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Deux mois, jour pour jour, avant le départ à la retraite du commandant en chef de l’armée, le général Joseph Aoun, le 10 janvier prochain, il n’est pas encore certain quelle option sera retenue pour éviter une vacance à la tête de l’institution militaire. Il semble, toutefois, que l’on se dirige vers la désignation d’un chef d’état-major, censé assurer l’intérim en cas de vacance au commandement de l’armée, sachant que ce poste est vacant depuis décembre dernier. Les contacts qui s’intensifient entre les différentes parties pourraient également aboutir au report du départ à la retraite de Joseph Aoun.

La désignation du chef d’état-major, poste réservé à un druze, ainsi que le maintien du général Aoun à son poste pour une période supplémentaire, qui n’a pas encore été déterminée, seraient réalisés par le gouvernement, selon des sources informées.

Pour le poste de chef d’état-major, le nom de Hassane Audi, qui est l’officier druze le plus haut-gradé, circule. Il aurait la bénédiction du Parti socialiste progressiste et succèderait ainsi à Amin el-Orm, parti à la retraite le 24 décembre dernier. En cas de vacance à la tête de l’armée, le chef d’état-major, considéré comme le numéro 2 de l’institution militaire, assurerait l’intérim. Il y a d’ailleurs un précédent. L’ancien chef d’état-major, le général Chawki el-Masri, avait dirigé provisoirement l’armée après l’élection de Michel Sleiman à la présidence de la République en 2008, et avant la nomination du général Jean Kahwagi.

Cependant, même si ce scénario est le plus probable actuellement, il est loin d’être confirmé, et d’autres options restent ouvertes.

Initiative des Forces libanaises

Les Forces libanaises ont présenté la semaine dernière une proposition de loi revêtue du caractère de double urgence, faisant passer à 61 ans, au lieu de 60, l’âge de départ à la retraite de tout commandant en chef de l’armée. Les Forces libanaises ont expliqué que le texte vise à maintenir le général Joseph Aoun à son poste dans cette période critique au niveau politique et sécuritaire.

Cependant, la proposition n’a pas reçu un grand soutien de la part d’autres blocs parlementaires. Alors que le chef des Kataëb, Samy Gemayel, a lui-même porté un coup à cette initiative, en déclarant que toute solution devrait émaner du gouvernement et non du Parlement, certaines sources croient savoir que des discussions ont lieu entre les composantes de l’opposition souverainiste afin de coordonner les positions.

Le chef du Parlement, Nabih Berry, a rejeté l’idée de la tenue d’une séance avec un seul article à l’ordre du jour, surtout que le texte a été présenté par un bloc qui a refusé de participer à toute séance législative avant l’élection d’un chef de l’État. Le fait que la proposition de loi soit taillée à la mesure d’une seule personne, à savoir le général Aoun, a également été critiquée par certains blocs parlementaires.

Dans ce cadre, Ici Beyrouth a appris que le bloc de la Modération nationale (Liban-Nord, composé pour la plupart d’anciens haririens) présentera lundi une proposition de loi retardant le départ à la retraite de tous les chefs des services de sécurité.

Démarche aouniste

Par ailleurs, le chef du Courant patriotique libre, Gebran Bassil, aurait entrepris des contacts avec le Premier ministre sortant, Najib Mikati, et d’autres parties concernées, afin de pourvoir aux postes vacants au sein du conseil militaire, qui est l’organe qui prend les décisions au sein de l’armée. Le chef du courant aouniste aurait même suggéré la nomination par le Conseil des ministres d’un nouveau commandant en chef de l’armée et proposé des noms de candidats.

Le ministre de la Défense, Maurice Slim, proche du CPL, a démenti jeudi avoir remis au Premier ministre une liste de noms d’officiers. On rappelle que la prérogative de proposer des noms de candidats au conseil militaire revient au ministre de la Défense. Outre le poste de chef d’état-major, les postes d’inspecteur général (grec-orthodoxe) et de directeur général de l’administration (chiite) sont également vacants.

