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La cité, comme corps politique, peut mourir. Sa mort peut être violente et brutale. Mais son agonie peut être parfaitement discrète et faire illusion de vie renaissante. Tel est le cas du Liban.

Les guerres, les assassinats, les blocages politiques, la terreur répandue, la corruption protégée, le pillage organisé du peuple, les apocalypses provoquées, l’absence totale de la recherche du bien commun, auront fini par avoir raison du Liban.

Certes, les restaurants et discothèques poussent comme des champignons.

Certes, l’afflux saisonnier d’émigrés et de touristes vient renflouer les caisses et insuffler un peu de vitalité dont profitent ceux qui ont investi dans des entreprises touristiques.

Certes, cette activité débordante qu’on acclame peut faire illusion et laisser croire que le Liban ressuscite. Hélas, tout cela ne fait pas une économie.

Tout comme une alouette ne fait pas le printemps, de même une manouché préparée sur Tik-Tok n’est point un signe de prospérité.

Batroun et d’autres lieux touristiques peuvent briller de tous leurs feux, alimentés par les groupes électrogènes privés. Ceci ne fera jamais une économie.

Certes, le secteur privé reprend un peu de son souffle. Mais c’est le secteur public qui n’est plus. Et ceci ne fera jamais une économie en l’absence de l’État.

Quand un organisme vivant meurt, toutes ses fonctions ne s’arrêtent pas simultanément. La barbe des cadavres continue à pousser encore, mais cela ne signifie pas que la dépouille ressuscite.

Bref, le Liban d’aujourd’hui est devenu un cas d’école, à l’image de ce cadavre dont certaines fonctions se maintiennent. En soi, c’est tant mieux car cela permet de faire vivre, chichement, il est vrai, un certain nombre de familles.

Mais un cadavre se laisse peu à peu envahir par la vermine. La charogne poursuit ainsi son implacable destinée. Celle du Liban, grâce à l’économie du cash, est devenue un champ fertile pour toutes les vermines du blanchiment d’argent. Malgré l’éclat du bling-bling que cela engendre, ce ne sont après tout que des râles agoniques.

Le Liban est devenu une carcasse de voiture en mesure de rouler encore cahin-caha, mais dont le moteur n’est pas fixé au châssis, car il se trouve à l’extérieur du véhicule.

Les échéances constitutionnelles, complètement bloquées, sont devenues banales pour ne pas dire quasi inutiles. Pas de chef d’État, pas de gouverneur de la banque centrale, bientôt pas de commandant en chef de l’armée, etc.

Mais la vie continue et on s’acharne, de plus belle, à préparer sur Tik-Tok, des manouchés, des falafels, des shawarmas, des hommos, des fattés et autres bricoles de la cuisine de rue libanaise; le tout sur fond de miaulement éploré de vieilles chansons des années 1950-1960, qui font larmoyer les amateurs de ce plaisir masochiste qu’est la nostalgie.

Pour pouvoir ressusciter des décombres, le Liban ne doit surtout pas se prendre pour un Phénix toujours recommencé, toujours identique à lui-même.

Le Liban d’hier n’est plus. Le Liban de demain reste à réinventer.

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