Sur son destrier blanc, saint Georges transperce le dragon de sa lance cruciforme pour délivrer la princesse représentée dans son icône. En arrière-plan, la cité de Beyrouth apparaît avec son roi et sa reine en haut de la citadelle. En bas, coulent les eaux de la rivière qui porte le même nom que la ville. Elle révèle la tanière du dragon remplie des ossements de ses victimes.
La légende raconte que la cité de Beyrouth était constamment menacée par un dragon auquel les citoyens étaient condamnés à offrir des sacrifices annuels. Selon certains récits, les offrandes consistaient en un agneau et selon d’autres, en une femme. Toutes les versions s’accordent cependant à reconnaître que le dragon finit par exiger la princesse même, fille du roi de la cité. Un saint chevalier prénommé Georges aurait mis héroïquement fin à ces arrogantes prétentions en transperçant le dragon de sa lance, devenant dès lors le saint patron de la ville.
Selon la tradition, ce saint serait né en Lydie, en Asie Mineure, et aurait servi dans les rangs des légions romaines. Très vite, il avait acquis un rang militaire élevé et devait partir se battre en Angleterre. Ayant révélé sa conversion au christianisme, il a subi les persécutions jusqu’à mourir en martyr sous Dioclétien le 23 avril de l’an 203.
Saint Georges de Kaslik
La lutte contre le dragon était longue et se déclinait en plusieurs scènes. Le chevalier avait dû pourchasser le monstre tout du long de la baie que dessine la péninsule de Beyrouth avec le bourg septentrional d’Antélias, une baie qui porte désormais le nom de Saint-Georges. Une des étapes les plus importantes de cette poursuite s’était produite encore plus au nord, sur le cap de Kaslik. Le chevalier aurait passé la nuit dans l’une des grottes de la crique, devenue une chapelle rupestre en son honneur. Elle commémore l’éternel combat que se livrent, depuis la nuit des temps, le Bien et le Mal.
Icône de saint Georges sur son destrier blanc avec la princesse de Beyrouth en bas à gauche. En arrière-plan la cité de Beyrouth ainsi que le roi et la reine sur la citadelle. En bas les ossements des victimes emplissent la tanière du monstre. ©Boutique Catholique de Saint Joseph
Saint-Georges de La Quarantaine
L’étape ultime de la lutte aurait eu lieu sur la rive gauche de la rivière Beyrouth. C’est là que saint Georges aurait terrassé le dragon. Vers 1340, le chapelain allemand Ludolph Von Suchem écrivait que ce saint «délivra du dragon la fille du roi de la cité, et qu’il glorifia cette terre par de nombreux miracles».
Sur le lieu où l’événement se serait produit, a été érigée une chapelle croisée devenue plus tard la première église Saint-Georges des maronites. Elle se trouve entre la rivière et l’ancienne ville de Beyrouth, c’est-à-dire précisément là où Du Mesnil du Buisson situe le lieu du combat. Non loin de là, se trouvent les sept caveaux phéniciens considérés comme la tanière du monstre, souvent représentée dans les icônes en bas de la scène. Le comte Du Mesnil du Buisson nous apprend que ce lieu, aujourd’hui consacré à la Vierge sous le nom de Notre-Dame-des-Sept-Mamelles, était encore considéré jusqu’en 1549, comme la «caverne à sept gueules» du dragon.
En 1395, le seigneur d’Anglure décrivait ainsi la chapelle Saint-Georges: «Dehors Baruth, environ une lieue, est le lieu où saint Georges occit le serpent. Et en cette place, il y a une chapelle (…) et au-dehors de l’église, tout près du mur, est le lieu où le serpent fut occis.» D’Anglure remarquait dans la chapelle une colonne de marbre couchée devant l’autel. On lui annonçait qu’elle avait été placée là par l’impératrice Hélène et qu’elle possédait des vertus curatives.
