Si Daech a tenté d'opérer un nettoyage ethnique sur la base du "takfirisme", le Hezbollah a élaboré la notion du "takhouinisme" (accusation de trahison) afin de soumettre le Liban, dans un climat de terreur. Tout chrétien est potentiellement un agent du sionisme. Le tribunal militaire est devenu l’outil d’oppression du Hezbollah. Tout accusé y est considéré coupable jusqu’à preuve du contraire, et il est traité comme tel. Avec les services de l’État que cette milice contrôle, avec ses médias et ses armées électroniques, elle a mis en place les outils de son idéologie.
Par sa mainmise sur le tribunal militaire, la «Résistance islamique» (le Hezbollah) a aboli le droit, la justice et la démocratie qui faisaient la particularité et la notoriété du Liban dans cette région du monde. Par la pression de ses armes illégales, cette milice a spolié l’État de ses fonctions régaliennes, usurpé les ministères, escroqué le trésor public et les fonds privés, et séquestré les institutions étatiques. Le Hezbollah a monté une véritable machine à oppression digne de la Gestapo et du KGB soviétique. Il a établi un engrenage parfait, formant une collaboration entre les différentes composantes de son plan de neutralisation des adversaires.
La chasse en trois phases
La première phase est prise en charge par ses satellites médiatiques, journaux et télévisions relayés par une fidèle armée électronique fanatisée. Le journal du parti a pour mission de monter un roman contre un opposant et d’établir le dossier correspondant. C’est lui qui distribue les données calomnieuses à l’armée électronique.
Dans un deuxième temps, les services de sécurité de l’État sont mobilisés. La proie est convoquée à d’interminables interrogatoires où les moindres détails de sa vie privée sont décortiqués avec un accès illimité à tous les réseaux sociaux, e-mails, messages privés, etc. Le journal du parti continue d’offrir ses services d’enquêteur tout en ramassant au passage les données les plus confidentielles obtenues par les services de l’État. C’est du donnant donnant dans une collaboration sans faille employant des magistrats et hommes politiques chrétiens bien disposés à servir de couverture à ces pratiques sectaires.
Cette chasse aux sorcières atteint sa phase finale dans la mobilisation de la justice, et plus précisément du tribunal militaire qui est une institution aux pouvoirs extraordinaires totalement déconnectée de la réalité sociale moderne et des droits les plus élémentaires de l’accusé. Ce dernier y est considéré coupable jusqu’à preuve du contraire, et il est traité comme tel. Il se retrouve ainsi soumis à une justice parallèle dans un monde parallèle où sa vie sociale est déjà détruite, indépendamment de l’issue du procès.
Le procédé est bien huilé sans faille aucune. Chaque partie prend le relais à son étape correspondante. Média, réseaux sociaux, services de sécurité de l’État, services du Hezbollah, justice militaire, tous ces acteurs jouent leur rôle en discréditant, calomniant, isolant, questionnant, jugeant et condamnant. Tout opposant à ce système est supprimé ou annihilé. C’est ainsi qu’en 2019, le procureur général près le tribunal militaire, Peter Germanos, qui avait remis en liberté le citoyen américain Amer Fakhoury, était contraint de démissionner et s’est vu remplacé par un homme plus en phase avec le Hezbollah.
La dictature islamiste
Par cette machine globale mise en place, le parti d’Allah réussit à intimider ses opposants, à terroriser ses adversaires et à instaurer l’autocensure qui est la forme la plus efficace de censure. Il a mis le Liban sur la voie de la dictature, en préparation d’un régime de plus en plus théocratique et islamisé. Nul n’ignore que c’est désormais le secrétaire général du Hezbollah qui décide de toutes les nominations jusqu’à celle du président de la République. Mais ce que l’opinion publique ne sait toujours pas, c’est le nombre considérable de personnes innocentes condamnées en cour martiale, et le nombre de vies brisées.
Ce tribunal est par essence martial et donc éphémère; il est militaire et ne peut donc juger des civils. Or ces derniers y sont traînés, interrogés, jugés et condamnés sans scrupule. Ce processus, quelle que soit son issue, pourvoit un terreau fertile pour leur liquidation soit physique, soit sociale à coups de calomnies et d’humiliations.
Intelligence avec l’ennemi
L’expérience a montré que l’intelligence avec l’ennemi est le propre du tissu social de la «résistance islamique», ce qui perturbe sérieusement les responsables acharnés à débusquer des «traîtres» parmi la société chrétienne. Et lorsque ces derniers ne semblent pas être disponibles, il convient d’en «fabriquer». Des journalistes sunnites et des militants chrétiens ont déjà servi d’exemples. J’en ai moi-même fait les frais en 2018.
