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Le pape François réussira-t-il dans la tâche qu’il vient d’entamer ? Depuis le 4 octobre, plus de 450 dignitaires de l’Église, dont 20 délégués des Églises orientales et d’observateurs laïcs, dont 54 femmes, débattront à huis clos pendant un mois, sous sa conduite, de divers sujets de société touchant à l’Église : structure de gouvernement participative au sein de l’Église, issues pastorales (ordination des femmes, prêtres mariés), questions morales (accueil des personnes LGBT et bénédiction des unions homosexuelles, accession aux sacrements des divorcés remariés), etc.

La crise des abus sexuels, parce qu’elle découle notamment d’une notion rigide de l’exercice de l’autorité dans l’Église, sera particulièrement au cœur des réflexions synodales. Une meilleure articulation entre la dimension verticale et la dimension horizontale de l’autorité, c’est-à-dire entre la hiérarchie et la synodalité, est envisagée.

Ce processus se tient au sein d’une structure spéciale créée par le pape Paul VI : le Synode des évêques, une institution à vocation consultative dotée d’un secrétariat permanent, mais à la composition variable selon les sujets abordés, qui doit aider le pape dans sa charge pastorale. Une réunion du Synode pour le Liban s’est tenue en 1995, à l’appel de Jean-Paul II, rappelle-t-on.

La réunion actuelle a été précédée d’une large consultation au niveau des diocèses et continents, un processus qui a abouti à l’élaboration d’un "instrument de travail" (Instrumentum laboris) qui sert de plan de travail à la réflexion en cours.

Les laïcs sont l’Église

L’intitulé de l’Instrumentum laboris est : "Pour une Église synodale", c’est-à-dire une Église où le "cléricalisme", cet accaparement systémique (et systématique) du pouvoir par les évêques et les prêtres, cède le pas à la coopération entre clercs et laïcs dans l’esprit du Concile Vatican II (1962-1965). Un Concile qui a redonné leur place et leur dignité aux laïcs, au sein de l’Église, conformément à une formule restée célèbre : "Les laïcs ne sont pas dans l’Église, ils sont l’Église".

On le voit, le synode sur la synodalité s’inscrit dans le sillage de l’“aggiornamento” de l’Église proposé par Vatican II. Les Églises particulières sont invitées à réfléchir aux moyens de rendre l’Église universelle plus synodale, "par la communion, la participation et la mission", selon les termes des consultations antérieures à l’Instrumentum laboris. Pour cela, l’écoute et le dialogue sont primordiaux comme style de vie, insistent les commentateurs, et non comme simples "techniques" de communication.

Mais les règles de cette réflexion restent très particulières. En effet, et le pape le rappelle occasionnellement, l’Église n’est pas une démocratie. "L’Église n’est pas une démocratie, mais une communauté dirigée par le seul Christ, écrit l’Assomptionniste Sylvain Gasser, cité par le journal La Croix. Elle naît d’une décision de Dieu et non des hommes. Sa confession de foi n’est pas mise aux voix. Ses ministres ne sont pas des délégués de la base mais reçus et comme suscités par l’Esprit (NDLR : selon une succession apostolique bien précise, comme l’affirment les Églises orientales qui se réclament d’Antioche et de Saint Pierre). Ses orientations pastorales ne font pas l’objet de débats parlementaires. "

De même, le Synode des évêques n’est pas un Parlement, insiste le Pape. Les décisions n’y sont pas prises à la majorité, mais "ensemble", un terme qui renvoie à la synodalité. Celle-ci consiste à "cheminer ensemble" grâce à un processus d’écoute mutuelle, de dialogue et de référence constante aux principaux dogmes de la foi catholique, comme aux vérités de la foi telles que transmises par la Tradition.

" Une pensée féconde doit rester inachevée "

Dans son ouvrage "Un temps pour choisir", le Pape s’est exprimé sur la synodalité en termes à la fois clairs et nuancés. Il écrit : "Une pensée féconde doit toujours rester inachevée, afin de laisser la place à un développement ultérieur (…) La façon de penser qu’il propose (référence au théologien Romano Guardini) nous ouvre à l’Esprit et au discernement des esprits. Si tu ne t’ouvres pas, tu ne peux discerner. D’où mon allergie aux moralismes et autres " ismes " qui essaient de résoudre tous les problèmes par des prescriptions, des équations et des règles (…) Mais pour être clair : j’abhorre également le relativisme (…), je crois aux vérités objectives et aux principes solides. Je suis reconnaissant de la solidité de la Tradition de l’Église, fruit de siècles de conduite pastorale et du principe d’une ‘ foi qui cherche à comprendre’ (…) J’aime à penser que nous ne possédons pas la vérité autant que la vérité nous possède (…) cette approche de la vérité contient  à la fois un élément d’assentiment et un élément de recherche continuelle (…) C’est pourquoi j’aime citer Gustav Mahler, qui dit que ‘la tradition, c’est la transmission du feu et non l’adoration des cendres’.

Un double défi

Le défi lancé au Synode sur la synodalité est donc double : méthodologique et doctrinal. La partie est-elle jouée d’avance ? Certainement pas. Sur le plan méthodologique, c’est une délicate partie qui s’ouvre. Sur le plan doctrinal, les fers sont déjà croisés. En effet, à la veille de l’ouverture des travaux du synode, cinq évêques "conservateurs" ont publiquement demandé au pape une attitude "plus claire" sur des questions morales, et d’abord la bénédiction des unions homosexuelles. Le minutage de cette demande n’est certainement pas innocent.  Les prochaines semaines diront ce qu’il en sera en définitif, sachant que François a toujours critiqué les polémiques et interférences qui veulent transformer la question synodale en un combat politique.