L’avocat du gouverneur de la BDL a demandé que la procureure soit dessaisie du dossier, lui reprochant son " parti-pris "

Nouveau rebondissement dans l’affaire qui oppose le gouverneur de la Banque du Liban Riad Salamé à Ghada Aoun, la procureure générale près la cour d’appel du Mont-Liban qui vient d’imposer une interdiction de voyager au gouverneur et l’avait convoqué à une audience, jeudi, suite à une plainte déposée contre lui pour " détournement de fonds publics et blanchiment d’argent ".

M. Salamé n’a pas comparu devant la juge mais a envoyé son avocat qui a présenté à la cour d’appel du Mont-Liban une demande pour que Mme Aoun soit dessaisie du dossier. Motif de la requête : " Un juge ne peut pas être en même temps partie et arbitre ". La procureure a rejeté cette accusation. Il n’en demeure pas moins qu’en attendant que la cour d’appel se prononce au sujet de la requête présentée par l’avocat de M. Salamé, la procédure judiciaire est suspendue, quand bien même Ghada Aoun a fixé à Riad Salamé la date d’une nouvelle audience.

Dans un communiqué qu’il a fait paraître après la démarche de son avocat, consignée auprès de la cour d’appel du Mont-Liban, le gouverneur de la BDL a expliqué dans les détails les raisons pour lesquelles il n’a pas voulu comparaître devant la magistrate et pour lesquelles il met en doute son impartialité. " Je respecte la loi et la justice et je l’ai démontré en acceptant à plusieurs reprises de comparaître devant des magistrats bien que je contestais le bienfondé des procédures engagées contre moi ", a expliqué d’emblée Riad Salamé, en dénonçant " une instrumentalisation médiatique " de ces procédures pour " ternir sa réputation au Liban et à l’étranger ".

Il a donné à titre d’exemple " les tweets répétés agressifs de Mme Aoun " à son encontre, reprochant à la juge d’" employer des termes négatifs et d’anticiper les jugements judiciaires " à son encontre. " Lorsque les jugements émis ne correspondent pas à ses objectifs, elle attaque les juges qui les rendent ", a poursuivi le gouverneur en indiquant que Mme Aoun " avait même fait part de sa disposition à se rendre au Liechtenstein (où une plainte avait été également déposée contre lui) avec l’avocat Wadih Akl, sachant que les deux appartiennent à un même courant politique (le CPL), pour être entendus à titre de témoins à charge ". Riad Salamé a fait état de documents consignés auprès des autorités de cette principauté européenne qui étayent ses propos et a également accusé Mme Aoun d’avoir " en violation des procédures judiciaires, adressé aux autorités judiciaires françaises des mémorandums " à son encontre.

Falsification de documents "

" Conformément aux règles légales les plus élémentaires, un juge ne peut pas être en même temps partie et arbitre et il est devenu clair que ces procédures, instiguées par les mêmes personnes, sont motivées par des considérations politiques ", a insisté le gouverneur qui a rappelé que la campagne menée contre lui date de 2016 et avait été fondée sur de faux documents financiers. Il a indiqué avoir intenté un procès en France contre ses calomniateurs " dont les noms seront dévoilés bientôt, pour montrer comment ils ont falsifié des documents afin de l’accuser de détournement de fonds ", précisant que le pot-aux-roses a pu être découvert grâce aux révélations d’un témoin. Il a dans le même temps rappelé que l’enquête préliminaire menée au Liechtenstein a prouvé que ni lui ni un de ses proches ont des comptes dans cette principauté ".
M. Salamé a également rappelé qu’il avait chargé un cabinet d’audit d’examiner tous ses comptes " qui font l’objet d’un débat " et qu’il avait remis les résultats de ses travaux au Premier ministre libanais, aux magistrats concernés au Liban et dans les pays " où des actions judiciaires ont été lancées contre lui.

" Des données erronées "

La réaction de Ghada Aoun n’a pas tardé. Dans un communiqué, la juge a rejeté en vrac les accusations portées contre elle par M. Salamé, lui reprochant d’avoir " avancé des données erronées pour ne pas à avoir à comparaître " devant elle, " pour se défendre ".
Elle a démenti avoir abordé dans ses tweets des éléments des procédures sur lesquelles elle planche. " Je n’ai fait qu’énumérer les actions en justice intentées contre M. Salamé pour en informer l’opinion publique qui a le droit de savoir quelles sont les poursuites engagées contre lui, ce que font tous les Parquets des Etats qui respectent l’autorité de la justice ", a-t-elle écrit.
Elle a estimé que le gouverneur ne peut pas lui " reprocher des préjugés puisqu’il ne peut pas connaître les données au sujet desquelles je voulais l’interroger ", avant de démentir aussi avoir pris contact à son sujet avec les autorités du Liechtenstein et enfreint les procédures réglementaires pour correspondre avec les autorités judiciaires françaises.
Mme Aoun a conclu en " conseillant à M. Salamé de se soumettre aux lois s’il est persuadé de son innocence ".

" Une connotation politique évidente "

Sauf que nombre de juristes pensent à l’instar de Riad Salamé que les procédures judiciaires engagées contre lui sont motivées par des considérations éminemment politiques liées à une double volonté : faire de lui un bouc émissaire qui serait tenu pour seul responsable de la faillite de l’Etat, ce qui éviterait à la classe dirigeante d’avoir à rendre compte de sa mauvaise gestion des affaires publiques pendant des années et se débarrasser de lui, par la même occasion, pour pouvoir le remplacer par une personnalité qui soit inféodée à ses détracteurs.

Ce sont notamment le camp aouniste et le Hezbollah qui sont accusés de mener la guerre au gouverneur de la Banque centrale. " Il y a quelques années seulement, le pouvoir politique actuel a prorogé le mandat de Riad Salamé. Aujourd’hui, c’est cette même classe dirigeante qui est engagée dans une poursuite politico-judiciaire contre lui ", déplore l’ancien ministre et bâtonnier de Beyrouth, Me Ramzi Joreige. Et de poursuivre : " Son tort par le passé est de n’avoir pas rejeté les demandes de financement du pouvoir politique ", accusé de corruption par une majorité de Libanais et plus diplomatiquement, par la communauté internationale qui lui impose des conditions très strictes pour aider financièrement au redressement du pays. " La BDL a financé au fil des années les besoins de cette classe. Mais de là à en faire un bouc émissaire, c’est interférer dans le cours de la justice ", accuse l’ancien bâtonnier. " La connotation politique est évidente ", relève une autre source judiciaire qui a accepté de commenter cette affaire sous le couvert de l’anonymat. "L’acharnement judiciaire contre Riad Salamé est douteux. Je ne cherche certainement pas à le blanchir, mais on ne peut que se poser des questions compte-tenu de l’action menée par la procureure ", selon cette source.

Lire aussi : Cabale contre Riad Salamé : une fin justifiant les moyens ?