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Comme toute idéologie marxiste, nazie ou wokiste mondialiste, l’arabisme est totalitaire et ne reconnaît ni la diversité ni le droit des minorités. Il ne peut écrire qu’une seule histoire et ne reconnaît qu’une seule langue. La Suisse a réussi à adopter 26 livres d’histoire afin de ménager la sensibilité de chacun de ses 26 cantons, ce qui lui a valu la paix, la stabilité et la prospérité. En contraste, le Liban continue de s’enliser dans l’utopie génocidaire de l’uniformisation.

Beaucoup d’encre a coulé au sujet du Liban supposé relier l’Orient à l’Occident. Des centaines de livres ont été écrits et réécrits pour penser et réinventer l’histoire de cette terre qui fut tantôt pays, tantôt province et tantôt montagne. Les dernières tentatives qui ont succédé à la création du Grand Liban en 1920, et surtout après sa dite indépendance en 1943, ont eu à cœur un objectif, celui de composer une histoire passepartout qui puisse seoir à toutes les composantes amassées dans cette nouvelle entité.

Le plus commode et convenable consistait à éviter justement de définir une identité culturelle spécifique. Il fallait donc concevoir l’entité libanaise comme une simple pièce de liaison entre d’autres cultures. Elle est un pont, un transmetteur, une porte d’un monde vers un autre. Pour cela, elle se doit d’être transparente, insipide, incolore et inodore. Elle est, comme dirait Georges Naccache, la somme des négations qui cherchent dans son incohérence, à réaliser une nation.

"The Great Eastern Question"

Dans son livre The Great Eastern Question – and The Strange Case of Lebanon, Iyad Georges Boustany a décidé de briser tous les tabous et de rédiger une histoire audacieuse du Liban. Celle-ci se décline au pluriel afin de raconter le Liban de chaque groupe organique désigné par "communauté". L’auteur s’attaque frontalement à la question sensible de l’identité, à un moment où la doxa occidentalisée bien-pensante diabolise cette valeur, la présentant comme l’ennemi de l’humanité et du progrès.

C’est une lecture inédite de l’histoire plurielle du Liban qui est décortiquée pour dévoiler les quatre romans nationaux élaborés durant des siècles. Le livre permet de comprendre chacun d’eux sans jugement aucun. Que ces interprétations de l’histoire soient scientifiquement correctes ou pas, cela ne nous importe guère, leur légitimité leur étant conférée par le groupe humain qui en fait son point de référence.

L’idéologie de l’uniformisation

Toute personne humaine a besoin de ses repères, et cela est encore plus vrai pour le groupe social. Le rejet idéologique de cette réalité organique est né en réaction aux atrocités de la Seconde Guerre mondiale et se voit aujourd’hui exacerbé par la doctrine wokiste qui voudrait assimiler l’égalité à l’uniformité. L’ouvrage dénonce ainsi les différents courants dogmatiques qui ont mené le Liban à sa perte, notamment l’idéologie arabiste. Il déconstruit ainsi le projet du père Yoakim Moubarac qui cherchait à établir un arabisme maronite en falsifiant l’histoire et la littérature de ce peuple.

Comme toute idéologie marxiste, nazie ou wokiste mondialiste, l’arabisme est totalitaire et ne reconnaît ni la diversité ni le droit des minorités. Il ne peut écrire qu’une seule histoire et ne reconnaît qu’une seule langue. La Suisse a réussi à adopter 26 livres d’histoire afin de ménager la sensibilité de chacun de ses 26 cantons, ce qui lui a valu la paix, la stabilité et la prospérité. En contraste, le Liban continue de s’enliser dans l’utopie génocidaire de l’uniformisation.

L’idéologie arabiste

Afin de soutenir sa thèse arabiste, le père Moubarac s’était appuyé sur un échantillon bien sélectionné d’auteurs maronites comme Boutros Boustany, Fares Chidiaq, Najib Azoury, Paul Noujeim et Choukri Ghanem. Or, pour être fidèles à leur arabité, Boutros Boustany et Fares Chidiaq se sont justement débarrassés de leur maronité. Le premier s’est converti au protestantisme comme Kamal Salibi, et le second à l’islam comme Michel Aflaq. Les citer dans le but d’étayer la thèse de l’arabisme maronite est une maladresse dichotomique puisqu’ils ont démontré l’incompatibilité de l’arabisme avec la maronité.

Quant à Najib Azoury et Paul Noujeim, Iyad Boustany constate qu’ils constituaient un tout aussi mauvais choix pour Moubarac, puisque le premier avait lui-même reconnu devant une commission française que la ligue d’arabistes qu’il prétendait représenter était en réalité inexistante. En bon intellectuel déconnecté de la réalité, il était francophone et c’est en français qu’il avait publié, en 1905, son ouvrage Le Réveil de la nation arabe. Tout aussi incohérent, Paul Noujeim, francophone signant du nom de Jouplain, est passé de son arabisme de 1908 au syrianisme en 1919, et ce après avoir imaginé, à la manière de Kamal Salibi, des origines arabes aux maronites.

