Les prochaines législatives sont ouvertes à tous vents, si bien que certaines forces politiques ont peur qu’elles n’aient pas lieu pour différentes raisons: les circonstances locales et la flambée du taux de change du dollar, la stagnation de la situation économique, l’implication du Liban dans la politique des axes dans la région par le biais du Hezbollah et les attaques répétées de ce dernier contre les pays du Golfe et les États-Unis pour le compte de l’Iran.

Des responsables du Hezbollah nient toute dépendance du parti vis-à-vis de Téhéran. Ils oublient sans doute que le 24 juillet 2016 leur secrétaire général lui-même avait affirmé haut et fort que “nous sommes transparents sur le fait que le budget du Hezbollah, ses revenus, ses dépenses, tout ce qu’il mange et boit, ses armes et ses roquettes, viennent de la République islamique d’Iran”, ajoutant qu’il est “fier d’être un soldat au sein de la wilayet el-faqih sous la direction du guide Ali Khameneï”. Y a-t-il aveu plus clair d’allégeance totale à l’Iran?

Cependant, en dépit de son excès de testostérone, le Hezbollah craint un revers sérieux aux prochaines législatives, selon un député du 8 Mars. Son inquiétude porte bien sûr sur le score éventuel de son allié, le Courant patriotique libre, en chute dans les sondages, dans une rue chrétienne qui renoue avec sa fibre souverainiste traditionnelle. Mais, plus grave, le Hezbollah appréhende de perdre le verrouillage total de la communauté chiite qu’il avait réussi à instaurer avec son allié, Amal, lors des législatives de 2018, grâce à une loi électorale sectaire taillée sur mesure à cette fin spécifique. Le spectre d’une insurrection des clans chiites à Baalbeck contre le duopole rôde plus que jamais. En 2018, rappelons-le, le Hezbollah avait dû prolonger jusqu’à une heure très avancée de la nuit – et de manière bien peu légale – l’ouverture des bureaux de vote pour “assurer” le succès de tous ses candidats chiites, face à la menace sérieuse d’une percée de la part de la liste d’opposition menée par Yehia Chamas. La logique des armes avait prévalu sur celle des urnes, in fine, et Chamas avait été déclaré perdant.

En dépit de la capacité du Hezbollah à contrôler de très près les bureaux de vote dans la Békaa, parfois en instaurant la présence de miliciens armés à l’intérieur même de ces derniers, la répétition d’un tel scénario n’est pas à exclure, en raison d’une multitude de facteurs, dont la révolution du 17 Octobre, essentiellement alimentée par les milieux populaires chiites avant que le duopole ne mène une vaste offensive pour dompter par la contrainte, la menace et souvent la violence, les régions sous son contrôle fin 2019.

La crise sociale et économique est un autre de ces facteurs importants, dans la mesure où elle a fragilisé le lien entre le Hezbollah et son milieu, avec la dévaluation record de la monnaie nationale et la diminution des prestations sociales offertes par le parti à son cercle le plus large de sympathisants. La crise a même conforté une division de classes au sein de la communauté, entre un cercle de plus en plus restreint qui continue de bénéficier des largesses du parti et une population de plus en plus paupérisée.

Un troisième facteur est le sort réservé aux forces pro-iraniennes lors des législatives irakiennes, qui ont perdu leur rôle au Parlement, leur nombre de députés passant drastiquement de 74 à 14 députés. Les enjeux ne sont donc pas locaux uniquement. Le Liban étant le bastion du Hezbollah, il en va du lustre du parti, et de Téhéran même, dans toute la région.

En fait, le Hezbollah tente de négocier et d’imposer un package deal global, comme d’habitude, lié à ses propres considérations stratégiques qui ne perçoivent le Liban que comme une pièce d’un vaste échiquier régional, dont le “roi” se situe à Téhéran. Selon les propos d’un responsable du Hezbollah, rapportés par un homme politique proche de la banlieue sud, et confirmés par des sources diplomatiques européennes, le parti chiite considère qu’un accord sur la personne du prochain président de la République constitue l’entrée en matière pour la tenue du scrutin législatif.

Le profil du prochain président se trouve, partant, au centre des préoccupations de toutes les parties, locales, régionales et internationales. Après l’expérience désastreuse du président “fort”, de sa famille, son parti, et de sa communauté, qui s’est montré incapable de rassembler, de rester au-dessus de la mêlée et de gouverner dans une logique de coordination, loin de la confrontation permanente, c’est le profil de la personnalité centriste, respectable, acceptée et estimée de tous, et capable de rassembler, qui a désormais le vent en poupe. Un nouveau Élias Sarkis, en quelque sorte, un commis de l’État, capable de jouer son rôle de gardien de la Constitution, d’arbitre, de garant de l’unité nationale et de capitaine d’équipe, loin de la politique des axes, des rivalités partisanes et des enjeux de pouvoir ou de succession. L’anti-Aoun par excellence, en résumé.

Selon des milieux politiques bien informés, le chantage opéré par le Hezbollah aurait partiellement réussi, dans le sens où la question de l’identité du nouveau président préoccupe la communauté internationale, qui planche sur la question pour garantir la tenue des prochaines législatives et éviter un vide sidéral au pouvoir qui conduirait, in fine, à renforcer la mainmise du Hezbollah sur le pays. Si en outre les élections ont lieu et que le nouveau Parlement n’arrive pas à s’entendre sur la formation d’un nouveau gouvernement, le cabinet Mikati devra expédier les affaires courantes. Et si les forces politiques ne parviennent pas à assurer l’élection d’un nouveau président avant le 31 octobre, date de la fin du mandat Aoun, que se passera-t-il? Certains estiment que le nouveau Parlement devrait investir le cabinet Mikati d’une confiance lui permettant de rester aux commandes, mais l’équipe Aoun juge cette option anticonstitutionnelle et souhaite le maintien du chef de l’État dans ses fonctions pour empêcher le vide constitutionnel. Le président Aoun avait d’ailleurs évoqué un tel scénario lors d’un entretien télévisé durant sa visite officielle au Qatar, le 29 novembre 2021.

Toujours dans le même ordre d’idée d’une déroute législative qui ferait perdre au Hezbollah la majorité parlementaire dite de “Qassem Soleimani” – dans la mesure où le chef iranien de la brigade al-Qods avait lui-même convenu de la victoire triomphale de l’Iran aux législatives de 2018 –, des milieux politiques proches de la banlieue sud lancent l’idée d’une présidentielle anticipée. Ainsi, c’est la majorité actuelle qui élirait le nouveau chef de l’État, désigné sur mesure par le parti pro-iranien comme nouveau héraut et gardien de l’alliance des minorités et de l’alignement sur Téhéran. Mais cette proposition se heurtera à une fin de non-recevoir de la part de toutes les parties politiques qui ne gravitent pas dans l’orbite du Hezbollah.

En dépit de ses désirs, le Hezbollah devrait avoir du mal à se retrouver dans une conjoncture aussi favorable qu’en 2016. De “faiseur de roi”, il devrait se retrouver cette fois doté d’un droit de veto uniquement sur la personne du nouveau président. Pour éviter au Liban de descendre d’un palier supplémentaire dans sa chute vertigineuse aux enfers, l’autre nom du sexennat Aoun. D’autant que la plupart des candidats traditionnels à la course devraient se voir écartés cette fois, au profit d’une personnalité inhabituelle, fidèle à l’esprit de changement porté par les milieux de la révolution et de la société civile, et qui pourrait provenir des milieux libanais qui se sont démarqués par leur excellence à l’étranger.

Lire aussi :

L’échéance législative entre confusions et inquiétudes diverses