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La scène politique locale a été entrainée depuis mercredi dernier dans des polémiques déplacées et une campagne de désinformation, à caractère populiste, portant sur une résolution du Parlement européen relative à la situation générale qui sévit au Liban depuis plusieurs années. L’élément déclencheur de cette désinformation a été une déclaration audiovisuelle du député européen d’extrême droite Thierry Mariani qui a cru bon se livrer à une manipulation médiatique, s’adressant au "peuple libanais", le mettant en garde contre une résolution du Parlement européen favorable au maintien des déplacés syriens au Liban. Ce souci subit à l’égard des intérêts du peuple libanais en a surpris plus d’un en raison des relations particulièrement cordiales et chaleureuses entretenues par M. Mariani avec Bachar el-Assad ; des relations qui se passent de commentaires…

Mais indépendamment de cet aspect spécifique, une lecture minutieuse de la résolution européenne permet de mettre en relief de manière flagrante la désinformation à laquelle s’est livré le député d’extrême droite. La résolution en question adopte en effet presque entièrement la rhétorique, les prises de position de principe et les revendications nationales du camp souverainiste, ce qui expliquerait, sans doute, la tentative de M. Mariani d’axer sa déclaration exclusivement sur la clause des déplacés syriens (qu’il a, par ailleurs, totalement déformée) afin de faire diversion et occulter l’ensemble du texte de la résolution qui stigmatise clairement, de nombreuses fois, la position du Hezbollah et ses alliés, faisant sans équivoque le procès de la politique de blocage pratiquée par la formation pro-iranienne.     

Le sabotage de l’élection présidentielle

Passant en revue, avec force détails, la dégradation à un rythme exponentiel des conditions de vie de la population libanaise, le texte de la résolution aborde, sans détour, les causes profondes du blocage politique qui paralyse le pays à plusieurs niveaux. S’agissant, notamment, à ce sujet du non-respect de l’échéance de l’élection présidentielle, la résolution relève que " le Hezbollah, le mouvement Amal, le Courant patriotique libre et leurs alliés ont eu recours à des tactiques anticonstitutionnelles pour bloquer l’issue du vote parlementaire", pour l’élection du président de la République.

Le texte souligne en outre que "le Parlement libanais a, avec les voix du Hezbollah, du mouvement Amal, du Courant patriotique libre et des groupes politiques alliés, décidé de reporter la tenue des élections municipales du pays d’une année au maximum".

L’explosion du 4 août

Poursuivant de manière explicite sa dénonciation de l’attitude obstructionniste du parti pro-iranien, la résolution européenne souligne que l’enquête sur l’explosion au port de Beyrouth, le 4 août 2020, "a été considérablement entravée, en grande partie en raison des abus de pouvoir dont se rendent coupables des acteurs politiques, notamment le Hezbollah et ses alliés" (…).

Rentrant dans les détails du sabotage des investigations menées par le juge d’instruction Tarek Bitar, la résolution européenne rappelle qu’une "manifestation massive menée par le Hezbollah et le mouvement Amal contre le juge d’instruction Tarek Bitar s’est muée en une attaque organisée par le Hezbollah et le mouvement Amal contre le quartier d’Aïn el-Remmaneh et le parti des Forces libanaises qui apporte son soutien à l’enquête sur l’explosion du port de Beyrouth". Le texte souligne à ce propos la nécessité de "mettre sur pied une mission d’enquête internationale autorisée par le Conseil des droits de l’homme de l’Onu".

La résolution européenne ira même jusqu’à rappeler les assassinats, du colonel Joseph Skaff, en 2017, "qui avait mis en garde sa hiérarchie contre les dangers du stockage" du nitrate d’ammonium, de Joe Bejjani, en décembre 2020, parce qu’il avait "photographié le hangar dangereux avant et après l’explosion" et "le militant et éditeur Lokman Slim, en février 2021, dix jours après avoir accusé le Hezbollah de fournir du nitrate d’ammonium au régime de Bachar el-Assad".

Les réfugiés syriens

Au chapitre des déplacés syriens, le document du Parlement européen souligne que "le régime de Bachar el-Assad a lancé une campagne de répression brutale contre sa propre population" et que le Hezbollah a aidé "le personnel du Corps des gardiens de la révolution islamique à constituer et à former des milices syriennes".

La résolution invite le gouvernement libanais à mettre en place la série de réformes requises sur les plans judiciaire, financière, économique et politique – dont notamment la limitation du "pouvoir démesuré du tribunal militaire". Le texte souligne d’autre part la nécessité d’imposer des sanctions à ceux " qui portent atteinte au processus démocratique et électoral", et à ceux "qui font obstacle à l’enquête nationale sur l’explosion du port de Beyrouth".  

S’agissant de la clause relative aux déplacés syriens, présentée par M. Mariani comme "un complot contre le peuple libanais", la résolution évoque des lapalissades et des lieux communs, soulignant que "les conditions ne sont pas réunies pour un retour volontaire et dans la dignité des réfugiés", et que l’aide humanitaire doit être "maintenue en faveur de la population libanaise et des réfugiés".

Le texte exprime en conclusion – de façon, certes, maladroite et superflus – la préoccupation du Parlement européen au sujet de "la recrudescence des discours hostiles aux réfugiés de la part de partis politiques et de ministres libanais", mais il n’est nulle part fait mention d’une position européenne explicite en faveur du "maintien des réfugiés syriens au Liban", comme l’a prétendu le député d’extrême droite. Mais il fallait bien, pour les fidèles amis de Bachar el-Assad et du Hezbollah, créer un épais écran de fumée pour cacher en des termes on ne peut plus clairs et sévères le comportement obstructionniste du parti pro-iranien et son sabotage des institutions et des principaux secteurs vitaux du pays.