Enfin, Choukri Ghanem a été catégorisé arabiste par le père Moubarac pour avoir seulement composé sa pièce Antar, jouée pour les cercles culturels parisiens de l’époque. Pour Iyad Georges Boustany, ceci reviendrait à faire de Pierre Corneille un Espagnol pour avoir écrit Le Cid et de Jean Racine un Grec pour avoir composé Andromaque.

L’idéologie élitiste

En plus de l’anglais, Gebran Khalil Gebran et Mikhael Naïmé ont largement écrit en arabe, ce qui a légitimé pour Yoakim Moubarac leur incorporation postérieure dans la mouvance arabiste. Cependant, le monde que ces auteurs ressentaient et décrivaient était centré sur le Mont-Liban, sur ses affinités et sur sa culture. Leur littérature était foncièrement levantine, méditerranéenne, chrétienne et montélibanaise. Elle n’a rien de transnational et rien d’arabe en dehors du choix de la langue.

L’élite d’intellectuels, qui a suivi le père Moubarac dans son idéologie d’un arabisme maronite, était, comme lui, francophone et jouissait des cercles parisiens férus d’orientalisme et déçus par la civilisation chrétienne accusée de tous les maux de la Seconde Guerre mondiale. Désirant plaire à la fois à l’Occident qu’elle cherche à mimer et à l’Orient arabe auquel elle se soumet, cette élite a falsifié son héritage et s’est déconnectée du peuple et de ses aspirations. C’est précisément là, lorsqu’une civilisation commence à interpréter son histoire à travers la lunette de son oppresseur, "qu’elle est mûre pour le suicide", lit-on alors dans The Great Eastern Question.

Fouad Ephrem Boustany, le grand-père de l’auteur, raconte l’excommunication du président Béchara el-Khoury par le patriarche Antonios Arida qui lui reprochait d’avoir introduit le Liban dans la Ligue arabe. Cette annexion, précise l’historien, s’était faite en contradiction avec toutes les données et valeurs culturelles, historiques, religieuses et socio-politiques, mettant en danger l’existence-même des chrétiens.

Les spécificités culturelles

Ayant rejeté l’hégémonie de l’arabisme abolisseur de toute forme de diversité, The Great Eastern Question commence à relater les quatre romans nationaux qui coexistent sur le territoire du Grand Liban. Pour reprendre Carl Schmitt, en établissant sa distinction de l’ami et de l’ennemi, chacune de ces quatre composantes, ou quatre nations organiques, exprime sa vision du monde héritée de son passé vécu et romancé, et de ses propres aspirations.

Il y va de même pour la notion tout à fait relative du souverainisme. Là où la présence française est considérée salvatrice pour les uns, elle est une occupation impérialiste pour les autres. La même logique s’applique aux forces syro-palestiniennes ou iraniennes. Les Croisades sont une aubaine pour les uns, un désastre pour les autres. La chute de Constantinople, en 1453, est une victoire pour les uns, une calamité pour les autres. Et ainsi de suite pour les conquêtes musulmanes, l’Andalousie, la Reconquista espagnole, l’Empire ottoman, la Ligue arabe…

Carte ottomane des populations du Levant.

Le pêché de 1926

L’arabisme ne pourrait jamais imposer son histoire du Liban et ne devrait pas le faire. Pas plus que le libanisme ou le phénicisme. Toutes ces idéologies tentent d’imposer un roman national unique, orienté dans le cas de l’arabisme et du phénicisme, insipide dans le cas du libanisme. La première idéologie a choisi l’Orient pour l’imposer à tous. La seconde a opté pour l’Occident sans consultation aucune. La troisième (le libanisme) a rejeté les deux, espérant que le jeu cruel des nations épargnerait celui qui se réduit à ne rien vouloir, et à n’être plus rien.

Loin d’être un État-nation, le Liban est un conglomérat de nations organiques reconnues durant quatre siècles par l’Empire ottoman sous le nom de millets. Ce terme a été fallacieusement traduit par communautés en 1926, faisant du patriote un sectaire. Prétendre aujourd’hui que le fractionnement du Liban est le résultat artificiel du régime communautaire reviendrait à dire que "c’est le chant du coq qui fait l’aube".

"L’existence d’une nation est un plébiscite de tous les jours", disait Ernest Renan. On ne peut enfermer les peuples dans une formule légale malgré eux, surtout lorsque, comme dirait Charles de Gaulle, le pays légal ne correspond pas au pays réel.

Couverture de l’ouvrage "The Great Eastern Question – and the Strange Case of Lebanon" par Iyad Georges Boustany.

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