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Égalité citoyenne et communauté culturelle sont les deux grands piliers de toute société politique. Dans un message adressé récemment au Hezbollah dont la presse s’est faite l’écho, l’archevêque émérite de Beyrouth, Mgr Boulos Matar, a adjuré la formation chiite de prendre au sérieux la volonté générale des Libanais de donner consistance à l’État, expression de leur volonté de vivre cette égalité citoyenne et cette communauté culturelle, dans la paix et la prospérité. Il l’a fait dans un message d’une dizaine de pages qu’il a fait parvenir aux chefs de cette communauté, comme le président de la Chambre, Nabih Berry, et le secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, et qu’il a également communiqué à certaines ambassades et au Vatican.

Ce message revêt de l’importance dans la mesure où il est l’une des facettes du discours que l’Église maronite adresse au Hezbollah, en ce temps de crise, ainsi qu’un modèle de la manière dont les partis chrétiens pourraient introduire leur propre dialogue avec cette formation, par les rapports humains qui émoussent ce que les idéologies ont de tranchant et de rédhibitoire, et ramènent les peuples de l’idéologie à l’histoire.

Il y a une génération de Libanais pour laquelle le passé du Liban fait sens, pour lesquels les racines de l’identité nationale libanaise sont mêlées de telle sorte qu’elles peuvent servir de fondation à leur vie commune. Mgr Boulos Matar en fait partie. Évoquant les relations fraternelles qui se sont tissées entre les communautés qui composent le Liban, bien avant la naissance du Grand Liban, l’archevêque émérite de Beyrouth écrit :

" Pour commencer, nous saisirons l’occasion, chrétiens en général, et maronites en particulier, de vous exprimer affection et respect pour la bonté dont vos frères du Sud ont fait preuve à notre égard, et qui nous est allée droit au cœur, telle une bénédiction, en l’occurrence quand, lors de la grande famine qui a suivi la Première Guerre mondiale, vos grandes familles ont tendu une main secourable à leurs voisins chrétiens. Notre gratitude va encore pour la fraternité dont votre communauté de la Békaa a fait preuve, quand certains d’entre vous ont scellé une alliance, dite " alliance du sang ", avec nos frères de Joubbet Bécharré. Celle-ci accordait le droit aux deux parties d’intervenir pour réconcilier et rétablir la paix, en cas de crise interne dans les rangs de l’autre partie, et ce aussi bien sur le versant ouest de la montagne des Cèdres, que sur son versant oriental, qui englobe les régions de Baalbeck, Hermel, Deir al-Ahmar et autres ".

Certes, Mgr Matar convient que la communauté chiite peut trouver à redire au fait que la proclamation du Grand Liban en 1920 s’est faite sans qu’elle soit consultée. Mais c’est pour ajouter tout de suite que cette même frustration sera celle des autres communautés si le Hezbollah fait advenir un Liban à son image sans tenir compte d’elles.

" Si certains d’entre vous, bien-aimés, se sont plaints de ne pas avoir participé à l’établissement de l’État du Grand Liban, écrit-il, et à supposer que la chose soit recevable et juste, alors la non-participation actuelle du reste des Libanais à sa gouvernance est aussi un fait à déplorer dont pourraient se plaindre ceux qui en sont exclus ".

Comparant le modèle libanais à celui d’autres pays du monde arabe, Mgr Matar trouve " légitime (…) d’évaluer positivement l’expérience du Liban ". " Nous voyons par exemple que (…) le chiisme n’est toujours pas pleinement accueilli dans certains pays de la région; aussi, le conflit entre sunnites et chiites subsiste dans de nombreux pays, sans que ces derniers soient parvenus à établir en fait des Constitutions qui consacrent le respect des libertés individuelles et communautaires, et la satisfaction de toutes les aspirations légitimes de la population. L’Iraq tente de surmonter ses crises en reconnaissant la nécessité d’assurer l’égalité des droits pour tous (…). La Syrie n’est pas encore parvenue à établir une Constitution qui garantisse effectivement la liberté à tous sans exception. Dans le Golfe arabe, le feu couve sous la cendre, non loin du pétrole et de son niveau de danger, avec l’espoir que l’égalité de citoyenneté soit garantie un jour pour tous. Quant au Maghreb arabe, on s’y efforce, comme en Égypte, d’assurer une égalité complète entre toutes les composantes du peuple ou, dans d’autres pays, au sein d’une même communauté. "

" Le Grand Liban, ajoute Mgre Matar, n’était pas une création de l’Occident colonial, comme certains le pensent, mais la réalisation du rêve d’un peuple qui avait connu les oppressions de l’Histoire, mais qui avait su s’édifier à l’époque moderne par la science, la culture, l’industrie et le commerce, consacrant l’égalité citoyenne de tous ses enfants, le partenariat politique entre chrétiens et musulmans et la liberté totale de croyance et de conscience. La Constitution élaborée pour ce pays naissant en 1926 était la plus ouverte et la plus progressiste de la région. "

"Le Liban a offert aux frères chiites et sunnites l’occasion de gouverner ensemble en toute transparence. Ce progrès par rapport à ce qui s’est passé dans certains pays arabes -et pendant tout un siècle -, ne doit-il pas lui être compté ? ", conclut-il.