“Voici venu notre tour de gouverner. Ceux qui ne veulent pas en acquérir la conviction le feront de facto dans quelques mois”.

Cette phrase d’un responsable du Hezbollah en dit long sur les intentions du parti, qui soutient, en dépit de la réalité des rapports de force sur le terrain, que la communauté chiite se trouve toujours mise à l’écart du pouvoir exécutif. Cela expliquerait ainsi son attachement au ministère des Finances, qui lui confère un contreseing ministériel stratégique et, partant, un véritable droit de véto au sein du pouvoir exécutif. Le Hezbollah va même jusqu’à soutenir que l’accord de Taëf a consacré ce portefeuille aux chiites, ce que démentent les anciens députés qui ont pris part aux réunions de la conférence.

Le retour conditionné du duopole chiite Amal-Hezbollah au gouvernement constitue dans ce sens un message clair que l’avènement de l’ère du chiisme politique n’est plus lointain.

Fort de ses armes, le Hezbollah ne cache plus sa volonté de profiter de son ascendant militaire et politique actuel pour traduire ses acquis sur le plan institutionnel et modifier ce faisant la formule libanaise. Si bien que des milieux politiques occidentaux se demandent si la crise libanaise pourrait finir par déboucher sur une guerre civile qui mènerait à la partition ou sur un nouveau régime qui modifierait le visage du pays et son rôle dans la région.

Dans un pays soumis à des interférences internationales incessantes du fait de son positionnement géographiques, de l’exiguïté de son territoire et de sa structure socio-confessionnelle, les rapports de force ont toujours dicté les changements de système politique.

Un ancien responsable évoque ainsi certaines étapes de l’histoire du Liban où les composantes politiques ont tenté d’imposer leur hégémonie par la confrontation: dans le Mont Liban d’abord, sous la Moutassarifiya, lors de la guerre druzo-maronite qui avait débouché sur le double Caïmacamat, c’est-à-dire sur le refus de la partition et le rattachement à la formule du vivre-ensemble ; en 1958 ensuite, à travers les prémices de la guerre islamo-chrétienne qui s’est poursuivie jusqu’en 1990, avec successivement le projet palestinien de patrie de rechange, l’entrée des forces syriennes dirigée à l’origine contre les Palestiniens puis la mainmise progressive de Damas sur l’ensemble du pays, ainsi que l’invasion israélienne pour mettre fin à la présence palestinienne. Toute cette séquence s’est terminée par l’accord de Taëf en Arabie saoudite, la consécration de la parité islamo-chrétienne et le renoncement à la loi du nombre.

Mais la chute du chah d’Iran en 1979 avait introduit un nouveau facteur sur la scène libanaise par le biais du régime alaouite en Syrie, le Hezbollah, tentative d’exportation de la révolution islamique iranienne sur la scène libanaise à partir du début des années 80, et tête de pont d’un projet expansionniste perse dans la région. Nouveau facteur de déstabilisation régional, nouvelles ambitions de faire subir des mutations profondes au Liban.

Sur base des rapports de force actuels, et pour anticiper des événements qui pourraient se produire, le Hezbollah souhaite une nouvelle formule pour remplacer Taëf. D’où sa volonté de s’accaparer le portefeuille des Finances pour s’assurer un rôle actif au sein du pouvoir exécutif.  Son retour conditionné au sein du gouvernement est une répétition générale dans ce sens.

Les forces politiques qui représentent des ramifications de Téhéran dans les pays de la région ont  toutes argué de la démocratie consensuelle et des cabinets d’union nationale pour rejeter le principe du régime démocratique fondé sur le principe d’une majorité qui gouverne et d’une minorité qui s’oppose. Si, dans la foulée de la guerre de juillet 2006, un responsable du Hezbollah avait clairement dit devant des diplomates occidentaux qu’il fallait in fine que les chiites gouvernent seuls dans les pays où ils possèdent désormais la majorité numérique, le principe du “cabinet d’union nationale” garantit entretemps aux forces politiques de cette communauté une représentation active, sous le label de l’attachement au “consensualisme” (mithaqiya), dérive absconse de la règle du consensus transcommunautaire, qui leur confère ainsi un droit de véto et de blocage institutionnel illimité, qui n’est rien d’autre qu’un instrument de chantage pour contrôler l’Exécutif.

Or tout changement de régime ou de système, tout amendement de la Constitution à l’étape actuelle serait susceptible de modifier l’identité du Liban et d’en neutraliser le rôle, poussant vers des options partitionnistes. L’attachement à l’accord de Taëf et son application en vue de l’édification de l’État civil, comme point de départ pour une solution constitue l’option la plus saine et qui bénéficie d’un appui local et international.

Selon un ancien responsable, le système politique au Liban est l’expression de son rôle dans la région. Ce qui se produit au Moyen-Orient est une nouvelle répartition d’influences entre les forces internationales et régionales avant le projet de règlement global et de compromis autour de la question palestinienne. Les pressions exercées par le duopole chiite pour parvenir à consacrer ses acquis politiques n’aboutiront à aucun résultat, compte tenu du fait que tout changement dans la structure politique du pays nécessite trois niveaux: une adhésion locale, un consensus régional et une décision internationale. Or aucun de ces trois facteurs ne sont assurés à l’heure actuelle.

Interrogé un jour durant la guerre civile par un journaliste américain sur la partition comme solution au Liban, comme ce fut le cas à Chypre, Camille Chamoun avait répondu que l’Irak serait à l’avant-garde de tels changements, et qu’il fallait donc garder l’oeil sur ce pays. En suivant le raisonnement du président Chamoun, l’Irak s’oriente aujourd’hui vers un gouvernement de majorité, pas d’union nationale comme le souhaiteraient les forces affiliées à l’internationale iranienne. Au Liban, le prochain gouvernement sera donc un gouvernement de majorité. Partant de cette équation, Camille Chamoun assurait que le Liban ne serait jamais divisé ou fédéralisé, de même qu’il ne formerait jamais une unité avec la Syrie. `

La formule libanaise est intangible, et son rôle régional demeure le même depuis sa fondation, celui de médiateur, de pays neutre, d’espace de dialogue entre les religions et les civilisations et de modèle de vivre-ensemble.

Tous les points de vue concordent sur un point: les tentatives de quelques acteurs au service d’agendas étrangers ne pourront pas modifier la face du Liban pour en faire un pays de confrontation. Le comble est qu’à des fins iraniennes, le pays du Cèdre est le seul de la région à se retrouver aujourd’hui en confrontation avec Israël, à l’heure où même les Palestiniens oeuvrent pour relancer les négociations avec Tel-Aviv ! Le projet iranien de modifier les structures culturelles et institutionnelles du pays, en mettant fin à sa spécificité, et en tentant d’y imposer une répartition par tiers sunnite/chiite/chrétien consacrant leur hégémonie définitive sur le pays, ne passera pas.

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