
Le désarmement du Hezbollah au Liban, longtemps considéré comme un sujet tabou, revient aujourd’hui au centre des débats politiques et diplomatiques, sous l’effet de pressions internationales croissantes et d’un nouveau rapport de force régional. Si la question divise profondément la classe politique libanaise, plusieurs pistes concrètes pourraient, selon les experts, amorcer un processus progressif, réaliste et encadré. D’autant plus qu’une chose est désormais admise par une partie de la communauté nationale et internationale: la fin des armes hors contrôle de l’État est une condition indispensable au redressement du Liban.
Désarmement, retrait des armes, remise de l’arsenal, monopole de la force au profit de l’État… les formules sont nombreuses, les intentions floues, les mécanismes incertains. Et pourtant, le mot d’ordre circule de plus en plus clairement dans les couloirs du pouvoir libanais et dans certaines chancelleries occidentales: le temps est venu d’en finir avec les armes hors contrôle de l’État, à commencer par celles du Hezbollah.
Aujourd’hui, un projet de plan exécutif, que le gouvernement s’apprête à étudier lors d’une séance ministérielle attendue mardi, s’inscrirait dans cette dynamique, à moins d’une «surprise» de dernière minute. Dès lors et à supposer que le conseil des ministres ait lieu, à supposer aussi que décision soit unanimement prise en vue d’un véritable monopole des armes entre les mains de l’État, quelles seraient les modalités envisageables pour ce faire? Est-ce même possible? À quelles conditions et à quel prix?
Selon des révélations qui ont fuité dans certains médias locaux, le Liban officiel aurait élaboré un plan en quatre phases, étalé sur 120 jours, pour désarmer le Hezbollah mais aussi les factions palestiniennes présentes sur le territoire. Un timing qui fait écho à la feuille de route américaine, laquelle accorde également un délai de quatre mois pour atteindre cet objectif.
Mais entre l’écriture d’un plan et son application, un gouffre persiste. L’attitude actuelle du Hezbollah, les déclarations de son secrétaire général, Naïm Qassem, les ambiguïtés du président de la République, Joseph Aoun, mais aussi l’attitude du chef du législatif, Nabih Berry, et les équilibres régionaux laissent peu de place à l’optimisme.
Peu de place, oui, mais pas d'impossibilité absolue non plus, estiment plusieurs observateurs, qui voient dans le contexte actuel (fatigue généralisée de la population, isolement croissant de l’Iran, dynamique diplomatique entre Riyad et Washington) une fenêtre de tir étroite mais réelle pour amorcer un processus de désarmement progressif. Encore faut-il que ce processus soit crédible, encadré, accompagné d’un consensus interne et soutenu par une pression internationale ferme mais coordonnée.
Modalités déclinées
Plusieurs pistes seraient ainsi envisageables. Parmi ces procédés, figure l’intégration progressive d’une partie des combattants du Hezbollah dans les structures officielles de l’État. Un corps d’élite mixte pourrait être créé, selon un expert proche du dossier, regroupant des éléments issus du Hezbollah et de l’armée libanaise, sous commandement unique de l’institution militaire. Parallèlement, un programme d’intégration individuelle permettrait à certains combattants de rejoindre les rangs de l’armée, des Forces de sécurité intérieure ou de la Sûreté générale, après sélection et formation.
Un plan de reconversion professionnelle, soutenu par l’Organisation des Nations unies (ONU) ou un fonds arabe, pourrait offrir des alternatives concrètes aux autres membres de l’appareil militaire du Hezbollah, via des emplois civils, une réinsertion sociale ou un accompagnement économique.
Un deuxième cas de figure qui pourrait venir s’ajouter au premier consisterait, selon cette même source, en un démantèlement par étapes de l’arsenal. «Le désarmement proprement dit ne pourra pas se faire de manière brutale», indique-t-on de source susmentionnée. Il nécessitera, selon notre interlocuteur, un processus par étapes, débutant par un inventaire confidentiel des stocks d’armes sous supervision d’un comité mixte libano-onusien. Les armes lourdes pourraient être progressivement transférées à l’armée, tandis que certaines zones sensibles, notamment au sud, deviendraient des zones démilitarisées sous supervision renforcée de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul), dont le mandat serait élargi.
De telles conditions remplies, la fin de l’implication du Hezbollah dans les conflits régionaux pourrait voir le jour. Son retrait progressif de Syrie, d’Irak et du Yémen serait donc une étape essentielle, en lien avec une éventuelle normalisation des relations avec le nouveau régime syrien.
Cela suppose également un contrôle effectif des frontières libanaises, notamment avec la Syrie, à travers une démarcation frontalière officielle, un renforcement des postes de contrôle et une surveillance internationale des ports, de l’aéroport et des points de passage terrestres, estime-t-on de source citée plus haut.
«Or, un tel processus ne saurait aboutir sans un accord politique global entre les composantes libanaises, dans le cadre d’un nouveau pacte national», souligne-t-on de même source. Celui-ci devrait affirmer clairement le monopole des armes par l’État et acter la fin de l’exception armée du Hezbollah. «Pour en garantir l’application, une sorte de tutelle diplomatique externe s’imposerait: les Nations unies, l’Union européenne, les États-Unis, la France mais aussi des acteurs arabes comme l’Égypte ou le Qatar pourraient jouer ce rôle de garants», poursuit-on.
