles que soient les décisions au sommet de la hiérarchie. L’absence d’union de ces partis au sein d’une seule opposition synthétique, plurielle, sérieuse et crédible, les laissera aussi bien que la révolution du 17 Octobre en perte de vitesse en 2022. Cette révolution du 17 Octobre, à son tour, n’a toujours pas réussi à mûrir une attitude politique crédible, ni à élaborer un processus de coordination efficace interne et externe. Elle continue à caresser des rêveries irréalisables, démontrant de l’amateurisme face à un duo armé, idéologique, structuré, et à dimension régionale. Si cet état de fait se poursuit en 2022, ce sera toujours l’impasse et le blocage au niveau national, avec ou sans élections législatives. Ces élections, si elles ont lieu, ne changeraient rien à l’équilibre des forces sur le terrain, à savoir les 100 000 missiles et les 100 000 combattants jaloux de leurs acquis et craignant de voir leur suprématie s’atténuer. Au milieu de ce pêle-mêle national, les résistants à l’hégémonie du duo armé continueront en 2022 à revendiquer la mise en application des législations locales, arabes et internationales qui garantissent le cadre légal protégeant le Liban, le duo armé auquel ils s’opposent ne jouissant, lui, d’aucun cadre légal et/ou légitime.
Le Liban de 1920 ne disparaîtra certainement pas en 2022. Il n’y aura ni partition, ni fédéralisme, ni changement de frontières, ni nationalisme quel qu’il soit. L’attachement des Libanais à leur pays enraciné dans l’histoire, le déséquilibre mondial, la préoccupation des grandes puissances par leurs affaires internes et leurs conflits mutuels, et l’équilibre des forces régionales, ne favorisent en aucun cas la remise en question ni des frontières, ni de la Constitution, ni le glissement vers un conflit armé interne visant à faire prévaloir l’une ou l’autre des visions locales qui circulent. Le Liban continuera à vivre en 2022 et plus longtemps encore, et pas plus dramatiquement que le reste du monde.
Bonne année 2022!
I - Histoire et prévisions
Liban de 1920: un siècle, mais pas pour rien
En 1920, une partie des Libanais ne voulaient pas du Grand Liban et lui préféraient l’union syrienne, et une autre partie était convaincue que le pays ne pouvait survivre dans ses frontières actuelles. Seuls les éclairés qui étaient derrière la récupération des territoires historiques des émirats libanais des XVIe et XIXe siècles étaient confiants en l’avenir du pays. Trente-huit ans plus tard, la guerre de 1958 entre les nationalistes arabes d’une part, et les pro-occidentaux et promonarchies arabes d’autre part, était perçue comme un jalon sur le chemin de l’extinction du pays. Depuis, certains voyaient le salut par le retour au Liban de la Moutasarrifiya des 4 000 km2, alors que d’autres ambitionnaient l’union avec l’Égypte et la Syrie au sein de la République arabe unie. En 1975 rebelote avec la guerre, tendances à la partition d’une part et nationalisme arabe de l’autre partageaient l’opinion, alors que les éclairés voyaient le salut en les institutions étatiques loin des émotions et du romantisme démesuré. À chaque événement majeur, les champions du fait accompli annonçaient la fin imminente du Liban de 1920. Les théoriciens d’aujourd’hui font de même et les visions pour le Liban circulent comme des feux de paille. Le petit Liban de 1861 fait rêver les uns, les nationalismes arabe, syrien, libanais, syriaque… sont les fantasmes des autres, les partitionnistes excellent dans l’art de prouver que leur projet est unificateur sous l’étiquette du fédéralisme, alors que les sympathisants de l’impérialisme perse s’imaginent qu’ils sont à deux doigts de réaliser leurs ambitions démesurées, bref! un cocktail Molotov de théories explosives et contradictoires. En contrepartie, notre Constitution a résisté à toutes les guerres et toutes les tempêtes intellectuelles. Elle continue aujourd’hui à résister aux saboteurs et son changement radical est impossible. Les Libanais éclairés et le citoyen moyen tiennent plus que jamais loin des théories à leur pays dans ses frontières actuelles et à leurs institutions étatiques. Ils ambitionnent de voir ces institutions nettoyées des parasites, des incapables et des malintentionnés qui y pullulent. Le mal est non pas dans les institutions, mais dans les personnes qui les font fonctionner. Un bulldozer opéré par un professionnel est bien plus efficace et surtout moins dangereux qu’un autre opéré par un abruti.
