Le Parlement a retardé d’un an le départ à la retraite des officiers au grade de général et de général de division.

Fin d’un suspense qui dure depuis la fin de l’été. En retardant d’un an le départ à la retraite du commandant en chef de l’armée et des deux directeurs des Forces de sécurité intérieure et de la Sûreté générale, les généraux Joseph Aoun, Imad Osman et Elias Baïssari, le Parlement a fait prévaloir la raison d’État, vendredi, et s’est posé en bouclier face à des tentatives déstabilisatrices soutenues, menées à des fins politiciennes intéressées.

Entraîné malgré lui dans un conflit militaire, au profit d’un agenda régional, le Liban ne pouvait pas se permettre un vide à la tête des forces régulières, amenées prochainement à jouer un rôle fondamental dans un Liban-Sud actuellement sous contrôle du Hezbollah.

Le sort du commandement de l’armée s’est retrouvé au cœur d’une polémique avec l’approche de la date du départ à la retraite du général Aoun, le 10 janvier 2024, alors que le Liban est sans président et sans gouvernement doté des pleins pouvoirs et que des tractations internationales sont menées pour une application de la résolution 1701 du Conseil de sécurité au Liban-Sud. Celle-ci, rappelle-t-on, prévoit le déploiement des Casques bleus de la Finul et de l’armée dans tout le secteur au sud du Litani.

Le déroulement de la troisième séance de la dernière réunion parlementaire de l’année a d’ailleurs mis en évidence un quasi-consensus politique autour d’un maintien du commandant de l’armée à son poste. Un consensus dont le CPL et le Hezbollah se sont écartés sans surprise: le premier parce que le maintien du général Aoun à la tête de l’armée compromet les ambitions politiques de son chef, Gebran Bassil, qui ne perçoit certains dossiers que sous le prisme de ses propres intérêts; le second à cause de considérations inhérentes à son conflit militaire actuel avec Israël et à l’application de la 1701.

Si le bloc parlementaire du CPL a boycotté la réunion, le Hezbollah s’est contenté de sortir de l’hémicycle juste avant que la Chambre ne s’attaque aux propositions de loi revêtues du double caractère d’urgence, portant amendement des mandats du chef de l’armée et des responsables de sécurité.

Dès que les députés de la formation pro-iranienne sont sortis, leurs collègues de l’opposition (qui boycottaient normalement les réunions convoquées en l’absence d’un président) ont aussitôt regagné leurs sièges dans l’hémicycle pour éviter un défaut de quorum.

Deux rythmes

Le consensus politique s’est dévoilé dans la gestion et l’évolution de la séance parlementaire, a relevé notre correspondante Place de l’Étoile, Rolla Beydoun. La séance de vendredi était très différente par son rythme de celle de jeudi qui évoluait lentement.

En moins d’une heure et demie, le Parlement avait achevé l’examen de son ordre du jour. Une proposition de loi sur l’autonomie de la justice a été renvoyée (pour la deuxième fois) au gouvernement en deux temps trois mouvements, à la demande du Premier ministre sortant, Najib Mikati, sans susciter, contrairement à l’accoutumée, de protestations parlementaires. L’autonomie de la justice est certes cruciale et incontournable, mais le Parlement devait parer au plus urgent, vendredi.

Le président de la Chambre, Nabih Berry, Najib Mikati et le vice-président du Parlement, Elias Bou Saab, pourtant hostile à un maintien du général Aoun à son poste, ont facilité l’évolution des débats vers un vote de la proposition de loi "retardant d’un an le départ à la retraite des officiers ayant grade de général ou de général de division, qu’ils soient titulaires ou par intérim", présentée par le bloc de la Modération nationale.

Au total, six propositions de lois, avec des formules plus ou moins différentes, avaient été soumises au Parlement, dans le seul but d’éviter un vide à la tête de l’armée. À la faveur de contacts intensifs entre les différentes composantes de l’opposition depuis que le gouvernement a décidé de reprendre le dossier en main, décision a été prise de retenir celle de la Modération nationale (Walid Baarini, Mohammad Sleiman, Ahmed el-Khair, Abdel-Aziz el-Samad, Sajih Attieh, et Ahmad Rustom).

