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Le ballet diplomatique que connaît Beyrouth laisse penser que quelque chose se prépare sur le plan géopolitique au Proche Orient. Une sortie à l’interminable crise libanaise serait-elle partie intégrante de ce grand jeu ? Quel sens prendrait alors le conclave de dialogue de sept jours, proposé par le président de la Chambre, comme préambule à l’élection d’un chef de l’État ? L’élémentaire bon sens dit qu’un tel dialogue doit pourvoir consacrer l’allégeance et la loyauté sans faille au Liban comme État de droit, unique souverain dans ses frontières, monopolisant l’usage de la violence.

Les chroniqueurs n’arrêtent pas de gloser sur la simultanéité des escapades touristiques de l’émissaire américain Amos Hochstein et de la visite de Amir Hossein Abdollahian, ministre iranien des Affaires Étrangères. Du coup, le Qatar dépêche à Beyrouth son ambassadeur ainsi qu’un envoyé spécial. L’émissaire présidentiel français, Jean Yves Le Drian, est attendu sous peu. Bref, il est clair qu’on s’agite dans les hautes sphères diplomatiques. Verra-t-on l’Iran des Mollahs devenir le sixième membre du " Club des Cinq " qui se penche, entre autre, sur le dossier libanais ? Le petit déjeuner, primesautier et nonchalant d’Amos Hochstein et de Mme Shea, ambassadeur des États-Unis, à deux pas de la banlieue-sud de Beyrouth, est-il un message de défi au parti iranien ? Ou bien, serait-il un signe de bonne volonté et de non-belligérance à l’égard du Hezbollah ? Le mutisme absolu de ce dernier est assourdissant de non-dits politiques. Le parti iranien n’hésite pas à tuer la population civile à Kahalé, pour excès de curiosité sur la camionnette chargée de munitions. Par contre, on veut bien fumer le calumet de paix avec l’envoyé du " Grand Satan " américain, selon le lexique des Mollahs.

Mme Shea et Mr Hochstein prenant le petit déjeuner à Raouché

Nul ne se préoccupe de rappeler qu’Amos Hochstein, né en Israël de parents américains, a jadis servi dans les rangs de l’armée de l’ennemi sioniste. Nul ne s’étonne qu’un vétéran de Tsahal puisse jouer l’intermédiaire de bons offices entre le Liban et son ennemi israélien.  Cet énigmatique émissaire n’hésite pas à affirmer qu’il est temps de fixer les frontières internationales terrestres du Liban. Au nom de qui une telle déclaration est-elle faite ? Au nom de l’État libanais, dépouillé de toute volonté souveraine par la milice iranienne du Hezbollah ? Ou bien, est-ce au nom des Mollahs de Téhéran, geôliers en titre du Liban par Hezbollah interposé ? Bref, cet émissaire est-il un ami ou un ennemi ? Dieu seul connaît la réponse, ainsi que le jurisconsulte suprême Ali Khameneï et son subordonné direct au Liban, Hassan Nasrallah.
Au milieu de cette sarabande, voici que le président Nabih Berri, du haut de son perchoir, annonce sa volonté à convoquer une énième " table de dialogue " de sept jours afin de dégager un consensus entre les factions libanaises à l’ombre de l’arsenal menaçant du Hezbollah Après quoi, le président Berri convoquera le collège électoral des députés de la nation afin d’élire un chef d’État

Les ministres des Affaires étrangères du Liban et d’Iran

Depuis l’assassinat de Rafik Hariri en 2005, les tables de dialogue ont jalonné la vie politique libanaise dont les institutions sont paralysées par le tandem chiite Amal-Hezbollah et ses vassaux d’autres communautés. Les documents produits par ce dialogue inutile constituent une véritable anthologie de la mauvaise foi. Ce folklore médiatique est un leurre pour esprits naïfs. Il sert uniquement à gagner du temps et faire l’impasse sur les impératifs des procédures constitutionnelles et de leur substituer un simulacre de consensus national, obtenu sous la menace des armes iraniennes. Le Hezbollah a donné la preuve, depuis 2005, que la parole donnée, ainsi qu’une signature apposée au bas d’un document, n’engagent en rien leurs auteurs. La duplicité mensongère se trouve ainsi érigée au rang de synonyme de la vérité.
Faut-il ou ne faut-il pas participer à un tel cirque ? L’élémentaire bon sens affirme que la Constitution est sa propre référence. Il faudrait, en principe, refuser toute manœuvre cherchant à se substituer à l’impératif constitutionnel ou, pire, à lui servir de condition pré-requise.
Il faut donc, d’une part, ne pas se laisser piéger par une telle manœuvre. D’autre, part, il est dangereux de jouer la politique de la chaise vide. Comment résoudre le dilemme cornélien ? Cette table de dialogue devrait inclure des forces vives du pays. Tous les participants, opposés au trio Amal-Hezbollah-CPL, participant à cet énième dialogue, doivent se munir  d’un bouclier sous la forme d’un document que les autres participants seraient invités à signer.

Ce document est un acte qui proclamerait les points essentiels :

1. L’allégeance au seul Grand-Liban de 1920.

2. La loyauté exclusive au Liban comme État de droit non-aligné sur les axes géostratégiques régionaux

3. La fidélité perpétuelle au vivre-ensemble du modèle libanais

4. L’engagement solennel à respecter la Constitution libanaise

5. Le respect de l’Accord d’Armistice avec Israël, signé en 1949

6. L’engagement à appliquer scrupuleusement tous les articles des Accords de Taëf, notamment en matière de désarmement, de décentralisation administrative, de création d’un Sénat et de déconfessionnalisation

7. L’engagement au respect de la Déclaration de Baabda

8. La réaffirmation du respect scrupuleux, par le Liban, du droit international, notamment les déclarations 1701 et 1559.

9. L’engagement de procéder de toute urgence aux réformes structurelles que le monde entier réclame au Liban depuis des décennies

10. La réaffirmation de la fidélité du peuple libanais à ses amitiés au sein de la communauté internationale

Un tel document n’a pas besoin d’être négocié durant une semaine de conclave. Il s’impose par lui-même puisqu’il reprend les points essentiels sur lesquels tout le monde a déjà marqué son accord même s’il n’a pas respecté sa signature ou sa parole. Un tel document a besoin, non pas de sept jours, mais de quelques minutes pour être annoncé. Ainsi,  l’opposition unifiée pourrait désamorcer le piège de la table de dialogue tout en renforçant les impératifs constitutionnels ainsi que les engagements du Liban à l’égard du droit international.

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