Les Ottomans
Cette illustre chapelle, aujourd’hui comprise dans le quartier de La Quarantaine, a été transformée en 1661 par les Ottomans en mosquée al-Khoder. Henry Maundrell écrivait à ce sujet en 1697, qu’il y avait près du «large fleuve de Beyrouth (…) un champ plat que l’on dit avoir été le théâtre où saint Georges combattit le dragon». «En mémoire de cet exploit, écrivait-il encore, une petite chapelle fut érigée à la place, dédiée à l’origine au héros chrétien, mais aujourd’hui convertie en mosquée.» Le 1ᵉʳ juin 1737, l’évêque anglican Richard Pococke visitait la mosquée et y constatait la colonne de marbre que les Turcs continuaient d'employer comme remède miraculeux contre les fièvres et les douleurs.
Saint Guévorg de Quarantina-Rmeil. ©Amine Jules Iskandar
Sourp-Guévorg
À maintes reprises, les princes druzes de la dynastie des Maan ont rendu cette église aux chrétiens, mais les Ottomans ont fini par la reprendre pour de bon. Ce n’est qu’en 1931 que les Arméniens orthodoxes ont bâti une nouvelle église entre la mosquée al-Khoder et la rivière.
Sous le nom de Sourp-Guévorg (Saint-Georges), elle est ornée sur sa façade principale d’une fresque représentant la lutte contre le dragon. Les maronites et les orthodoxes, eux, avaient fini par transposer leurs sanctuaires Saint-Georges au cœur de la vieille ville. La cathédrale des maronites a ainsi remplacé au XIXᵉ siècle une ancienne église, tandis que les orthodoxes ont procédé à l’agrandissement de leur vieux sanctuaire édifié sur les restes de la basilique byzantine.
Fresque de saint Georges à Saint-Guévorg de Quarantina-Rmeil. ©Amine Jules Iskandar
L’icône de saint Georges
L’iconographie chrétienne illustre le plus souvent le combat ultime au bord d’une rivière avec une forteresse en arrière-plan. Le cours d’eau représente la rivière appelée Beyrouth, tandis que les fortifications sont celles de la cité. Nous y apercevons la reine et le roi livrant à saint Georges les clés de la ville. En dehors de l’enceinte et exposée à tout péril, la princesse attend son martyr. Dans certaines icônes, elle se tient en retrait, au pied des remparts, un agneau à la main, symbole du sacrifice promis au dragon. Du haut de son destrier blanc, le saint chevalier transperce la bête de sa lance cruciforme.
Selon les documents écrits cependant, saint Georges ne fit au monstre qu’une blessure, pour le remettre ensuite à la princesse complètement soumis. «Et le dragon, se redressant, nous dit la Légende dorée (Jacques de Voragine, Paris, 1920), se mit à la suivre comme un chien qu’on mènerait en laisse.» Du haut de la scène, la main de Dieu veille sur le saint, tandis que l’ange lui procure une couronne de lauriers. Tout en bas, près de la rivière, figure la grotte où le dragon avait fait son nid. Elle est jonchée des ossements de ses victimes. Joseph Besson nous en parle au XVIIᵉ siècle en ces termes: «À environ un mille de la ville de Beyrouth, vers le septentrion, on voit une grotte dans laquelle s’était dit-on caché, selon la créance commune du pays, un formidable dragon.»
La cathédrale Saint-Georges des orthodoxes à Beyrouth. ©Amine Jules Iskandar
La Moldavie
La légende est fort ancienne et dépasse évidemment les frontières de Phénicie et du Mont-Liban pour se répandre sur tout le monde chrétien. Partout, l’iconographie a fait appel à des éléments révélateurs comme références de lieu. Elle a ainsi fait couler les eaux du Beyrouth au pied des antagonistes et, pour dissiper les doutes sur l’identité de cette rivière, les artistes melkites du XIXe siècle ont pris l’habitude de représenter, dans sa continuité, le port de Beyrouth. Mais c’est en Moldavie que la référence est la plus explicite. Sur une fresque du XVIᵉ siècle représentant saint Georges, au monastère de Voronet, une inscription précise que c'est bien le port de Beyrouth qui y est peint. Cette cité s’est consacrée à saint Georges pour symboliser sa victoire sur le Mal et le triomphe du Bien.
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