L’intérêt de la formule proposée par ce bloc réside dans le fait qu’elle tient compte du principe de généralité d’une loi, au cas où le CPL présenterait devant le Conseil constitutionnel un recours contre le texte voté. En soirée, cette formation a annoncé qu’elle comptait le faire, estimant que le texte voté est taillé à la mesure d’une personne.

Hommages à l’armée

Au cours de la réunion, les blocs ayant présenté des propositions de lois similaires ont, à tour de rôle, annoncé vouloir retirer la leur en faveur de celle de la Modération nationale. Celle-ci a bénéficié de l’appui des Forces Libanaises, des Kataëb, du PSP, du Renouveau et de la nouvelle Coalition pour le changement (Waddah Sadek, Mark Daou et Michel Doueihy).

Lorsque le député Hadi Abou el-Hosn a pris la parole pour expliquer les raisons pour lesquelles le PSP souhaitait retirer la sienne en faveur de celle de la MN, un tonnerre d’applaudissements a ponctué ses propos au moment où il a salué "la loyauté des militaires". À plusieurs reprises, les parlementaires ont applaudi des commentaires sur les forces régulières, notamment lorsque M. Berry a fait remarquer, après le vote de la loi, que "tous les Libanais sont avec l’armée".

Hadi Abou el-Hosn a demandé que le gouvernement nomme, au cours de sa prochaine réunion, vendredi, un nouveau chef d’état-major, pour compléter le conseil militaire.

Elias Bou Saab a, pour sa part, insisté sur le fait que le Parlement était en train de légiférer pour une seule personne et a félicité la députée Sethrida Geagea (FL) pour la participation de son parti à la séance législative, alors que les FL boycottent toutes les réunions du Parlement qui ne doit, selon elles, se réunir que pour élire un président. "Ce sont les Libanais qu’il faut féliciter", a répliqué Mme Geagea, pendant que le vice-président de la Chambre soulignait que le Parlement "doit maintenant se réunir pour élire un président".

De son côté, le chef de la Commission parlementaire de l’administration et de la justice, Georges Adwane (FL), a félicité M. Berry pour la gestion de la séance parlementaire.

Jeu de rôles

Soit dit en passant, ce dernier n’a pas arrêté de taquiner les députés FL au cours des trois séances de jeudi et de vendredi. Ces derniers avaient accepté d’aller à l’encontre de leur position de principe, qui est de boycotter les réunions législatives, pour éviter un vide à la tête de l’armée. Ils étaient présents dans l’hémicycle, mais n’ont participé ni aux débats autour des textes de loi examinés, ni aux votes. Sourire aux lèvres, Nabih Berry leur lançait à tout bout de champ: "Et quel est l’avis des FL sur ce point"? Inlassablement, Georges Adwane répondait: "Nous ne participons pas au débat".

Après le vote de la proposition de loi de la Modération nationale, M. Berry a indiqué que "si le Parlement a retardé le départ à la retraite des généraux, c’est parce que le gouvernement n’a pas pris de décision à ce sujet".

Son explication n’est, en fait, que la partie émergée de l’iceberg. Selon diverses sources concordantes, le défaut de quorum, qui a empêché le Conseil des ministres de se réunir vendredi à 12h 30, était voulu.

Le dénouement du dossier du général Joseph Aoun a été rendu possible grâce à un jeu de rôles politique, auquel pratiquement toutes les principales composantes politiques ont pris part, pour finalement tenir à l’écart le CPL et l’empêcher de présenter un recours en invalidation qui aurait risqué d’être accepté, au moment où le Liban ne peut pas se permettre un vide à la tête de l’armée.

Quoi qu’il en soit, il est intéressant de relever que, pour la première fois depuis les législatives de mai 2022, l’opposition parlementaire a réussi à s’imposer dans une Chambre à la majorité variable. Une victoire de taille pour l’opposition, qui a surtout montré, vendredi, qu’elle est capable de constituer une majorité lorsque ses composantes unissent leurs forces.