©Ivan Debs
Un vieil homme qui regarde, désemparé, terrifié, au bout d’une nuit glaciale de janvier, le sens qu’il a assigné à son existence dévoré par les flammes et qui part en volutes de fumée.
Non, il ne s’agit pas d’une scène de Fahrenheit 451 de François Truffaut, de A Clockwork Orange de Stanley Kubrick ou de The Fisher King de Terry Gilliam. C’est arrivé près de chez vous… et pas sur grand écran. Parfois, l’imagination de la cruauté humaine est étonnante au point de dépasser la fiction. Quand on pense ainsi en avoir fait le tour, elle est capable de tromper votre lassitude en un tourne-main. Le génie du mal est décidément sans limites.
Si elle est emblématique de quelque chose, l’attaque gratuite perpétrée dans la nuit de jeudi à vendredi contre Mohammad Moghrabi, le bouquiniste des réprouvés qui a élu domicile sous le pont dit “Fiat”, montre à quel point la chute d’un pays dans l’abîme peut-être interminable.
L’effondrement de tout un édifice étatique et sociétal dans le cadre d’enjeux stratégiques, politiques, militaires et financiers ne peut être complet qu’une fois accompagné de son corollaire inévitable: la décadence culturelle et morale, la seule capable de faire vraiment régresser l’homme en le ramenant à l’état grégaire et primitif précédant la découverte du lien social organisé. Il n’est même plus question de despotisme ou de tyrannie, puisque ces régimes reposent quand même sur un ordre qui n’est même plus de mise au Liban.
Sous le couvert d’une hégémonie globale dont la clef de voûte est certainement les armes illégales, l’ensemble du pays est en effet abandonné à des hordes de malfaiteurs et de caïds de quartiers vénaux et cupides qui ont désormais rien moins qu’un droit de vie ou de mort sur les citoyens, puisque ces quelques hommes, dépourvus de tout mandat populaire et qui peuvent facilement se laisser guider par le strict appât du gain plutôt que par un idéal de solidarité ou d’empathie, tiennent désormais en mains tous les services dont l’État se désiste progressivement: l’électricité, l’eau, les carburants pour chauffer, les moyens de communication avec le monde extérieur, etc.
Il ne faut plus se leurrer: la crise est telle que ce n’est plus simplement l’ordre politique ou social qui est renversé, mais bien l’ordre de l’âme elle-même. C’est le sens même de l’existence qui est remis en cause, puisque le Libanais est réduit à une somme de réflexes de survie qu’il doit désormais répéter inlassablement comme un automate animé tant bien que mal par l’idée, jour après jour, qu’il doit tenir le cap pour voir le bout du tunnel.
Pendant ce temps, ceux qui président aux destinées du pays, retranchés dans leurs tours d’ivoires, ne font rien pour enrayer la dégringolade, mais persistent au contraire à répéter les mêmes schèmes égotistes qui feront s'enfoncer le pays d’un palier supplémentaire dans les neuf cercles concentriques de l’enfer.
L’acte innommable qui a visé le bouquiniste de fortune constitue un signe supplémentaire que l'antre de Méphistophélès n’est plus très loin, puisque ses hordes de monstres et de démons parcourent le pays en toute liberté – et, pire encore, qu’ils arrivent même à se matérialiser en chacun de nous en tant qu’éléments de reconstruction de notre propre écosystème social et politique.
Le “réensauvagement” est une tragédie libanaise en trois actes, dont le premier avait été la sinistre crise des déchets de 2015, le second l’immolation de Georges Zreik en février 2019 et le troisième, et sans doute le dernier, celui de l’agression d’un vieux monsieur touchant et lumineux, Mohammad Moghrabi, suivie d’un autodafé de sa source de force et de vie.
La seule consolation reste, en dépit de tout, ce pouvoir de transmutation du plomb en or qui continue d’animer certaines forces vives de la société civile libanaise, gardiens d’un temple précieux dont les piliers se fissurent toutefois les uns après les autres dans le désintérêt quasi général du monde entier. Ces “gens de bien” qui tentent de recréer les liens que tant de “responsables” s’amusent à défaire comme des enfants cruels, et qui représentent plus que jamais, loin des enjeux de pouvoir, l’âme restaurée du Liban de demain.
