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La réunion parlementaire prévue jeudi ne s’est pas tenue, faute de quorum, reflétant encore une fois la profondeur du clivage politique et de la déliquescence de l’État. L’élément marquant de cette journée parlementaire ratée, était l’absence des députés du Courant patriotique libre, alors que le chef du bloc, Gebran Bassil, est en pleines négociations avec le Hezbollah.

Le Parlement a été jeudi le théâtre d’un nouvel épisode qui met en relief la déliquescence de l’État, en raison principalement du non-respect des échéances constitutionnelles, à commencer par l’élection d’un président de la République.

Cinquante-trois députés seulement se sont rendus Place de l’Étoile, pour participer à la réunion parlementaire à laquelle le président du Parlement, Nabih Berry, avait convoqué les élus. Un chiffre qui démontre une nouvelle fois la profondeur du clivage entre les deux principaux camps politiques: les blocs et députés souverainistes et ceux du 8 Mars.

La séance, consacrée à l’examen de quatre textes de loi, dont deux relatifs au contrôle des capitaux et au fonds souverain (dans lequel seront placés les revenus que le Liban espère générer de l’exploitation de ses éventuelles ressources gazières et pétrolières offshore), ne s’est pas tenue, faute de quorum. Le bras de fer politique se poursuit ainsi, alors que la 14e séance parlementaire visant à élire un président de la République, et la dernière en date, remonte à plus de deux mois (le 14 juin 2023) et avait été levée sans déboucher sur l’élection d’un nouveau chef de l’État.

Le camp souverainiste refuse de participer à toute séance législative avant l’élection d’un président, afin de ne pas consacrer et banaliser la vacance à la première magistrature. De son côté, le camp du 8 Mars, fermement attaché à la candidature du chef des Marada, Sleiman Frangié, à la tête de l’État, agit comme si l’élection présidentielle ne presse pas.

Un nouvel élément est intervenu jeudi dans ce contexte: le boycottage de la séance par le bloc du Courant patriotique libre, alors que celui-ci avait contribué à assurer le quorum des deux séances législatives qui s’étaient tenues après le début de la vacance présidentielle. Les deux avaient été boycottées par l’opposition et les députés du Changement. La première de ces séances, le 18 avril 2023, avait abouti au report des élections municipales. Lors de la seconde, le 19 juin dernier, le Parlement avait approuvé deux propositions de loi prévoyant l’ouverture de lignes de crédit pour financer les augmentations des salaires des fonctionnaires et les primes et indemnités accordées aux enseignants de l’Université libanaise.

L’absence de quorum a été dénoncée par le Premier ministre sortant, Najib Mikati, qui a déclaré que "si certains textes de loi ne sont pas adoptés, notamment celui relatif au contrôle des capitaux, la situation économique s’aggravera". "Qu’est-ce qui est plus urgent que les points inscrits à l’ordre du jour d’aujourd’hui?" s’est-il interrogé en quittant le Parlement, agacé, après une réunion avec le président Berry.

53 députés présents

Dans les faits, et alors que le quorum d’une séance législative est de 65 députés (la majorité absolue des 128 députés qui constituent le Parlement), le secrétaire général de la Chambre, Adnan Daher, a annoncé vers 11 heures 30 que seuls 53 étaient présents, et donc que la séance était reportée.

Seuls les députés du Hezbollah, du mouvement Amal, du Parti socialiste progressiste, certains députés proches du 8 Mars et quelques indépendants s’étaient rendus Place de l’Étoile.

En fait, l’absence de quorum était prévisible dès mercredi soir. Plus tôt dans la journée de mercredi, les députés de l’opposition avaient indiqué qu’ils ne participeraient pas à la session, appelant tous leurs collègues à en faire autant.

Dans un communiqué virulent, 31 députés des blocs parlementaires des Forces libanaises, du parti Kataëb et du Renouveau, ainsi que les députés Waddah Sadek, Michel Doueihy, Mark Daou et Bilal Hshaimi ont annoncé un plan de confrontation avec le Hezbollah. L’un des points sur lesquels ils ont insisté est le boycott de toute séance législative convoquée avant l’élection d’un président de la République, en raison de son inconstitutionnalité.

L’absence du CPL

C’est mercredi en soirée que la possibilité d’un défaut de quorum s’est renforcée, après l’annonce par le bloc parlementaire du CPL de sa décision de ne pas participer à la séance, car "les points à l’ordre du jour ne revêtent pas un caractère urgent". Le bloc a rappelé, à l’issue d’une réunion extraordinaire, que tel est le "critère qu’il a adopté pour participer à des séances législatives en l’absence d’un chef de l’État".

Il a néanmoins souligné "l’importance des lois proposées", rappelant qu’il a "largement contribué à proposer ces textes, les étudier et les faire parvenir en séance plénière".

Selon des sources parlementaires proches de l’opposition, l’absence des députés du CPL a deux explications. S’il est vrai que les textes à l’ordre du jour ne présentent aucune urgence, le bloc aouniste a probablement réalisé que sa participation à la réunion lui couterait cher au niveau populaire. Surtout après le grave incident de Kahalé (où, après qu’un camion du Hezbollah transportant des munitions s’est renversé, une fusillade a éclaté entre les riverains et des éléments du Hezbollah, tuant un habitant de Kahalé et le conducteur du camion), et le communiqué virulent de l’opposition.

Par ailleurs, et alors qu’il se trouve en pleine négociation et marchandage avec le Hezbollah sur la présidentielle, le chef du CPL a grand intérêt à démontrer que son bloc a un poids réel au Parlement, ce qui lui permet de changer la donne, indique-t-on de mêmes sources.

Cependant, de source proche du bloc aouniste, on rejette cette analyse. "L’absence est uniquement motivée par la discipline adoptée par notre bloc de ne participer qu’au vote des lois d’extrême nécessité pendant la vacance présidentielle", selon cette source. Les deux textes de loi en question "nécessitaient des concertations et un accord préalable qui ne s’est pas encore fait", à en croire la source.

Fonds souverain

Dans ce cadre, il convient de noter que plusieurs députés ont déclaré jeudi que la proposition de loi sur le fonds souverain devait être plus amplement étudiée.

Ainsi, Sajih Attié, président de la commission des Travaux publics et membre du bloc de la Modération nationale, a précisé que le bloc pose comme condition à sa participation le retrait de la proposition de loi relative au fonds souverain, "car son adoption est prématurée, le texte comporte de nombreuses failles et n’a pas été approuvé par notre commission et par les commissions mixtes".

À cet égard, réagissant aux critiques formulées contre cette proposition de loi (approuvée récemment par une sous-commission issue de la commission parlementaire des Finances et du Budget), le président de cette commission, Ibrahim Kanaan, a rappelé qu’elle a été élaborée après l’étude de quatre propositions de loi présentées par quatre blocs différents, avec l’assistance d’experts locaux et internationaux. Il a précisé que le texte a été approuvé en commissions par des députés représentant les différents blocs.