Nul ne saurait ignorer dans le contexte actuel qui sévit dans le pays que la crise profonde qui secoue le Liban du fait, entre autres, de la dépréciation à un rythme exponentiel de la monnaie nationale touche tous les Libanais. Elle se fait ressentir plus particulièrement au niveau du secteur public et, à l’évidence, parmi les fonctionnaires (dont de nombreux chiites) qui sont frappés de plein fouet par la chute drastique de leur pouvoir d’achat, à l’instar d’ailleurs de tous les salariés du privé dans l’ensemble des secteurs économiques.

Ce serait une lapalissade de préciser que cette grave crise a un caractère transnational, en ce sens qu’elle n’épargne aucune communauté, aucune région. Cela s’applique aussi sans l’ombre d’un doute aux milieux chiites. Force est de relever cependant que les cadres et les membres du Hezbollah perçoivent des salaires en dollars " frais ", ce qui ne manque pas de susciter depuis quelque temps un certain climat de tension ou de "jalousie" au sein du milieu sociocommunautaire dans lequel évolue le Hezbollah. Nombreux sont ceux dans la communauté chiite qui accusent désormais, de plus en plus ouvertement, les responsables et cadres du Hezbollah de ne pas se soucier outre mesure de la crise socio-économique, voire de souhaiter dans leurs prières la poursuite de l’envolée du dollar.

Une fissure grandit ainsi au niveau chiite entre ceux qui pâtissent de la forte dépréciation de la livre libanaise et ceux qui en profitent. Et sur ce plan, le Hezbollah se situe clairement dans le second camp, de sorte qu’il a perdu son statut de rassembleur au sein de sa communauté, son rôle d’acteur politico-militaire qui se place au-dessus de la mêlée pour être le porte-étendard des intérêts et droits de l’ensemble des chiites.

Ce clivage provoque un malaise certain qui va crescendo au fur et à mesure que la crise s’aggrave, en dépit des aides sociales ponctuelles accordées par le Hezbollah. De nombreuses voix s’élèvent au sein des milieux chiites pour souligner que ces aides ne constituent qu’un palliatif qui, de surcroît, n’est accordé que sur des bases partisanes et clientélistes. Une telle perception explique les premiers signes de contestation perceptibles dans les fiefs du Hezbollah, plus précisément au Liban-Sud et dans la Békaa, et même dans la banlieue-sud et à Beyrouth.

Cette fronde interne ne revêt pas un caractère idéologique ou politique, en ce sens qu’elle n’est pas le fruit d’une manipulation visant le parti chiite en tant que tel, mais elle est simplement le reflet de la crise socio-économique. Cela la rend plus difficilement contrôlable. Il en résulte que les voix contestatrices se font plus nombreuses.

Face à une telle situation, le Hezbollah a recours purement et simplement à l’intimidation et aux menaces pour faire taire tous ceux qui lui font assumer la responsabilité de la crise, au même titre que les autres pôles du pouvoir. Un facteur essentiel accroît sur ce plan la frustration au sein des milieux chiites: la politique de l’autruche pratiquée par le Hezbollah qui rejette la responsabilité de la crise sur le "blocus américain", en occultant de ce fait le rôle des hauts responsables qui, sous le poids de leur corruption et de leur affairisme aveugle, ont largement contribué à l’effondrement actuel. Le Hezbollah a été même jusqu’à défendre certains de ses alliés devenus symboles de la corruption, tels que les anciens ministres Ghazi Zeayter et Ali Hassan Khalil.

L’attitude de déni adoptée ainsi par la formation pro-iranienne a accentué la contestation ce qui a poussé le parti chiite à harceler et menacer directement les cadres chiites opposants dont certains ont été contraints de quitter le pays après avoir été avertis que leur vie était réellement en danger. Les plus "chanceux" sont invités par le parti à présenter des excuses publiques pour leur fronde. C’est le cas, notamment, d’un citoyen chiite qui est intervenu en direct lors d’une émission sur la chaîne du Hezbollah al-Manar au cours de laquelle un dignitaire religieux argumentait sur la nécessité de garder ou non la barbe… Le téléspectateur, qui s’est présenté comme étant un membre de la "résistance" (du Hezbollah), devait souligner sans ambages qu’il serait sans doute plus utile de débattre de la crise socio-économique et du chômage qui en découle plutôt que de la nécessité de maintenir ou non la barbe! Quelques jours plus tard, il était "invité" par le Hezbollah à intervenir sur la même chaîne pour s’excuser… de son audace!