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Le patriarche maronite, Béchara Raï, a haussé le ton dimanche, poursuivant les critiques qu’il a commencé à adresser la veille à la classe politique libanaise pour exhorter ses membres à prendre la mesure des responsabilités immenses qui leur incombent et qu’ils ne semblent pas vouloir assumer.

Dédiant la messe au repos des âmes de Haytham et Malek Tawk, le patriarche maronite a d’abord rappelé le tragique événement de Qornet el-Saouda, durant lequel ces deux habitants de Becharré ont été assassinés par des tireurs toujours inconnus. Les hypothèses envisagées sont soit que la tragédie s’inscrit dans un long litige relatif à l’eau avec les habitants du village de Bqaasafrine dans le caza de Denniyé, soit que c’est le Hezbollah qui a prémédité et exécuté ce double-meurtre pour créer des dissensions entre les deux villages. Cette dernière version est soutenue par l’ancien ministre et député de Tripoli, Achraf Rifi.

Pour le patriarche Raï, il faut "respecter la décision de justice à venir parce que nous respectons l’État, ses institutions et ses forces de sécurité qui sont les seules à pouvoir veiller sur l’ensemble des citoyens sans discrimination". "Il faut empêcher les interventions des hommes politiques qui handicapent le travail des forces de sécurité chargées d’exécuter les décisions judiciaires et administratives, et arrêter les travaux relatifs à l’eau qui se déroulent à Qornet el-Saouda, en vertu des lois qui prohibent l’utilisation de l’eau lorsqu’elle se trouve à plus de 2.000 mètres d’altitude", a-t-il ajouté. Mgr Raï a souligné, à cet égard, que "cette inexécution des décisions étatiques résulte d’ingérences politiques bien connues à l’encontre de l’État de droit". "Si ces décisions avaient été respectées, le problème aurait cessé et l’assassinat de Haytham et Malek Tawk n’aurait pas eu lieu", a-t-il lancé dans son homélie dominicale depuis le siège patriarcal estival de Dimane.

Vides institutionnels

Revenant ensuite sur le dossier présidentiel, le patriarche a indiqué que "cette obstination dans le maintien de la vacance présidentielle (…) est un crime que commettent tous ceux qui empêchent le processus d’élection du président de la République malgré la présence de candidats capables".

Le patriarche a de même dénoncé le vide qui affecte le Conseil militaire indiquant que "s’il demeure, il aura des effets très négatifs non seulement sur l’institution militaire, mais également sur la situation sécuritaire de tout le pays". Pour rappel, le poste de chef d’état-major est l’un des trois postes vacants au sein du Conseil militaire, et il s’agit de l’unique fonction pouvant assumer l’intérim en cas de vacance au niveau de celle de commandant en chef de l’armée, qui est actuellement assumée par le général Joseph Aoun, dont le mandat expire dans quelques mois en janvier 2024. Or, le ministre actuel de la Défense, Maurice Slim, est l’un des ministres qui boycottent les réunions du Conseil des ministres en raison de leur refus de procéder à des nominations, au motif que le gouvernement actuel est uniquement chargé d’expédier les affaires courantes ce qui n’inclurait pas cette prérogative, contrairement à l’opinion du Premier ministre sortant Najib Mikati.

Messe du samedi

Lors d’une autre messe présidée samedi à l’église Saint Nohra du village de Bkerkacha, le patriarche n’a pas mâché ses mots à l’égard de la classe politique. Dans son homélie, intitulée "la récolte est nombreuse, mais les cueilleurs sont peu" (allusion aux hommes politiques qui sont trop peu à se soucier des enjeux majeurs qui pèsent pourtant sur leurs épaules), il s’est directement adressé à eux de la sorte: "Pourquoi créez-vous les problèmes pour ensuite chercher à les régler en violation de la Constitution? Pourquoi faites-vous du Parlement une instance législative alors que depuis la vacance présidentielle il s’agit d’une instance électorale? Pourquoi donnez-vous au gouvernement chargé de l’expédition des affaires courantes la prérogative de procéder aux nominations, qui est propre au président de la République?" Et le patriarche de s’exclamer: "Pauvre Liban!"

D’un ton très ferme, le patriarche Raï a sermonné les responsables: "Chers membres du Parlement et du gouvernement, la première et dernière nécessité, qui constitue la clé de tous vos problèmes, n’est autre que l’élection d’un président de la République. Et si vous n’y procédez pas, vous commettez le crime de haute-trahison contre l’État et contre le peuple. Et la trahison est la mère de tous les crimes."

Critiquant l’inaction des responsables, il a houspillé les députés en les mettant devant leurs responsabilités. "Vous avez aujourd’hui deux candidats maronites respectables à la présidence de la République, donc pénétrez l’enceinte du Parlement et élisez l’un d’eux conformément à la Constitution qui qualifie le Liban de République parlementaire, a martelé Mgr Raï. Si vous n’y êtes pas parvenus au bout de trois tours consécutifs au moins, alors, uniquement à ce moment et par respect pour la dignité de ces candidats, négociez pour trouver un troisième candidat."

"Ça suffit que vous perdiez du temps en attendant l’inspiration de l’extérieur comme des mineurs, alors que les institutions tombent l’une après l’autre", a conclu le patriarche.