En accueillant et encadrant des opposants saoudiens et bahreinis, le Hezbollah ne fait qu’entraîner le Liban dans des eaux troubles. 

Il avait accueilli mercredi dernier dans la banlieue sud de Beyrouth un meeting d’opposants saoudiens (en présence de rebelles houthis du Yémen), pour commémorer le sixième anniversaire de l’exécution par Riyad de Nemr Baker el-Nemr ; il avait accueilli aussi en décembre dernier une conférence d’opposants bahreïnis : le Hezbollah entraîne plus que jamais le pays dans des eaux troubles, provoquant de ce fait l’ire des pays du Golfe à l’égard du Liban.

Le meeting d’opposants saoudiens a eu lieu alors que le gouvernement libanais tente inlassablement de rétablir ses relations meurtries avec l’Arabie saoudite, et les pays du Golfe en général, en raison de l’influence croissante du Hezbollah. En effet, le rassemblement de mercredi dernier aux messages politiques belliqueux a eu lieu en dépit de l’appel au calme lancé la veille par le ministre de l’Intérieur Bassam Maoulaoui sur la chaîne panarabe al-Hadath, soulignant que " les lois libanaises interdisent les atteintes à des pays amis ".

Il est nécessaire de rappeler que les tensions étaient montées d’un cran avec Riyad, en raison d’une accumulation de " multiples transgressions " commises par le parti chiite : sa présence au Yémen, son réseau de trafic de drogues (spécialement de Captagon) en direction des pays du Golfe, et ses attaques médiatiques organisées contre le royaume de Mohammad ben Salmane (MBS). De plus, les propos tenus par l’ancien ministre de l’Information libanais, Georges Cordahi, lors d’une interview diffusée par la chaîne de télévision al-Jazira en octobre dernier, critiquant l’intervention politique et militaire de Riyad au Yémen, ont de surcroît contribué à envenimer les relations entre les deux pays.

Pour en revenir au front d’opposition à l’Arabie saoudite parrainée par le Hezbollah, il se présente sous le nom de " Rencontre de l’opposition dans la péninsule arabique ", et s’auto-déclare " révolutionnaire islamique ". Cependant, ce groupe est loin d’être une nouveauté, car il prétend être à l’œuvre sur le terrain depuis plusieurs années, mais a jugé " opportun " à ce stade de " révéler son identité politique ", selon un membre de la Rencontre, Abbas al-Sadek. Effectivement, ce ralliement anti-Riyad est " le fruit d’une action et d’une réaction, puisque le Hezbollah est organiquement et intrinsèquement lié à Téhéran ", affirme à Ici Beyrouth un politologue, sous le couvert de l’anonymat. Selon lui, le congrès organisé par le parti pro-iranien le 12 janvier est " un moyen de pression direct exercé sur la péninsule arabique ; et il constitue une opportunité en or pour confronter le régime wahhabite ".  Une opportunité qui est aussi survenue au lendemain du lancement du Conseil national pour la levée de l’occupation iranienne, formé par des souverainistes libanais, dont le principal but est de briser les tabous constitués par le poids des armes du Hezbollah et de définir les causes principales de la crise libanaise. Est-ce une pure coïncidence ou un timing bien étudié ?

Une plateforme au service de la politique iranienne ?

Le Liban a historiquement été une terre d’accueil permettant aux opposants des régimes dictatoriaux des pays avoisinants de s’exprimer librement. Néanmoins, ces groupes d’opposants se formaient de manière spontanée, indépendante et libre, et non pas sous la houlette d’un pays, d’une force étrangère, ou d’une faction locale. Mais dans le contexte actuel, ce n’est un secret pour personne que l’Iran instrumentalise le Hezbollah pour réaliser son agenda anti-saoudien au Liban et dans la région, en prétextant que Riyad adopte une " politique d’intimidation " et " s’immisce dans les affaires intérieures du Liban ", comme l’a prétendu Hachem Safieddine, le président du conseil exécutif du Hezbollah, lors de la commémoration de l’exécution de Nemr Nemr.

Il reste que le plan d’action à l’encontre du royaume wahhabite élaboré par le parti de Hassan Nasrallah est loin de faire l’unanimité sur l’échiquier politique libanais. Le député du Parti progressiste socialiste (PSP) Hadi Abou el-Hosn a ainsi déploré à Ici Beyrouth " l’existence d’une stratégie contraire aux intérêts du Liban, qui est un pays arabe par excellence de par son identité et son appartenance culturelle, puisqu’il est un membre fondateur de la Ligue arabe ". Et de poursuivre : " Les intérêts du Liban sont prioritaires et ne doivent jamais être éclipsés pour le compte d’autres agendas ".

Plus encore, le Premier ministre Nagib Mikati avait déjà maintes fois critiqué la campagne menée par le Hezbollah et son chef contre l’Arabie, affirmant que les positions de ce dernier ne représentent pas l’Exécutif. M. Mikati avait insisté sur la nécessité de préserver la neutralité du Liban vis-à-vis des pays de la région, dans une allusion à peine voilée aux opérations militaires et attaques verbales virulentes du Hezbollah à l’encontre des pays du Golfe. M. Mikati avait clarifié sa position à cet égard dans un communiqué que son bureau de presse avait rendu public à la suite de la déclaration enfiévrée du secrétaire général du parti de Dieu, il y a quelques semaines. En se démarquant nettement de l’attitude du Hezbollah sur ce plan, l’objectif évident du chef du gouvernement était d’éviter une escalade supplémentaire des tensions entre Beyrouth et Riyad. Une position saluée par l’ambassadeur saoudien Waleed al-Bukhari qui aurait lui-même souligné, comme l’a rapporté à Ici Beyrouth une source proche du Sérail, qu’il comprenait " que le Hezbollah ne représentait pas la position officielle de l’État libanais ".

La normalisation des relations avec les pays du Golfe, l’Arabie en tête, nécessitera des actes tangibles et concrets – mais surtout une cohérence et une consistance dans la volonté de s’éloigner du giron iranien pour réintégrer l’environnement arabe – de la part des officiels libanais qui semblent pour l’heure toujours divisés quant à la prochaine démarche à suivre.

Lire aussi : Le mépris soutenu du Hezbollah pour l’État libanais

 

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