Prévoir 2022, mais pas sous la pression des évènements présents
Les prévisions d’avenir devraient être faites non pas sous la pression des événements du moment, aussi dramatiques soient-ils, mais devraient tenir compte des constantes plus solides, tel que le stipule le principe fondamental de la géopolitique. En ce début de 2022, le monde n’est pas dans ses meilleurs jours. Il est ravagé par des crises sans précédent dans l’époque contemporaine, ce qui n’est point favorable à la restauration de la souveraineté du Liban et de ses institutions étatiques, et pourtant rien n’est perdu, bien au contraire, car les problèmes universels ne nuisent pas seulement au Liban mais aussi à ses détracteurs. Qu’en sera-t-il donc du monde, de la région et du Liban en 2022?
II - Mondialement
Le monde est interconnecté de manière tellement étroite que le Liban vivra en 2022, directement ou indirectement, les répercussions des crises, principalement celles du Covid-19 et de ses conséquences mondiales, de l’instabilité des prix du carburant, du manque de denrées alimentaires et de la recrudescence du terrorisme qui fleurirait dans les milieux défavorisés. Par contre, les leçons de l’histoire indiquent que de telles crises sont toujours suivies de pics positifs de stabilité et de prospérité.
L’endémie du Covid-19 continuera en 2022
Fin 2021, moins de la moitié de la population mondiale était complètement vaccinée contre le Covid-19. Les régions les moins vaccinées ont vu apparaître les variants plus contagieux que le virus initial, notamment le variant britannique avant la vaccination, le Delta en Inde, qui s'est rapidement propagé dans le monde entier battant en brèche les défenses des personnes déjà vaccinées, et l’Omicron qui sévit actuellement a été identifié pour la première fois en Afrique du Sud où le taux de vaccination complète était seulement de 27% (comme au Liban) fin décembre 2021, et semble maintenant beaucoup plus contagieux que le Delta, bien que sa gravité n'ait pas encore été entièrement déterminée. Même si la couverture vaccinale augmente considérablement en 2022, nous devrions être prêts à continuer à vivre avec l’endémie de Covid-19.
Taux de pauvreté, immigration illégale, et risques de terrorisme à la hausse
La pandémie du Covid-19 continuera à ralentir l’économie mondiale en 2022. Déjà 131 millions de personnes supplémentaires sont sous le seuil de la pauvreté de par le monde à cause du Covid-19. La hausse de l'inflation dans les pays industrialisés et l’hyperinflation qui frappe plusieurs pays en voie de développement menacent de déstabiliser davantage les économies des pays en manque de ressources, entre autres le Liban. En effet, la communauté internationale se verrait obligée de venir en aide financière aux pays les plus pauvres, sans pouvoir assurer tous les fonds nécessaires. Sans cette aide, l'instabilité politique et sécuritaire dans ces pays, y compris le nôtre, s'intensifierait, déborderait les frontières, laisserait plus de marge de manœuvre aux organisations terroristes, surtout dans les milieux les plus pauvres, et aggraverait la crise de l’immigration illégale vers le monde libre. À titre d’exemple, et selon les Nations unies, 3,5 millions de personnes sont déplacées à l'intérieur de l’Afghanistan, et 2,6 millions de réfugiés afghans se trouvent en Iran et au Pakistan. Ces réfugiés propulsent davantage l’immigration illégale vers l'Europe, et sont un milieu favorable de recrutement aussi bien pour le régime des mollahs de Téhéran que pour les organisations extrémistes fondamentalistes, ce qui augmenterait en 2022 les risques d'activités terroristes dans le monde, y compris d'éventuelles attaques contre les intérêts américains ainsi que ceux de la Russie et de la Chine.
Crise alimentaire accentuée en perspective
En novembre dernier, le Programme alimentaire mondial (World Food Program) a averti que 45 millions de personnes sont au bord de la famine dans 43 pays, dont le Liban et la Syrie, et les coûts des denrées alimentaires resteraient à la hausse en 2022. Ceci est dû à une convergence de facteurs dont le Covid-19, induisant distanciation sur les lieux de travail, réduction du personnel, absentéisme, dont le résultat est la chute de la production qui ne satisfait plus les demandes, surtout dans les secteurs alimentaires et celui des puces électroniques. Les changements climatiques qui perdurent seront défavorables à l’agriculture et l’élevage, et les prix instables du carburant induiraient une baisse de la production de pétrole et de gaz, dont le résultat sera une augmentation/fluctuation des coûts de transport.
Les grandes puissances concentrées sur leurs problèmes internes
Les États-Unis, la Chine, la Russie et l’Union européenne, principaux concernés qui endossent des responsabilités mondiales faces aux crises mentionnées, resteront concentrés sur leurs problèmes internes en 2022, notamment la pandémie du Covid-19 et ses conséquences, les immigrés illégaux, l’insécurité et l’inflation. Ils seront également très préoccupés par leurs conflits mutuels. Ceci augmentera considérablement les marges de manœuvres des puissances régionales, surtout au Moyen-Orient, et celles-ci étendront certainement leurs influences géostratégiques en 2022. Les puissances régionales les mieux placées pour avoir le plus d’influence sont celles qui gèrent avec succès le Covid-19, notamment Israël, la Turquie, les pays arabes du Golfe et l’Iran, leurs taux de vaccination complète variant entre 62 et 93%.
