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L’explosion cataclysmique du 4 août 2020 survenue au port de Beyrouth restera longtemps gravée dans la mémoire des personnes qui l’ont vécue dans la capitale, mais aussi dans la mémoire de tous ceux qui l’ont ressentie loin des lieux du drame.

Pour la troisième commémoration de cette double explosion, les Rencontres d’Ici Beyrouth ont accueilli Tracy et Paul Naggear, parents de la petite Alexandra Naggear, " Lexou " comme ils l’appellent encore jusqu’à présent. Emportée par l’explosion meurtrière, la petite fille aurait eu aujourd’hui 6 ans. Ses parents, icônes de la lutte pour la justice, ont exposé le cours pris par le complexe processus judiciaire, encore inachevé, mené au Liban et à l’étranger en vue de dévoiler toute la vérité dans cette affaire.

Également invitée à la Rencontre, la psychologue Ray Aoun a expliqué les différents enjeux liés au traumatisme, tant collectif qu’individuel, chacun selon son cas particulier.

Une intervention par vidéoconférence de Hala Kerbage, psychiatre au CHU de Montpellier, a également été au programme de la Rencontre, dirigée et modérée par Michel Touma, directeur de la rédaction d’Ici Beyrouth.

Les échanges ont tout d’abord porté sur l’enquête bloquée depuis plus d’un an au niveau local du fait des demandes de dessaisissement émises à l’encontre du juge d’instruction Tarek Bitar. Sur ce sujet, Paul Naggear a expliqué les mécanismes administratifs et judiciaires auxquels a eu recours une partie de la classe dirigeante, notamment ceux qui ont beaucoup de choses à se reprocher dans cette affaire, afin de torpiller l’enquête.

Il est difficile d’énumérer tous les facteurs ayant abouti au blocage de l’investigation, à commencer par le retrait (sous la pression) du premier juge d’instruction Fadi Sawan, dessaisi du dossier à cause d’un prétendu conflit d’intérêt, en passant par l’échec de la proposition de loi présentée par certains députés visant à faciliter l’enquête, et enfin la décision du Procureur Ghassan Oueidate de libérer les douze détenus, placés en détention pour les besoins de l’enquête. "C’est comme si nous étions dans un film de Western", a commenté à ce sujet Paul Naggear.

La carte de la justice internationale

Sur les actions à l’étranger menées par les Naggear et par des organisations telles que Human Rights Watch, Tracy et Paul Naggear ont affirmé que la priorité était d’obtenir la mise sur pied d’une mission d’établissement des faits par le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies. Après avoir exploré les nombreuses options qui se présentaient à eux, et après avoir consulté des experts, la formation de cette mission a été le choix le plus logique et le plus pragmatique pouvant mener à la vérité.

Jusqu’à présent, 38 pays, dont la France et l’Australie, sont signataires de la résolution nécessaire à l’obtention de la mission. Un vote doit avoir lieu en septembre afin d’adopter la mesure. "Nous effectuons le lobbying nécessaire pour garantir le vote onusien qui permettra la formation de la mission d’établissement des faits", souligne Mme Naggear.

Impunité et trauma

Pour la psychiatre Hala Kerbage, l’impact de l’impunité qui se manifeste au plan interne a un effet de reproduction du drame lui-même chez les familles des victimes. Il est donc nécessaire que justice soit faite pour parvenir à étancher la soif de justice et panser les plaies.

Ray Aoun, psychologue, a quant à elle évoqué la question du traumatisme et de ses manifestations chez les personnes qui ont vécu, de près ou de loin, l’explosion du 4 août 2020. Les dégâts causés au psychisme de chaque individu sont à étudier au cas par cas, selon Mme Aoun. Il faut que chacun soit suivi à son rythme, notamment les enfants qui doivent se réconcilier avec le lieu où ils ont vécu l’explosion. Ainsi, si l’enfant était chez lui au moment de la déflagration et que cette dernière a provoqué d’importants dégâts chez lui, il faut reconstruire l’endroit et permettre de recréer un lien entre l’enfant et le lieu.

Ray Aoun : Psychologue clinicienne & psychothérapeute

Enfin, le rôle des médias dans la retransmission continue des images a été salué par Tracy et Paul Naggear qui estiment "qu’il n’est jamais excessif de relayer les images en comparaison avec l’étendue de l’explosion qui a eu lieu".

C’est aussi grâce aux médias que la tentative de créer une discorde entre les familles des victimes a échoué, selon Tracy Naggear: les tentatives d’intimidation entreprises à travers Ibrahim Hoteit (frère de l’une des victimes de l’explosion), qui a cédé aux pressions du tandem Amal-Hezbollah pour faire torpiller l’enquête, ne sont pas parvenues à leurs fins grâce aux médias qui n’ont pas accordé d’importance à cette manœuvre visant à susciter la discorde, a relevé en conclusion Mme Naggear.