Il y a quarante-sept ans, en 1975, la guerre du Liban a commencé et a duré " officiellement " 15 ans. Des milliers de jeunes de la génération des " baby-boomers ", tous bords confondus, y ont participé sans être préalablement préparés, motivés par une bonne foi pour la plupart, soit par patriotisme, soit par nationalisme (libanais, arabe, syrien…), soit par idéologies de gauche ou de droite, soit pour soutenir ou combattre l’OLP.

Malheureusement, l’image perçue par la jeunesse actuelle de la génération de la guerre est déformée et écœurante pour les sexagénaires qui avaient rêvé d’un Liban meilleur. Cette génération 1975-1990 est actuellement tiraillée entre les dinosaures du féodalisme politique, leurs héritiers biologiques ou " spirituels " et les générations Y et Z. Je ne juge personne, ni le leadership de l’époque, ni celui d’aujourd’hui, ni je réhabilite les " baby-boomers " qui se sont confrontés dans les combats, ont versé leur sang, puis vécu sur une chaise roulante, ou qui sont morts et enterrés. En effet, ils n’avaient pas envisagé une seule seconde, à quelques semaines du début de la guerre, que l’histoire allait se dérouler ainsi. Cependant, ils s’étaient rendus compte que nous franchissions une ligne indélébile qui trace à tout jamais une démarcation entre avant et après le 13 avril 1975.

Nul n’avait vraiment évalué l’ampleur, tout visionnaire fut-il, de de ce qui suivrait, et les rêves des " baby-boomers " de tous bords confondus, pour un Liban meilleur sont tombés à l’eau. L’histoire nous apprend que les " guerriers " soldats ou miliciens, ont toujours fait les frais de la petite politique dans les après-guerres. Ce sont des hommes ordinaires, qui soudainement ne portaient plus treillis et armes, mais qui ont vécu " quelque chose de pas ordinaire " et estiment que leurs sacrifices ne devraient pas être vains ; ils deviennent ainsi gênants pour les camelots de la politique.

Les grands leaders payent également ; ainsi, Charles de Gaulle a été écarté du pouvoir après la Deuxième Guerre mondiale, à l’instar de Winston Churchill, malgré leur victoire. Toutefois, tous les deux ont été rappelés plus tard aux affaires nationales pour leur expérience inégalée.

Les leaders libanais et leurs cadres subordonnés, bons ou mauvais, éclairés ou non, qui avaient envoyé leurs hommes à la guerre, se sont retrouvés dans une logique de guerre sans fin. Quand les hommes mouraient, le public et les supporters supposaient que c’était pour un intérêt vital, ce qui était le cas. Toutefois, quand la guerre s’est prolongée sans victoire et sans paix avantageuse, elle devint un cauchemar dans le subconscient collectif. Face à cette situation, les dirigeants ne pouvaient pas admettre qu’ils avaient mis en jeu la vie des hommes, pour se retrouver glissant d’une impasse à l’autre, et pataugent ainsi dans la mare.

Hélas, nous vivons aujourd’hui un " remake ", une autre forme de guerre mixte, où des " guerriers " sans armes s’opposent à d’autres armés jusqu’aux dents. Certains de ces guerriers sans armes appellent à adopter une stratégie commune de confrontation civile, ce qui est fondamental, au milieu d’un chaos national sans précédent, alors que d’autres jouent à guerroyer sans avoir rien appris du passé.

La chefferie de ces guerroyeurs est rongée par des luttes intestines dont les enjeux sont étroits, tels que des sièges au Parlement. Tout ce monde ne voit-il pas que le citoyen " normal " souhaiterait soutenir une opposition crédible, plurielle, fédératrice et rassurante ? Qui ferait honneur au Liban et protègerait la patrie ?

La génération des " baby-boomers " après tant de sacrifices voit avec amertume ces attitudes désinvoltes et irresponsables, car elle est modelée par les quinze ans de guerre (1975-1990), et par toutes les guerres et mini-guerres qui ont suivi depuis 1990. Pendant cette guerre, les combattants ou soldats se sont connus soit comme frères d’armes, soit comme ennemis. Nombre de frères d’armes d’hier sont devenus adversaires d’aujourd’hui, et beaucoup d’ennemis d’hier sont devenus des frères d’aujourd’hui, ou simplement des hommes ordinaires réconciliés avec eux-mêmes, avec leur passé et avec leurs ex-ennemis.

D’autres, très nombreux, sont encore prisonniers du passé, et cela se répercute énormément sur leur perception. Un fait est certain : ceux qui ont appris, ne se font pas entendre comme il faut. Un fossé les sépare de la jeunesse d’aujourd’hui, particulièrement celle de la révolution du 17 Octobre. Les générations actuelles, surtout Y et Z, ne peuvent entièrement comprendre l’expérience des vétérans, et certains vont même jusqu’à les accuser de tous les maux.

Toujours est-il que la guerre n’a jamais cessé ni dans le pays, ni dans la région, ni dans le monde, et le souhait le plus profond est qu’elle ne frappe pas aux portes de la jeunesse d’aujourd’hui, comme elle avait frappé aux portes des baby-boomers il y a quarante-deux ans. La jeunesse d’aujourd’hui perçoit-elle ce danger afin de l’éviter et d’agir en conséquence ? S’accroche-t-elle suffisamment aux institutions étatiques et aux forces armées légales ? Comprend-elle que la mise en application de la Constitution et de l’État de droit est la seule issue ? Distingue-t-elle les hommes d’état des colporteurs de petites politiques et des camelots d’idéologies ?

Le panorama libanais est certes compliqué. Certains insistent à voir de faux problèmes, et ne perçoivent pas les vrais dangers qui guettent le pays, notamment : les milices armées illégales qui se veulent légitimes, l’expansionnisme iranien, les mentalités populistes des intérêts étroits, et les incapables qui jouent aux apprentis sorciers. Ils ne poussent pas le leadership à adopter des stratégies réalistes. À quelques mois des législatives, c’est la survie du Liban qui prime sur les sièges parlementaires. Notre pays survivra comme toujours, et certainement pas grâce aux élections législatives, mais grâce à un nombre réduit d’irréductibles résistants qui y croient, à l’instar de ceux qui les ont précédés depuis 1920.

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