En contrepartie, toujours selon l’expert, une levée progressive de certaines sanctions économiques, un soutien à la reconstruction et une reconnaissance du rôle politique du Hezbollah pourraient être négociés.
Il faut dire qu’un éventuel désarmement impliquerait aussi une transformation en profondeur du Hezbollah lui-même, même si d’un point de vue «idéologique», cela semble peu plausible. En renonçant à son bras militaire, la formation pourrait ainsi se repositionner comme acteur politique et social, et continuer à opérer dans les domaines de l’éducation, de la santé ou du développement, sous contrôle de l’État. «À l’image de la réinvention du Sinn Féin en Irlande du Nord, une mue politique du Hezbollah constituerait une porte de sortie honorable, évitant un affrontement direct tout en préservant sa base sociale», ajoute-t-on dans ce sens.
Aussi détaillés et encadrés soient-ils, ces scénarios restent néanmoins tributaires d’un facteur décisif: la volonté, ou non, du Hezbollah (et plus largement de l’Iran) d’y souscrire, puisqu’au-delà des hypothèses théoriques, une question essentielle demeure en suspens et conditionne toute avancée réelle sur le terrain.
Peut-on vraiment s’attendre à une remise volontaire des armes?
La réponse courte est non, lance le général à la retraite et directeur général du Forum régional de consultation et d'études (RFSC) Khaled Hamadé, interrogé par Ici Beyrouth. L’intransigeance du Hezbollah reste intacte. Son secrétaire général, Naïm Qassem, tout comme le mufti jaafarite, cheikh Ahmad Kabalan, continuent de proclamer la «victoire» dans le sud et la «nécessité» de maintenir les armes comme «outil de protection du territoire libanais».
Dans un contexte de tension maximale avec Israël et d’intensification des frappes à la frontière sud, toute remise volontaire de l’arsenal semblerait donc exclue, comme l’avance le général Hamadé. Le Hezbollah se considère comme le garant de la défense du Liban face à Israël, et tout désarmement, fût-il partiel, est perçu dans sa rhétorique comme une atteinte à sa légitimité.
Un désarmement forcé alors? Un autre scénario nous conduirait à suggérer un désarmement coercitif du Hezbollah par l’État libanais ou par l’armée nationale, ce qui, en l’état, constitue une fiction dangereuse selon plusieurs observateurs. Non seulement parce que l’armée reste politiquement divisée sur la question et structurellement incapable d’affronter militairement le Hezbollah (étant mobilisée sur plusieurs fronts, dont la sécurité intérieure du pays qui, normalement est du ressort des Forces de sécurité intérieure), mais surtout parce qu’un tel scénario pourrait, selon certains, précipiter une guerre civile.
Le général Khaled Hamadé, met, dans ce sens, en garde. «Pour l’instant, il n’y a aucun signe qu’il y aura un plan exécutif pour confisquer ou se voir remettre les armes du Hezbollah ou celles des organisations palestiniennes. Toute discussion sur un calendrier de 120 jours n’a pas encore été traduite en mécanisme exécutif et est donc vaine», souligne-t-il. Il estime également que la tenue même de la réunion ministérielle prévue pour le mardi 5 août reste incertaine, tant que le président de la Chambre, Nabih Berry, (et le Hezbollah) n’ont pas officiellement adhéré à un tel processus. «Cela revient à dire que l’exécutif est soumis à l’autorité du législatif, ce qui est contraire à la Constitution», déplore-t-il.
Autres éventualités? Il n’est pas exclu que les autorités optent pour un lancement partiel du plan, notamment les deux premières phases, afin de donner un signal aux Américains et calmer leurs exigences, sans pour autant heurter frontalement le Hezbollah. Mais cette option pourrait être interprétée comme une manœuvre dilatoire, risquant d’exaspérer Washington.
En effet, les enjeux dépassent largement le cadre libanais. Selon le général Hamadé, l’échec de la réunion de mardi pourrait déclencher une série de réactions internationales, allant d’une modification du mandat de la Force intérimaire des Nations unies au Liban (Finul) jusqu’à des sanctions contre le Liban, voire son isolement diplomatique. «Le comité international de suivi pourrait geler ses travaux et les États-Unis pourraient encourager Israël à hausser le ton pour donner l’exemple de ce qu’il en coûte au Liban de ne pas agir.» Une escalade militaire au sud n’est donc pas à écarter, selon lui.
Dans cette optique, le général critique la position du président de la République et l’ambiguïté de M. Berry. «Ils tentent d’inventer des interprétations et des explications pour éviter d’agir, alors que la stabilité intérieure dépend de la stabilité extérieure. Il est inconcevable d’évoquer la souveraineté et la dignité diplomatique d’un pays soumis à des sanctions, à des milices armées et à une confiscation de la décision politique», lance le général Hamadé.
Aujourd’hui, l’heure est venue pour l’État de choisir, et pour les Libanais de voir si ce plan n’est qu’un nouvel écran de fumée… ou le début d’un retour à la souveraineté.
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