Non, il ne s’agit pas d’une scène de Fahrenheit 451 de François Truffaut, de A Clockwork Orange de Stanley Kubrick ou de The Fisher King de Terry Gilliam. C’est arrivé près de chez vous… et pas sur grand écran. Parfois, l’imagination de la cruauté humaine est étonnante au point de dépasser la fiction. Quand on pense ainsi en avoir fait le tour, elle est capable de tromper votre lassitude en un tourne-main. Le génie du mal est décidément sans limites.
Si elle est emblématique de quelque chose, l’attaque gratuite perpétrée dans la nuit de jeudi à vendredi contre Mohammad Moghrabi, le bouquiniste des réprouvés qui a élu domicile sous le pont dit “Fiat”, montre à quel point la chute d’un pays dans l’abîme peut-être interminable.
L’effondrement de tout un édifice étatique et sociétal dans le cadre d’enjeux stratégiques, politiques, militaires et financiers ne peut être complet qu’une fois accompagné de son corollaire inévitable: la décadence culturelle et morale, la seule capable de faire vraiment régresser l’homme en le ramenant à l’état grégaire et primitif précédant la découverte du lien social organisé. Il n’est même plus question de despotisme ou de tyrannie, puisque ces régimes reposent quand même sur un ordre qui n’est même plus de mise au Liban.
Sous le couvert d’une hégémonie globale dont la clef de voûte est certainement les armes illégales, l’ensemble du pays est en effet abandonné à des hordes de malfaiteurs et de caïds de quartiers vénaux et cupides qui ont désormais rien moins qu’un droit de vie ou de mort sur les citoyens, puisque ces quelques hommes, dépourvus de tout mandat populaire et qui peuvent facilement se laisser guider par le strict appât du gain plutôt que par un idéal de solidarité ou d’empathie, tiennent désormais en mains tous les services dont l’État se désiste progressivement: l’électricité, l’eau, les carburants pour chauffer, les moyens de communication avec le monde extérieur, etc.
Il ne faut plus se leurrer: la crise est telle que ce n’est plus simplement l’ordre politique ou social qui est renversé, mais bien l’ordre de l’âme elle-même. C’est le sens même de l’existence qui est remis en cause, puisque le Libanais est réduit à une somme de réflexes de survie qu’il doit désormais répéter inlassablement comme un automate animé tant bien que mal par l’idée, jour après jour, qu’il doit tenir le cap pour voir le bout du tunnel.
Pendant ce temps, ceux qui président aux destinées du pays, retranchés dans leurs tours d’ivoires, ne font rien pour enrayer la dégringolade, mais persistent au contraire à répéter les mêmes schèmes égotistes qui feront s'enfoncer le pays d’un palier supplémentaire dans les neuf cercles concentriques de l’enfer.
L’acte innommable qui a visé le bouquiniste de fortune constitue un signe supplémentaire que l'antre de Méphistophélès n’est plus très loin, puisque ses hordes de monstres et de démons parcourent le pays en toute liberté – et, pire encore, qu’ils arrivent même à se matérialiser en chacun de nous en tant qu’éléments de reconstruction de notre propre écosystème social et politique.
Le “réensauvagement” est une tragédie libanaise en trois actes, dont le premier avait été la sinistre crise des déchets de 2015, le second l’immolation de Georges Zreik en février 2019 et le troisième, et sans doute le dernier, celui de l’agression d’un vieux monsieur touchant et lumineux, Mohammad Moghrabi, suivie d’un autodafé de sa source de force et de vie.
La seule consolation reste, en dépit de tout, ce pouvoir de transmutation du plomb en or qui continue d’animer certaines forces vives de la société civile libanaise, gardiens d’un temple précieux dont les piliers se fissurent toutefois les uns après les autres dans le désintérêt quasi général du monde entier. Ces “gens de bien” qui tentent de recréer les liens que tant de “responsables” s’amusent à défaire comme des enfants cruels, et qui représentent plus que jamais, loin des enjeux de pouvoir, l’âme restaurée du Liban de demain.
Lire aussi
Commentaires