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Mener une offensive terrestre d’ampleur à Gaza ou se limiter à des incursions. La question semble, selon certains observateurs, tourmenter les milieux politiques et militaires israéliens. Un " brouillard de la guerre " plane sur l’État hébreu, comme l’affirme, dans une interview à Ici Beyrouth, Alain Bauer, responsable du Pôle Sécurité Défense Renseignement et professeur titulaire de la Chaire de Criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers.

Israël déploie de plus en plus ses troupes à Gaza. Une offensive terrestre " d’ampleur " aura-t-elle lieu ?

L’État-major et le gouvernement israéliens ont longuement hésité entre incursions, invasion et occupation. Après les massacres du 7 octobre et les opérations menées spécifiquement contre des bases militaires et des cibles civiles, puis les enlèvements, l’État hébreu a été confronté à la sidération, à laquelle s’est ajoutée une volonté de vengeance et de revanche. Israël a également subi la pression inédite de son opinion publique sur la question des otages ainsi que les divisions doctrinales au sein de l’état-major, à l’intérieur du cabinet de guerre, mais aussi entre les deux structures.

S’il existe naturellement un " brouillard " de la guerre et si les stratégies et tactiques peuvent évoluer rapidement en fonction des événements, la plupart de mes collègues israéliens semblent considérer qu’il existe un brouillard stratégique à Jérusalem.

Les houthis du Yémen ont annoncé mardi qu’ils se mêlent au conflit entre Israël et le Hamas. Cette implication entrainera-t-elle celle d’autres pays arabes ?

Les houthis, le Hezbollah, les milices en Syrie ou en Irak, qui ne sont pas des États, et l’Iran devenu le maître du jeu dans la région, ont intérêt à des soutiens symboliques au Hamas, sans avoir décidé, du moins pour l’instant, d’aller plus loin.

Les Israéliens ont déclaré qu’ils se tourneront vers le Hezbollah, une fois qu’ils en auront fini avec le Hamas. Comment interpréter cela?

Il s’agit plus d’un message préventif que d’une intention structurée. Cela dépendra de ce qui se décidera à Téhéran sur un engagement plus fort du Hezbollah dans le conflit.

Quid du discours du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, attendu vendredi ?

Il ne faut surtout pas sous-estimer le contenu ciselé du message qui, au-delà des imprécations habituelles, fournira des éléments sur la nature exacte des limites de son engagement.

Le Liban est, comme souvent, tributaire de la décision du Hezbollah et de l’Iran. Pour l’instant, malgré les combats, la diplomatie continue de s’activer, notamment à Doha. L’Arabie saoudite tente aussi de jouer un rôle.

Qui sont les principaux acteurs des négociations en cours ? À quoi pourraient-elles aboutir ?

C’est un sujet dont on parle après, pas pendant. Il y a beaucoup d’otages, cachés dans les souterrains, à sauver, auxquels s’ajoutent des centaines de milliers de Palestiniens, eux aussi pris en otages à ciel ouvert par le Hamas, qui sont à préserver.

Qu’est-ce qui pourrait mettre fin au conflit et comment, surtout que les Israéliens cherchent à faire oublier leur échec, le 7 octobre dernier ?

Au-delà de leur échec de préparation et d’analyse, c’est le trauma des massacres qui hante les Israéliens. Dans n’importe quel pays, la sauvagerie et la barbarie d’une attaque terroriste par nature provoque une réaction de rage qu’il faut savoir maîtriser.

Mais, il faut toujours penser à l’après et donc éviter que les dommages " collatéraux " deviennent si massifs qu’on oublierait les cibles principales. C’est le principal enjeu et la limite nécessaire des opérations à Gaza.

Quel serait le sort des Palestiniens, une fois l’objectif israélien atteint (s’il l’est) ?

Il faudrait identifier l’objectif stratégique d’Israël, car il faudra bien un État palestinien, une coexistence pacifique avec les États arabes, sortir intelligemment du piège tendu par le Hamas. Bref, retrouver le chemin de 1993 et du plan Wolfensohn, tendre la main à Riyad, avec l’Égypte et la Jordanie, le Qatar et les Émirats, donner un espoir aux Palestiniens et une garantie à Israël, sans oublier de reconstruire le Liban.

L’Occident a déjà beaucoup œuvré pour le chaos ambiant, il est temps de laisser les acteurs régionaux prendre la main.