
Il serait simpliste de croire que la question des armes du Hezbollah puisse faire l’objet d’un règlement à l’interne. La formation étant une extension idéologique, militaire et politique de son tuteur stratégique iranien, ses armes ne peuvent relever d’une simple décision nationale. Ce dossier s’inscrit dans une logique régionale plus large, tributaire des équilibres entre Téhéran et Washington. Toute initiative locale, aussi volontariste soit-elle, restera, selon les observateurs, vaine tant que la décision ne sera pas prise à ce niveau supérieur.
Néanmoins, et face à l’urgence sécuritaire et à l’essoufflement de l’attentisme, aussi bien la communauté internationale que les autorités libanaises ne peuvent se permettre de rester les bras croisés. Même symbolique, une posture d’engagement s’impose, ne serait-ce que pour conserver une place à la table des négociations régionales.
C’est la raison pour laquelle un (nouveau) compte à rebours s’est aujourd’hui enclenché. À Beyrouth, dans les cercles du pouvoir, une feuille de route classée «confidentielle» circule de main en main. Elle porte l’empreinte de Thomas Barrack, l’envoyé spécial américain pour la Syrie. Le 19 juin dernier, celui qui est censé être l’architecte officieux du futur ordre régional au Liban a effectué une tournée au Liban.
Son objectif à long terme est aussi ambitieux qu’explosif: désarmer le Hezbollah, restaurer la pleine souveraineté de l’État libanais sur l’ensemble de son territoire et sceller définitivement les frontières du pays, aussi bien avec Israël qu’avec la Syrie. Le tout selon un schéma à double détente: à chaque pas du Liban, un geste d’Israël.
Or, et selon plusieurs sources interrogées par Ici Beyrouth, si le Liban ne répond pas clairement (d’ici juillet pour certains, septembre pour d’autres), les conséquences pourraient être lourdes, d’autant plus que M. Barrack aurait donné rendez-vous aux autorités libanaises le 7 juillet prochain. À cette date, Washington attend une position claire, notamment sur la question du monopole des armes.
Dans les prochains jours (vendredi selon une source bien informée), un débat est attendu en Conseil des ministres, avec la possibilité d’un communiqué «flou et non contraignant» y émanant, affirmant l’engagement du Liban à garantir le monopole de la force armée par l’État d’ici fin 2025, conformément au discours d’investiture du président Aoun mais aussi à la déclaration ministérielle du gouvernement.
Une démarche qu’encouragerait le président du Parlement, Nabih Berry, qui, faute d’accord avec le Hezbollah et histoire de gagner du temps, chercherait, selon des sources concordantes, à obtenir un texte général sans engagement immédiat. Il pourrait ainsi le brandir lors du retour de M. Barrack, en guise de preuve de «bonne volonté».
Cependant, le message est clair côté américain. En cas de tergiversation, le Liban sera laissé seul face à l’escalade, Israël pourrait reprendre les hostilités et la communauté internationale durcir les sanctions. Selon une source sécuritaire, «si l’État libanais ne prend pas ses responsabilités, les Israéliens finiront par faire tout le travail à sa place».
En quoi consiste la feuille de route de Barrack?
À travers son initiative diplomatique d’envergure, M. Barrack espère pouvoir redéfinir les rapports de force internes et régionaux.
Selon des sources diplomatiques et sécuritaires concordantes, ce plan a un triple objectif: désarmer progressivement le Hezbollah; restaurer l’autorité exclusive de l’État libanais sur tout le territoire; redéfinir les rapports du Liban tant avec la Syrie qu’avec Israël.
Ainsi transmise au président de la République, Joseph Aoun, mais aussi au Premier ministre, Nawaf Salam, et au président du Parlement, Nabih Berry, la proposition américaine impose une dynamique claire: agir vite, et maintenant (comme ce fut le cas – vainement – dans le passé, notamment en vertu de l’accord de cessez-le-feu conclu le 27 novembre 2024). Depuis cette date, aucune démarche concrète n’a pu être effectuée dans ce sens.
Pour en revenir au plan américain, celui-ci est, selon une source diplomatique, structuré en trois volets majeurs. Primo, le volet sécuritaire. Les États-Unis exigeraient le désarmement des milices libanaises et non libanaises (notamment le Hezbollah et les factions palestiniennes), non seulement au sud du Litani, mais sur l’ensemble du territoire libanais. L’État, à travers l’armée libanaise, doit être l’unique détenteur de la force armée.