C’est ainsi que la moindre photo prise auprès d’une Israélienne dans un concours de beauté, ou la moindre participation à un congrès culturel, linguistique ou artistique, auprès d’un groupe de jeunes israéliens (même chrétiens), peut coûter la prison. Lorsque, traumatisés, les chrétiens n’assurent même plus ce genre de «produit» sur le marché, le Hezbollah se tourne vers la dernière chance: le clergé qui se rend en Israël conformément aux clauses du droit libanais qui l’autorise.
C’est ainsi qu’en juillet 2022, l’archevêque maronite de Haïfa et de Terre Sainte, Mgr Moussa Hage, a subi un interrogatoire prolongé au poste frontalier de Naqoura et s’est vu confisquer les aides financières et les médicaments qu’il transportait ainsi que son téléphone portable, avant d’être convoqué à son tour au tribunal militaire.
Des groupuscules téléguidés
Aujourd’hui, c’est une double accusation que comporte une note d’information déposée par l’un des organes téléguidés par le Hezbollah. Elle accuse de «contacts avec l’ennemi» deux prélats qui ont juridiction sur la Terre Sainte: l’archevêque Moussa Hage lui-même, et son homologue Camille Semaan, vicaire patriarcal syriaque catholique.
Lors d’une interview accordée à Ici Beyrouth le 24 juillet 2022, Mgr Hage avait annoncé être conscient du caractère prémédité de ces exactions. Il a en outre explicitement dénoncé une volonté de persécution des chrétiens et de destruction systématique de toutes les institutions qui concrétisent leur présence. Pour lui, Bkerké est particulièrement visée car elle incarne non seulement l’espoir des chrétiens mais aussi celui des druzes et des musulmans désirant se libérer.
Le patriarche maronite Mgr Béchara Raï avait proclamé, lors de sa visite en Terre Sainte, qu’il s’agissait là de «nos terres historiques». Et Mgr Hage d’ajouter que la présence maronite remonte au VII° siècle et qu’elle avait prospéré sous les Croisades, et à nouveau avec les custodes Franciscains au XVI° siècle. À Haïfa, les maronites continuent de célébrer la messe annuelle en l’honneur de la France et de Louis IX, le saint patron de leur église.
Une justice à deux mesures
Des Israéliens musulmans peuvent se rendre au Liban pour donner des conférences. De nombreux musulmans et druzes servent dans l’armée israélienne. Le Hezbollah négocie avec Israël des «règles d’engagement» qui ne se discutent d’ordinaire qu’entre armées alliées. Le Hezbollah concède à Israël des champs gaziers entiers dans des conditions fort douteuses. Mais lorsqu’un chrétien poste une petite phrase sur sa page Facebook, il se retrouve devant un interrogatoire musclé pimenté de menaces. Les combattants chiites de l’Armée du Liban Sud sont rentrés d’Israël pour regagner leurs villages, alors qu’une enfant chrétienne née après la guerre est toujours condamnée.
La volonté d’isoler les Libanais en général et les chrétiens en particulier, de les couper de leur environnement, de leur histoire, de leurs racines, de leur espace vital et de leur vocation universelle, ne laisse plus de doute. Mais il y a aussi un processus vicieux qui cherche à les soumettre et à les persécuter en remplaçant le takhfirisme (l’anathème) de Daech et d’Al-Qaida par le takhuinisme (les accusations de «trahison») du Hezbollah.
Pour cette formation pro-iranienne, tout chrétien est «potentiellement un traître à la nation arabe et un agent du sionisme». Cette logique permet de le recaler à un statut de citoyen de seconde zone, ne jouissant pas des mêmes droits et privilèges que ceux des djihadistes élevés au rang de «résistants».
L’ennemi épouvantail
Toute opposition au projet de sape des fondements de l’État libanais, de l’économie ou de l’identité culturelle et pluraliste des Libanais est confrontée à une pluie d’accusations et menacée de comparution devant la «cour martiale», pour incitation à la guerre civile ou pour haute trahison et intelligence avec l’ennemi sioniste. À la manière de Djamal Pacha qui, dans son tribunal militaire d’Aley, brandissait constamment l’épouvantail de l’ennemi français lors du génocide de 1914-18, le Hezbollah se sert d’une justice taillée à sa mesure pour terroriser, soumettre ou pousser à l’exil tout ce qui ne correspond pas à la nature de sa république.
Il arrive souvent que la proie obtienne un acquittement et qu’elle soit reconnue innocente après des mois de torture ou d’enfermement dans des conditions inhumaines. Mais le but est atteint. La victime, bien que manifestement innocente du crime qui lui est reproché, et bien que relâchée, devait payer cher afin d’apprendre à restreindre sa liberté de parole. Il est grand temps que l’Église, les partis souverainistes et les députés chrétiens dénoncent haut et fort, devant les instances internationales, de tels agissements sectaires, fascistes et fanatiques.
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