III - Au niveau régional
Le Conseil de Coopération du Golfe (CCG), la Syrie et l’Irak, convergences et divergences
Washington dépriorise le Moyen-Orient depuis plusieurs années, la Russie a une présence limitée en Syrie, ses intérêts vitaux étant au Caucase et en Europe de l’Est, et la Chine déjà fortement présente économiquement dans la région ne s’immisce pas dans les problèmes régionaux. Ceci dynamise la politique étrangère des puissances régionales et la rend moins idéologique et plus pragmatique. En 2022, les États du Golfe opteront en priorité pour le développement économique et la stabilité interne. Dans ce cadre, les relations entre les Émirats arabes unis et l'Arabie saoudite resteront solides malgré leurs divergences quant aux relations avec la Turquie, les quotas de production de pétrole, le projet d’énergie solaire futuriste régional et le niveau de contacts avec l’Iran et le régime syrien. Le CCG solidifiera ses liens avec Israël sur les plans économiques et technologiques, et pour faire face à l’Iran, sans nécessairement une normalisation complète avec l'État hébreu surtout de la part de l’Arabie saoudite. Dans cette confrontation avec Téhéran, ils auront toujours besoin des grandes puissances et ne pourront jamais résoudre ce problème régionalement. Par ailleurs, ils tendront la main à de nouveaux alliés potentiels qui ne sont pas alignés sur l’Iran, notamment les partis nationalistes chiites irakiens, sortis gagnants des élections législatives de 2021. Ceux-ci sont engagés dans un processus prolongé de formation d’un nouveau gouvernement, et une longue et violente confrontation est prévue en 2022 entre eux et les milices pro-iraniennes. Sur ce chapitre, la colère du public iranien se manifestera toujours en 2022, en protestation aux dépenses des fonds à l'étranger, mais ceci ne mettra nullement le régime des mollahs en danger. Les Assa’ib Ahl al-Haq (milice pro-iranienne) en Irak s’occuperont plus de leurs intérêts politiques locaux que de s’opposer aux États-Unis, contrairement à la volonté stratégique iranienne. Ceci pousserait les décideurs à Téhéran à s'appuyer de plus en plus sur de petites unités spéciales, qui agiraient en solo indépendamment du leadership de ces milices, en utilisant drones et/ou missiles contre des objectifs américains ou arabes afin de soutirer des concessions de la part des Occidentaux concernant les sanctions qui frappent l’Iran.
En Syrie, l’amélioration des liens du CCG avec Bachar el-Assad sera toujours conditionnée en 2022 par la limitation palpable de l’influence iranienne en Syrie, ce qui est loin d’être chose faite, sauf dans les médias et les rumeurs. Au Liban, le lien du CCG avec les parties anti-iraniennes restera tributaire du sérieux et de la crédibilité de leurs actions nationales, et non de leurs discours populistes.
Enfin, la crise du Yémen continuera à peser lourd sur l’Arabie saoudite, sans qu’une fin du conflit ne soit perceptible en 2022, et sans réalisation d’une victoire décisive de l’un des belligérants. Le Yémen est devenu et resterait pour Riyad en 2022, le Vietnam des années 60-70 pour les Américains, et l’Afghanistan des années 80 des Soviétiques. Les Saoudiens multiplieront les pressions militaires et diplomatiques afin de réaliser un arrangement honorable, toutefois l’agenda des Houthis et les empreintes iraniennes ne vont pas en ce sens, avec ou sans accord à Vienne.
La crise du nucléaire iranien entre deux eaux
Les Iraniens exigent la levée totale des 1500 sanctions américaines qui pèsent lourd sur leur économie. Pour cette fin, ils multiplieront en 2022 leurs attaques aux drones, missiles et mines navales par tiers interposés, et leurs attaques cyberélectroniques furtives contre des objectifs arabes, israéliens et américains. Ils continueront également pour le même objectif, à développer leurs propres technologies atomiques leur permettant de devenir la dixième puissance nucléaire mondiale, sans toutefois le devenir réellement afin de ne pas attirer les foudres occidentales et israéliennes. Ces technologies atomiques avancées, à elles seules, seront le moyen de dissuasion le plus efficace afin d’empêcher toute administration américaine future de remettre en place les sanctions qu’un éventuel accord pourrait lever, surtout que des pressions sur Joe Biden sont en cours d’élaboration au Congrès américain, afin qu’il impose des sanctions encore plus dures sur Téhéran, comme celles visant l’arrêt de l’exportation de pétrole iranien vers la Chine.
