L’intifada du 17 octobre 2019 a érigé un mur insurmontable entre la majorité de la population et l’ensemble de la classe politique au pouvoir, révélant au grand jour les contradictions de cette dernière. Si bien que les adeptes du blocage institutionnel, en l’occurrence ceux qui détiennent les rênes des trois présidences, se retrouvent eux-mêmes paralysés par la dynamique révolutionnaire et victimes de leur propre style.

De par sa spontanéité et l’effet de surprise créé par son modus operandi et sa continuité, l’intifada a constitué un tournant marquant et définitivement probant dans la vie politique libanaise, et c’est dans ce sens qu’elle n’est pas finie et qu’elle se poursuivra.

Certains reprochent à cette intifada-événement son manque d’organisation, de leadership et de priorités. Or ce n’est pas une tare. En vérité, cela peut constituer une plateforme constructive, une réalité qui reflète la profondeur des changements en cours, dans une société consommatrice de produits numériques. Des mutations qui ont touché les liens sociaux traditionnels avec leurs modèles vertical, pyramidal et hiérarchique, en faveur de liens sociaux horizontaux, circulaires qui interagissent sur un tissu connecté, indéfini, illimité et géographiquement transversal et transfrontalier.

Ainsi la réponse à l’idée et l’appel sont devenus individuels, basés sur la libre conviction en lieu et place des ordres et des directives top-down parachutés sur un groupe tenu d’office d’exécuter, par suivisme, obédience et gratitude.

La singularité de cette intifada a dépassé son image extérieure reluisante et s’est traduite par la créativité culturelle, artistique et politique du langage corporel libanais.

Avec la crise ambiante, il suffit de passer en revue le volume et la nature des initiatives individuelles et collectives qui portent les objectifs de cette intifada pour constater l’impact de ses résultats directs et concrets – et non ceux à long terme uniquement. Cela est également suffisant pour renoncer aux idées nihilistes, au sentiment de désespoir, à la frustration qui résultent de la pression énorme et sans précédent sous laquelle ploie la population, en raison de la l’immoralité de ce pouvoir hégémonique qui combat férocement tout renouveau.

Des questions en suspens

Avec le début de l’intifada, des slogans et des objectifs imposés par l’événement ont prévalu. Mais les débats autour de toutes les problématiques ont aussitôt fait rage, y compris au sujet des questions en suspens telles que l’État et les armes, le conflit israélo-arabe, la question des réfugiés présents au Liban, de Palestine et de Syrie entre autres.

La politique de l’ajournement de certains sujets a donc fait long feu compte tenu de l’impact des questions internationales et régionales sur les choix du peuple libanais, dans une intifada dont le but était de se débarrasser de l’oppression locale.

Dans ce contexte, il convient de mettre en exergue le succès de la politique de repli palestinien dans les camps, œuvre d’une posture officielle qui a bénéficié d’un large consensus, et de la réceptivité et du soutien déterminant de la majorité au sein de la communauté des réfugiés. Ce repli a également été accueilli favorablement au sein du milieu libanais en ébullition, notamment dans les régions où les camps sont imbriqués géographiquement dans leur environnement.

Cependant, cela ne diminue en rien les divisions politiques palestiniennes qui ressemblent aux divisions libanaises, d’autant plus que l’axe dit de la " moumanaa " instrumentalise la cause palestinienne sur les deux scènes, régionale et libanaise, et ne recule devant rien dans l’exploitation des réfugiés et des camps de manière douce et plus rugueuse lorsque le besoin se fait ressentir, aidé dans cette besogne par les courants palestiniens qui soutiennent cet axe.

Par ailleurs, les forces souverainistes n’ont pas effectué la moindre percée qualitative dans leur du dossier palestinien en se dotant d’une vision moderne cohérente à même de transcender les approches stéréotypées prédominantes, lesquelles tiennent compte de l’atmosphère électorale parfois ou ignorent délibérément les réconciliations qui ont eu lieu. En effet, ce qui est requis est de s’appuyer sur ce qui a été fait et développé dans ce domaine. Les relations libano-palestiniennes officielles ont connu un important repositionnement à plus d’un niveau.

Cette problématique n’est pas née avec le 17 Octobre mais remonte au 14 Mars, à l’incapacité de ses partis politiques d’avoir une vision unifiée dans leur approche de la question des réfugiés et à l’absence d’un discours politico-médiatique positif des forces souverainistes à même de limiter l’influence de la rhétorique manipulatrice. Cela n’enlève rien aux acquis du " comité de dialogue libano-palestinien " officiel. Cependant, il faut préciser que les décisions de ce comité ne sont pas suivi des faits la plupart du temps dans la mesure où il s’agit de simples recommandations soumises au Conseil des ministres, sans plus. Par conséquent, il est rare de voir ses recommandations mises en œuvre.

In fine, que les forces souverainistes se dotent d’une vision moderne en ce qui concerne les dossiers en suspens, y compris le dossier palestinien au Liban, constitue une mission qui s’inscrit au cœur des missions libanaises stratégiques, dont l’impact est profond dans l’élaboration d’un concept moderne de l’intérêt national au sein de ce pays, qui a besoin de stratégies diversifiées et cohérentes pour traiter tous les dossiers importants. C’est là la porte d’entrée réaliste et pragmatique pour une méthodologie au service d’un diagnostic précis de l’intérêt national, ainsi que pour la mise au point d’une feuille de route potentiellement réalisable afin d’atteindre les objectifs nobles de l’intifada du 17 octobre.