Pour que le retrait de Saad Hariri de la vie politique ne soit pas irrévocable, Moustapha Allouche estime que " les règles du jeu doivent changer ", alors que Marwan Hamadé prévoit " après le message-ultimatum porté par les Koweïtiens au Liban, une série de bouleversements dont nul ne peut d’ores et déjà mesurer la portée ".

En tirant lundi sa révérence de la scène politique libanaise, dont il a été pendant 17 ans l’un des principaux acteurs, Saad Hariri a bouleversé le statu quo et suscité de nombreuses questions, notamment sur l’impact de cette décision sur le Liban, la communauté sunnite et les élections législatives prévues en mai prochain. Ce retrait de la vie politique est-il irrévocable et son annonce a-t-elle fortuitement coïncidé avec l’initiative koweïtienne ? Si certains, comme le vice-président du courant du Futur, Moustapha Allouche, estiment que " les règles du jeu doivent changer, et cela requiert une action interne et externe ", d’autres, comme l’ancien ministre et député Marwan Hamadé, prévoient " après le message-ultimatum porté par les Koweïtiens au Liban, une série de bouleversements dont nul ne peut d’ores et déjà mesurer la portée, et qui pourraient balayer l’échéance des élections législatives ".

Une chose est sûre, pour M. Allouche. Non seulement le courant du Futur ne présentera pas de candidats aux prochaines élections, comme l’a annoncé Saad Hariri, mais en plus, il n’appuiera aucune candidature. Quelles seront les conséquences d’une telle démarche sur la présence sunnite au Parlement ? " Nous ne savons pas ce qui va se passer, la décision est laissée à ceux qui vont se porter candidats ", indique l’ancien député du Futur, qui ne considère pas que le fait de laisser un tel vide est dangereux. " Le danger est là de toute façon. Toutes nos tentatives de jouer le jeu démocratique traditionnel ont échoué et ont abouti à un seul résultat : les gens nous blâment et nous accusent de faire partie de ceux qui ont détruit le pays ".

Dans ce cadre, M. Allouche invite " l’opposition, les forces du changement, et les autres " à changer la situation, ajoutant: " Nous, on reste hors de tout cela ".

L’absence de candidats du courant du Futur ne facilitera-t-elle pas l’élection de députés proches du Hezbollah ? " Probablement, mais qu’est-ce que cela va changer ? La force du Hezbollah ne découle pas de ses députés, mais de ses miliciens, et de la décision politique et financière qui vient de Téhéran ", selon M. Allouche.

Dans ces conditions, avoir un bloc parlementaire n’a plus une grande importance, selon lui. Le bloc du Futur " est passé de 33 députés à 20, et allait probablement se réduire encore plus. Quel impact aurions-nous eu ? " s’interroge Moustapha Allouche, en ajoutant: "Même quand nous avions 33 députés, nous n’avions pas réussi à avoir l’influence souhaitée. "

Désabusé, M. Allouche balaie tout rôle que son bloc aurait pu jouer, au niveau du blocage de certaines lois ou de l’adoption d’autres, en coordination avec des alliés. " Tous ce qu’on faisait, c’était de donner une légitimité démocratique à une situation non démocratique. On assurait une couverture à une situation anormale. Quant aux alliés, chacun se comportait à sa guise, seul de son côté. L’alliance ne tenait plus vraiment debout depuis 2009 ".

Hamade : Un tournant

De son côté, l’ancien ministre et député Marwan Hamadé estime que la décision annoncée lundi par Saad Hariri, " bien que l’on s’y attendait, n’a rien de banal. Au contraire, elle marque un tournant principal dans le combat qui oppose au Liban des forces prêtes à aller jusqu’au bout dans la défense de la souveraineté du pays, de sa démocratie et de son arabité, et celles d’obédience fasciste qui aspirent et œuvrent à changer la nature du pays, depuis son identité jusqu’à la dernière de ses institutions ".

M. Hamadé ne cache pas sa déception : " Je regrette que Saad Hariri se soit mis sur la touche à un moment où nous avions besoin, avec lui, de tous ceux qui n’abandonnent pas la lutte historique à la veille d’une élection sur laquelle les Libanais, de l’intérieur et de la diaspora, misaient pour contenir le raz-de-marée iranien facilité par les quelques fascistes de l’intérieur ".

