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Ce sursaut salvateur susceptible de débloquer enfin l’élection présidentielle, on l’attendait – ou du moins, on avait le fol espoir de l’attendre – de la part du parti pro-iranien et ses alliés. Il est venu, plutôt, de l’émissaire présidentiel français Jean-Yves Le Drian, mais sous la forme d’une position tranchée et d’un véritable cri d’alarme, doublé d’une sévère mise en garde. Dans son interview à l’AFP, le représentant du président Emmanuel Macron a très clairement mis un terme définitif aux présomptions portant sur la position française, jugée trop complaisante à l’égard du Hezbollah au niveau du dossier de la présidentielle.

En affirmant noir sur blanc que ni le candidat de l’axe obstructionniste (Sleiman Frangié) ni celui du camp adverse (Jihad Azour) ne peuvent se faire élire, et en exhortant, par voie de conséquence, les responsables libanais à s’entendre sans atermoiement sur un troisième candidat, M. Le Drian a exprimé et consacré sans détour une position unifiée, et très ferme, du groupe des cinq pays (États-Unis, France, Arabe saoudite, Égypte et Qatar) qui planchent sans relâche sur la recherche d’une sortie de crise. Ses propos sur ce plan sont sans appel: "Les cinq sont totalement unis, profondément irrités et s’interrogent sur la pérennité de leurs financements au Liban". En clair, l’émissaire de l’Élysée a tiré un trait sur les rumeurs faisant état d’une dissonance entre la position de Paris – perçue comme trop conciliante – et celle des autres pays du Groupe des cinq.

Pour bien signifier à qui de droit que le ton est désormais à la fermeté extrême dans ce cadre, M. Le Drian a été jusqu’à affirmer que "le pronostic vital de l’État libanais lui-même est engagé", ce qui signifie ouvertement et sans fioritures que cet État est sérieusement menacé de disparition en bonne et due forme. Et pour qui ne voudrait pas encore comprendre, l’émissaire français, reflétant la vision des Cinq, a ajouté qu’il y va "de la survie du Liban".  

À ce stade, des questions fondamentales doivent être posées sans ambiguïté… Désire-t-on un président qui se contenterait de gérer simplement la crise, et donc de prolonger durant six nouvelles années les épreuves endurées par la population libanaise? Ou souhaite-t-on au contraire un chef de l’État, dans toute l’acception du terme, un nouveau Fouad Chehab, qui s’emploierait à lancer un vaste chantier de redressement et de refonte dans tous les domaines, à tous les niveaux et dans tous les secteurs, loin de tout fromagisme racoleur?

Il en découle deux autres interrogations non moins fondamentales, auxquelles le Hezbollah se doit aujourd’hui de répondre en toute transparence, en mettant en sourdine sa posture idéologique et dogmatique – si tant est qu’il peut, ne fût-ce qu’une seule fois, faire preuve de transparence…

(i) L’enjeu inavoué de l’effondrement intégral actuel (planifié de longue date et télécommandé par le parti pro-iranien) est-il de modifier profondément le visage, la spécificité, la vocation, la raison d’être et la formule politico-socio-économique du Liban libéral, pluraliste, attaché aux libertés publiques et individuelles?

(ii) Le pays du Cèdre doit-il continuer à être otage des ambitions hégémoniques du régime des mollahs iraniens, sachant que depuis plus d’un demi-siècle les Libanais subissent les contrecoups du conflit régional, jalonné depuis des décennies de supercheries et de populisme primaire, dont l’aboutissement aura été en définitive la normalisation entre Israël et la plupart des pays arabes, alors que la population libanaise continue d’être soumise sur ce plan à un terrorisme intellectuel ravageur?

À l’heure où des informations font état de la possibilité d’une nouvelle réunion urgente de concertation franco-saoudienne dans les quarante-huit heures à Ryad, en présence de M. Le Drian, des éléments de réponse devraient être apportés à ces quatre interrogations, cruciales pour le sort des Libanais. À défaut, l’élection présidentielle ne serait que de la poudre aux yeux qui permettrait, à n’en point douter, au suppôt du pouvoir iranien de poursuivre et de peaufiner son entreprise de grignotage systématique des infrastructures de l’État et des principaux secteurs vitaux du pays. Il y va réellement aujourd’hui de la survie du Liban pluraliste, libéral, respectueux des droits humains, affranchi du projet de société en tous points rétrograde.