Le bras de fer aura duré jusqu’au bout. Sous l’impulsion des députés du camp souverainiste – désigné par abus de langage «l’opposition» – les Libanais auront assisté à une très habile partie politique qui a marqué, vendredi, le sprint final ayant abouti au vote par le Parlement d’une proposition de loi ajournant d’un an le départ à la retraite des généraux et généraux de division en exercice. Il n’échappera à personne que le principal enjeu était, à l’évidence, le maintien du général Joseph Aoun à la tête du commandement de l’armée.
L’indéniable importance de ce vote se situe à un double niveau: l’attitude hautement responsable des formations souverainistes qui ont remarquablement mené le jeu au plan parlementaire pour aboutir à l’objectif escompté; et l’enjeu stratégique lié au futur rôle fondamental que la troupe devrait être appelée à jouer au cours de la prochaine étape en vue d’un retour à une application ferme de la résolution 1701 du Conseil de Sécurité.
Sur le plan stratégique, d’abord, le report du départ à la retraite du général Joseph Aoun revêt un caractère vital dans le contexte présent, à l’ombre de la guerre d’usure initiée au Liban-Sud par le Hezbollah et ses alliés fondamentalistes palestiniens, le Hamas et le Jihad islamique… Une guerre d’usure qui porte atteinte de plein fouet à la mission de la Finul. Ce dérapage militaire dans la zone d’opération des Casques Bleus, qui se poursuit à un rythme quotidien depuis l’attaque du 7 octobre à Gaza, ne peut se prolonger davantage sans faire courir de graves dangers à l’ensemble de la région. Diverses sources concordantes font état à cet égard de la détermination de la communauté internationale à obtenir un strict respect des dispositions de la 1701, de gré ou de force.
On chuchote dans les coulisses diplomatiques qu’un package deal géopolitique, sous l’égide américaine, serait concocté à plus ou moins brève échéance, prévoyant le repli de la milice du Hezbollah et consorts au nord du Litani, dans le cadre d’une pacification du Liban-Sud. Si ce plan se confirme, et se concrétise, l’armée sera appelée à jouer un rôle-clé aux côtés de la force onusienne. D’où la nécessité du maintien d’un commandant de l’armée qui soit crédible, qui ait fait ses preuves et qui inspire confiance à la communauté internationale.
Dans cette perspective de pacification de la zone Finul, le Hezbollah aurait préféré, certes, voir accéder aux commandes de la troupe un général qui lui soit «docile», pour mieux contrôler le champ d’opération au Sud. On pouvait s’attendre, de ce fait, à un fort appui du parti pro-iranien à la campagne tous azimuts menée contre le général Joseph Aoun par le chef du Courant patriotique libre, Gebrane Bassil. Or le Hezbollah ne s’est pas engagé sur cette voie, preuve que sa marge de manœuvre à ce propos était réduite et qu’il n’avait d’autre choix que d’accepter, sans doute à contrecœur, la prorogation du mandat de Joseph Aoun. Cela explique qu’il s’est abstenu de peser de tout son poids pour empêcher le vote intervenu vendredi, mais il a tenu quand même à exprimer ses fortes réserves à ce sujet, voire son opposition, en demandant à ses députés de se retirer de la séance parlementaire au moment du (bref) débat sur la prolongation du mandat du général Joseph Aoun et d’autres généraux.
Cet acquis est perçu comme un indice annonciateur du package qui pourrait poindre, tôt ou tard, à l’horizon. Pour s’en convaincre, il suffit de se livrer à un décryptage du jeu politique dont a été le théâtre la scène parlementaire ces derniers jours. Outre le fait que le Hezbollah s’est retiré au moment du vote sans saboter pour autant la séance, il est significatif que le bloc du mouvement Amal de Nabih Berry a contribué par sa présence dans l’hémicycle à obtenir le vote souhaité par la communauté internationale, mais également par Bkerké et le camp souverainiste, lequel est sorti grand gagnant de ce bras de fer, le grand perdant étant le chef du CPL.
Il n’est pas sans intérêt de relever en outre que ce résultat n’aurait pas été obtenu sans la performance des factions de l’opposition et leurs alliés. Une fois n’est pas coutume: une coopération savamment orchestrée s’est établie entre les Forces libanaises (principal élément-moteur de l’opération), le Parti socialiste progressiste, les Kataëb, le bloc du Renouveau (Michel Moawad, Achraf Rifi, Fouad Makhzoumi) et le boc de la Modération nationale (regroupant, notamment, les anciens députés et alliés haririens du Liban-Nord) qui ont réussi à accorder leurs violons pour obtenir le vote tant attendu.
Autre fait notable à enregistrer au crédit des grandes formations chrétiennes: se basant, à juste titre, sur la Raison d’État, les Forces libanaises, les Kataëb et d’autres députés indépendants (dont notamment Michel Moawad) ont dépassé leur refus de principe de participer à toute séance législative tant que la présidence de la République reste vacante. L’enjeu stratégique était, de fait, plus grand que les considérations communautaires, aussi légitimes soient-elles. Le président de la Chambre a manifestement exploité ce comportement responsable du camp souverainiste pour obtenir le vote d’une bonne dizaine de textes de loi avant d’en venir au cas des généraux. Jouant le jeu, les députés des Forces libanaises ont toutefois tenu à maintenir une cohérence dans leur ligne de conduite en s’abstenant de participer au débat et au vote des textes de loi inscrits à l’ordre du jour, hormis celui qui concernait directement le commandant de l’armée.
Les jeux sont donc faits. Place désormais à l’entreprise de pacification de la zone Finul. Il y a sur ce plan urgence afin que la population libanaise ne fasse pas, une fois de plus, les frais d’une guerre régionale qui ne peut être que stérile et sans horizons pour le pays du Cèdre.
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