Mais il refuse de baisser les bras : " Aujourd’hui, ce n’est pas un deuil que l’on doit porter, c’est un défi à relever, même si les conditions vont être plus pénibles ".

Pour ce qui est de l’impact de la décision de M. Hariri sur la communauté sunnite, M. Hamadé reste confiant : " La communauté sunnite, qui est une communauté non minoritaire, et qui n’a jamais eu le complexe des minorités, dans ce vaste espace islamo-sunnite, va devoir générer, à un rythme certes plus accéléré que prévu, de nouveaux dirigeants, porteurs des leçons du passé, mais aussi de la résilience des forces jeunes et vives du pays ".

Il rappelle dans ce cadre que " cette communauté est passée par des deuils historiques, Riad el-Solh, Rachid Karamé, Hassan Khaled et Rafic Hariri. Elle n’a pas pour autant disparu de la carte géopolitique du pays ".

M. Hamadé ne craint pas non plus une éventuelle radicalisation de la communauté sunnite après le retrait de Saad Hariri, symbole de la modération : " La radicalisation n’est pas l’apanage de la communauté sunnite, bien au contraire. Du Pacte national à l’accord de Taëf et jusqu’aujourd’hui, cette communauté a été beaucoup moins radicale que les chiites, les maronites et les druzes. Il faudrait plutôt s’inquiéter d’une poursuite de l’hérésie Michel Aoun (le président de la République) et de la folie dévorante du chiisme, version Téhéran ".

Décision irrévocable ?

Dans son discours lundi, l’ancien Premier ministre avait parlé d’une " suspension " de son action politique. Le choix de ce mot signifie-t-il que les choses pourraient changer et que cette décision n’est pas irrévocable ?

M. Allouche rappelle que Saad Hariri " a pris sa décision, et nous aussi ", mais ajoute : " Si cette démarche ne cause pas un choc sérieux, nous nous dirigeons vers un effondrement total et une désintégration ". Comment se traduirait ce choc ? " Les autres doivent prendre des décisions, mais tout est impossible en présence des armes du Hezbollah ", répond le responsable du courant haririen.

Il précise dans ce cadre que " les règles du jeu doivent changer, et cela requiert une action interne et externe ", rappelant que l’annonce de Saad Hariri a coïncidé avec " une fenêtre arabe qui a été ouverte aux forces politiques, une initiative à travers laquelle les pays du Golfe se sont dits disposés à tendre la main aux autorités libanaises si elles prennent les bonnes décisions. "

Soulignant la gravité de la situation, M. Allouche relève que ce qui est en jeu n’est pas le sort de Saad Hariri, mais celui du pays.

Pour sa part, M. Hamadé estime que la décision du leader sunnite " s’inscrit dans le cadre d’évènements locaux et régionaux dont la dynamique est difficile à prévoir mais dont le caractère dominant reste la violence du choc entre les Arabes, encore porteurs de ce nom et de cette tradition, et l’Empire perse ".

C’est pour cette raison qu’il s’attend " après le message-ultimatum porté par les Koweïtiens au Liban, à une série de bouleversements dont nul ne peut d’ores et déjà mesurer la portée, et qui pourraient balayer l’échéance législative ".

Un tel report ne serait-il pas grave, compte tenu des nombreuses crises auxquelles les Libanais font déjà face, et dont ils espèrent sortir notamment grâce au prochain scrutin ? " Ce serait encore plus grave qu’elles aient lieu et consacrent une majorité encore plus forte du Hezbollah ", souligne M. Hamadé.

La situation aujourd’hui, marquée par le boycott annoncé des législatives par le courant du Futur, lui rappelle-t-elle plus le climat politique avant les élections de 1992, auxquelles les forces chrétiennes de l’opposition avaient refusé de participer, ou plutôt celui de 2005, après l’assassinat de Rafic Hariri ?  " Il y a un forfait d’une grande communauté comme cela a été le cas en 1992, et un nouvel assassinat de ce pauvre Rafic Hariri ", souligne M. Hamadé, qui rappelle que " Saad restera pour moi le jeune frère, presque un fils, avec lequel nous avons partagé des moments tragiques, et surtout l’assassinat de son père, le combat pour le tribunal international, et la résistance à la déferlante du Hezbollah ".