Selon des sources de l’opposition, la disposition de Gebran Bassil à procéder à de telles nominations, par un gouvernement d’expédition des affaires courantes, et dans un contexte de vacance présidentielle, est en totale contradiction avec toutes les prises de position du chef du CPL et de ses ministres à cet égard. Après avoir boycotté les séances du Conseil des ministres et qualifié chaque réunion et décision du Cabinet d’illégale et d’anticonstitutionnelle, le courant aouniste et son chef ne trouveraient aucun inconvénient à y prendre part, dans le simple but de se débarrasser de Joseph Aoun. Et cela, qui plus est, au moment où une guerre sanglante se déroule à Gaza et que les Libanais craignent qu’elle ne s’étende jusqu’au Liban.

Avant d’effectuer cette démarche, le CPL avait rejeté toute prorogation du mandat de Joseph Aoun, ou de report de son départ, rappelant qu’en cas de vacance, l’officier le plus haut gradé au sein du conseil militaire assure l’intérim. L’officier en question est Pierre Saab (grec-catholique), qui serait proche du CPL.

Cette option avait cependant été rejetée par plusieurs parties locales, mais également par certains pays étrangers, notamment les États-Unis, à en croire plusieurs sources. C’est sans doute cela qui a encouragé M. Bassil à rechercher une autre façon d’écarter Joseph Aoun, dont la présence à la tête de l’armée renforcerait ses chances d’être élu à la présidence et réduirait à néant celles du chef du CPL d’y accéder, actuellement et à l’avenir.

Package deal?

Dans les milieux de l’opposition souverainiste, certains craignent que Gebran Bassil soit en train de négocier un package deal avec les chefs du gouvernement et du Parlement, ainsi qu’avec le Hezbollah, pour faire nommer au sein du conseil militaire des officiers proches du CPL.

Dans une récente interview télévisée, l’ancien chef du Parti socialiste progressiste Walid Joumblatt a fait état, à sa façon, d’une coordination entre le chef du courant orange et le Hezbollah dans ce cadre. "Wafic Safa (le responsable de liaison et de coordination au sein du Hezbollah, NDLR) m’a appelé pour me dire de ne pas embarrasser Gebran Bassil", a lancé l’ancien député.

Est-ce parce qu’il bénéficie de l’appui du Hezbollah que le député de Batroun va même jusqu’à exiger les signatures des 24 ministres sur tout décret de nomination d’officiers, sous prétexte que cela était le cas lors de la précédente vacance présidentielle? Quoi qu’il en soit, il ne semble pas que cette demande sera satisfaite, à en croire des sources politiques.

Raï en faveur du maintien de Aoun

Dans ce contexte, le patriarche maronite, Béchara Raï, a clairement pris position, deux jours de suite, en faveur du maintien de Joseph Aoun à son poste. "Il est honteux d’évoquer la possibilité de ‘faire tomber’ le commandant en chef de l’armée au moment le plus crucial de l’histoire du Liban", a souligné le patriarche dans son homélie dimanche dernier, ajoutant que de telles velléités "portent atteinte à la détermination de l’institution militaire, source de confiance et de stabilité pour les citoyens, et qui a besoin d’un surcroît de soutien". Lundi, le patriarche a de nouveau martelé qu’il est impératif, "pour préserver la stabilité au Liban", de renforcer l’institution militaire et de "maintenir le commandement de l’armée en place jusqu’à l’élection d’un président de la République".

Cette option est fortement appuyée par certains pôles au sein de l’opposition souverainiste, qui craignent que le CPL et le Hezbollah n’imposent des officiers qui leur sont proches, afin de contrôler l’armée.

Même si un chef d’état-major est nommé, d’aucuns redoutent qu’en cas de vacance à la tête de l’armée, il ne puisse pas, en assurant l’intérim, exercer toutes les prérogatives du commandant en chef. D’ailleurs, Walid Joumblatt lui-même n’a pas caché qu’il préfère qu’un commandant en chef soit à la tête de l’armée, au lieu d’un intérim assuré par le chef d’état-major.