Secundo, le volet institutionnel et économique. Washington exige des réformes structurelles profondes de l’appareil d’État. Cela inclut, entre autres et selon plusieurs sources interrogées, la modernisation et la digitalisation de l’administration, une réorganisation du secteur judiciaire, la privatisation partielle ou totale de secteurs stratégiques comme l’électricité, les télécoms et les ressources hydrauliques.
Tertio, le volet géopolitique, dans le sens où le Liban est appelé à lancer des négociations officielles avec la Syrie pour la démarcation des frontières et à finaliser le tracé de ses frontières avec Israël. À terme, la souveraineté frontalière devrait être clarifiée et stabilisée.
En contrepartie de la coopération libanaise, Israël s’engagerait, en vertu de la feuille de route, à un retrait progressif de ses forces armées des cinq positions stratégiques qu’elles continuent d’occuper au Liban-Sud, et à la libération d’environ 30 à 50 prisonniers du Hezbollah détenus en Israël. Un appui international à la reconstruction économique du pays serait également prévu à cet effet.
Or, les exigences américaines à l’encontre du Liban ne relèvent en aucun cas de l’évidence pour les autorités à Beyrouth.
Comment réagit le Liban?
Selon des sources diplomatiques, les premières réactions internes sont divisées. Le président de la République, Joseph Aoun, et le Premier ministre, Nawaf Salam, adoptent une attitude de prudence. L’armée libanaise, de son côté, serait disposée à coopérer, à condition d’obtenir une couverture politique solide et un consensus national.
Mais c’est du côté du tandem chiite que le plan semble rencontrer une résistance politique majeure. Si le Hezbollah n’a pas encore officiellement répondu, une contre-proposition est actuellement à l’étude, selon des sources proches du dossier. Elle comprend plusieurs conditions, facilement réfutables par la partie israélienne: absence de poursuites judiciaires post-désarmement (le Hezb craint des poursuites liées à son financement illicite, à ses activités de narcotrafic, etc.), garanties contre d’éventuelles représailles syriennes (l’ancien président Bachar el-Assad n’étant plus au pouvoir), réintégration ou reconversion des quelque 30 000 combattants hezbollahis, et surtout, un retrait préalable d’Israël des territoires occupés.
De son côté, le président du Parlement, Nabih Berry, allié du Hezbollah, cherche à temporiser, en jouant la carte du temps. Il aurait proposé un moratoire de trois mois pour «négocier les modalités de restitution des armes» au profit de l’État. Une tentative qui, selon une source gouvernementale, ne répond pas à l’urgence exprimée par Washington. «Le temps du compromis progressif est révolu», glisse-t-on de même source. La guerre régionale entre Israël et l’Iran a changé les paramètres. Ce qui pouvait être négocié avant le déclenchement du conflit direct entre Tel-Aviv et Téhéran ne peut plus l’être aujourd’hui.
L’Iran, l’acteur invisible
En toile de fond, une question cruciale reste posée: le Hezbollah peut-il décider seul de la restitution de son arsenal? Il faut dire que le sort de ses armes est aujourd’hui étroitement lié aux négociations entre Téhéran et Washington, prévues, selon des sources diplomatiques, mercredi à Doha. Mardi dernier, le Premier ministre qatari avait appelé les États-Unis et l'Iran à reprendre les pourparlers sur le dossier du nucléaire, au lendemain de l'annonce par Donald Trump d'un cessez-le-feu entre Téhéran et Israël.
L’arme militaire du Hezbollah reste, dans cette équation, une carte stratégique entre les mains de l’Iran. «Il n’y aura pas de solution libanaise sans feu vert régional», résume-t-on de source proche du dossier. Et d’ajouter: «En clair, ce ne sont ni M. Berry, ni M. Salam, ni M. Aoun qui détiennent la clé du désarmement, mais bien les hautes sphères du pouvoir iranien.»
C’est dire que la décision finale ne se joue pas à Beyrouth, mais à Téhéran. Le Hezbollah, bras armé régional de l’Iran, ne pourra pas acter seul la restitution de son arsenal sans un feu vert clair du régime iranien. D’où l’importance cruciale des résultats des pourparlers attendus entre Téhéran et Washington, les armes du Hezbollah constituant une carte de négociation stratégique iranienne. Un fait qui limite considérablement toute évolution, sans qu’un compromis régional ne voie le jour.
Commentaires