Il est probable qu’un accord aboutira à Vienne en 2022, toutefois il serait moins restrictif que celui de 2015 vis-à-vis de l’Iran, et ne stipulerait pas la levée complète des sanctions. Cependant, des actions militaires américaines et/ou israéliennes contre les installations nucléaires iraniennes ne sont pas à exclure. Dans ce cas le risque pour le Liban serait l’utilisation du Hezbollah par l’Iran pour mener une «guerre» furtive contre Israël de par le monde, comme par exemple la prise pour cibles des diplomates ou des ressortissants israéliens à l’étranger, et moins probablement de déclencher un conflit militaire direct où Israël subirait des dégâts importants, mais finirait par ruiner le Liban vu sa supériorité militaire. Aucune partie au monde et au Moyen-Orient ne veut cette escalade, toutefois les tensions existantes risquent d’induire de mauvais calculs ou bien des accrochages par inadvertance qui mèneraient à un conflit de plus grande envergure.
IV - Le Liban en 2022
Au niveau étatique et institutionnel
Les crises mondiales et régionales se répercutent sur l’économie libanaise, déjà en ruines. À ce problème indépendant des Libanais, viennent s’ajouter l’incapacité de l'État à contrôler ses frontières et le manque à gagner pour le Trésor public qui en résulte, et la corruption métastatique à tous les niveaux. Cette situation se prolongera en 2022, et aucune percée dramatique au niveau politique n’est en vue. Les élections législatives prévues en mai apporteraient des changements plus ou moins importants au niveau parlementaire qui dépendraient largement de la crédibilité des candidats de l’opposition tous bords confondus. Le Hezbollah, allié de l’Iran, restera la puissance dominante, fort de ses armes, de son idéologie, de ses institutions et de son sponsor. Il a son agenda local qui se résume par l’affirmation de ses acquis par les armes dans les textes constitutionnels, chose qui n’aura pas lieu de gré, face à la résistance de la majorité des Libanais. Dans ce cadre, les partis qui se veulent souverainistes, et qui avaient acquiescé à plusieurs compromis avec le parti de Dieu depuis les arrangements de Doha (2008), ont perdu beaucoup de crédibilité et risquent d’en perdre encore si leurs alliances électorales se basent sur l’affairisme. Le manque de gouvernance au sein de ces partis nécessite de vraies réformes et une mise en place de processus internes de responsabilisation, afin de créer une courroie de transmission entre les partisans et le leadership qui semble prendre sa base partisane pour acquise, quelles que soient les décisions au sommet de la hiérarchie. L’absence d’union de ces partis au sein d’une seule opposition synthétique, plurielle, sérieuse et crédible, les laissera aussi bien que la révolution du 17 Octobre en perte de vitesse en 2022. Cette révolution du 17 Octobre, à son tour, n’a toujours pas réussi à mûrir une attitude politique crédible, ni à élaborer un processus de coordination efficace interne et externe. Elle continue à caresser des rêveries irréalisables, démontrant de l’amateurisme face à un duo armé, idéologique, structuré, et à dimension régionale. Si cet état de fait se poursuit en 2022, ce sera toujours l’impasse et le blocage au niveau national, avec ou sans élections législatives. Ces élections, si elles ont lieu, ne changeraient rien à l’équilibre des forces sur le terrain, à savoir les 100 000 missiles et les 100 000 combattants jaloux de leurs acquis et craignant de voir leur suprématie s’atténuer. Au milieu de ce pêle-mêle national, les résistants à l’hégémonie du duo armé continueront en 2022 à revendiquer la mise en application des législations locales, arabes et internationales qui garantissent le cadre légal protégeant le Liban, le duo armé auquel ils s’opposent ne jouissant, lui, d’aucun cadre légal et/ou légitime.
Au niveau existentiel
Le Liban de 1920 ne disparaîtra certainement pas en 2022. Il n’y aura ni partition, ni fédéralisme, ni changement de frontières, ni nationalisme quel qu’il soit. L’attachement des Libanais à leur pays enraciné dans l’histoire, le déséquilibre mondial, la préoccupation des grandes puissances par leurs affaires internes et leurs conflits mutuels, et l’équilibre des forces régionales, ne favorisent en aucun cas la remise en question ni des frontières, ni de la Constitution, ni le glissement vers un conflit armé interne visant à faire prévaloir l’une ou l’autre des visions locales qui circulent. Le Liban continuera à vivre en 2022 et plus longtemps encore, et pas plus dramatiquement que le reste du monde.
Bonne année 2022!
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