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Est-ce un pas de géant sur la voie d’une possible escalade militaire que les Services israéliens ont franchi mardi soir? La question est sur toutes les lèvres après que l’État hébreu a mené, pour la première fois depuis 2006, une attaque aérienne (au drone) en pleine banlieue-sud de Beyrouth, où le vice-président du Bureau politique et "numéro deux" du Hamas, Saleh el-Arouri, a été tué sur le coup en même temps que deux autres hauts responsables de l’organisation fondamentaliste palestinienne.

Le raid aérien a visé par un tir direct, de plein fouet, une permanence du Hamas où se trouvait la victime qui était, fait notable, l’un des fondateurs du bras armé du Hamas ("kataëb el-Qassam"), certaines sources allant jusqu’à affirmer qu’il était l’un des cerveaux de l’opération du 7 octobre dernier. Il était surtout connu pour être, au nom de son organisation, le principal interlocuteur du secrétaire général du Hezbollah, Hassan Nasrallah, avec qui il devait d’ailleurs tenir une réunion mercredi, 3 janvier.

Israël a donc frappé un grand coup en plein fief du parti pro-iranien, quelques jours après l’assassinat au cœur de la capitale syrienne d’un haut dirigeant des Gardiens de la Révolution iranienne, Reza Mousawi, et après le dernier raid aérien à la périphérie de l’aéroport de Damas qui aurait également tué des responsables des pasdaran. Ce genre d’attaques et de liquidations est prévisible, il faut l’admettre, à l’ombre de l’actuelle guerre ouverte que se livrent l’État hébreu et les suppôts de Téhéran – Hamas et Hezbollah en tête.

Ce qui confère une dimension particulière au raid de mardi soir, ce sont, certes, son caractère spectaculaire ainsi que l’importance de la cible qu’il a visée, mais c’est surtout aussi le fait qu’il est intervenu à un moment particulièrement délicat et crucial du conflit dévastateur de Gaza. L’Égypte, soutenue en cela par le Qatar qui fait office de médiateur avec l’Iran, a entrepris récemment des pourparlers au Caire avec les dirigeants du Hamas afin de mettre sur les rails un processus de solution politique par étapes avec Israël. L’initiative égyptienne est complémentaire d’une démarche plus globale initiée en coulisses par Washington en vue de concrétiser sur des bases solides le projet de règlement en gestation. Dans l’immédiat, l’assassinat du "numéro deux" de l’organisation palestinienne amènera en toute vraisemblance le directoire du Hamas à suspendre les pourparlers politiques qui ont été entamés avec l’Égypte, de la même façon que l’attaque meurtrière du 7 octobre avait gelé la normalisation qui s’accélérait entre l’Arabie saoudite et Israël.

Cela ne signifie pas nécessairement que le Liban et la région sont irrémédiablement à la veille d’une guerre à grande échelle, échappant à tout contrôle. La République islamique, d’abord, n’a pas besoin politiquement de s’engager dans un conflit généralisé du fait qu’elle a atteint le 7 octobre son objectif stratégique, à savoir "rappeler" aux décideurs régionaux et internationaux que son rôle en tant qu’acteur incontournable ne peut pas être occulté. Ce but ayant été atteint, pourquoi devrait-elle courir le risque d’affaiblir et d’ébranler son principal instrument de puissance au bord de la Méditerranée, le Hezbollah, en l’entrainant dans une guerre totale?

Pour autant, un bras de fer politico-militaire est bel et bien engagé. Mais il est nécessaire à cet égard de faire preuve de discernement. L’enjeu, aujourd’hui, est d’éliminer, ou à défaut de marginaliser au maximum, le Hamas qui cherche à s’imposer en principal représentant et interlocuteur des Palestiniens, en lieu et place de l’Autorité palestinienne et du Fateh. Cet enjeu ne concerne pas directement le Hezbollah. Le conseiller du Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou ainsi que l’armée israélienne ont d’ailleurs bien précisé à l’unisson que l’opération de mardi soir n’était dirigée ni contre le gouvernement libanais ni, surtout, contre le Hezbollah. À bon entendeur… 

Il reste que l’attaque israélienne en pleine banlieue-sud représente un message à plusieurs facettes, dans plus d’une direction. Un message au Hamas, évidemment, en réaffirmant que la guerre qui lui est livrée est, elle, totale et ne connaît pas de frontières, en ce sens que ses dirigeants seront atteints où qu’ils se trouvent. Au Hezbollah, ensuite, en mettant en relief que les Services israéliens sont capables de frapper au cœur même de son bastion, la banlieue-sud, s’il ne jugule pas ses ardeurs militaires dans la zone Finul. Et à l’Iran, enfin, en dressant par le feu et par le sang des limites à son expansionnisme débordant. La multiplication des récentes frappes israéliennes contre les pasdaran en Syrie s’inscrivent à l’évidence dans ce cadre.

Une source américaine citée par le New York Times a indiqué, noir sur blanc, que l’assassinat de Saleh el-Arouri représente le coup d’envoi de "plusieurs opérations qui seront exécutées par Israël". Il s’agirait d’opérations ponctuelles, minutieusement bien ciblées, à l’instar de celle menée dans la banlieue-sud. Le directoire du Hamas ripostera en suspendant les discussions avec Le Caire? Mais c’est précisément l’objectif recherché. Le règlement global qui semble être concocté dans plus d’une capitale arabe et internationale nécessite en effet l’implication d’un leadership palestinien modéré et pragmatique, d’autant que le règlement à ce stade dépasse le cas précis de Gaza et prévoit, à moyen terme, la solution globale à deux États. En clair, un retour à l’esprit du processus d’Oslo, torpillé au milieu des années 1990 par ce même Hamas (et par l’extrême droite israélienne).

Cependant, dans une région aussi complexe et trouble que le Moyen-Orient, il ne faudrait pas aller trop vite en besogne et vendre de façon prématurée la peau de l’ours… Dans l’immédiat, il faut s’attendre, d’abord, à des discours incendiaires, sans retenue. Mais les peuples arabes et les Libanais sont depuis fort longtemps familiers de telles gesticulations médiatiques stériles et sans horizon. Sur le terrain, une escalade dans les escarmouches et les tirs d’artillerie le long de la frontière sud, accompagnée sans doute, plus loin de nous, de tirs de missiles contre Tel-Aviv ou d’autres localités israéliennes, sont à prévoir. Mais il ne s’agira en toute vraisemblance que de dérapages contrôlés. La décision d’engager une guerre générale est en effet essentiellement politique, prise au niveau des grands acteurs régionaux et internationaux, en l’occurrence, dans notre cas précis, par les États-Unis, Israël et l’Iran.   

Une grande inconnue persiste, malgré tout: les extrémistes et les courants radicaux représentés par l’extrême droite israélienne, les pasdaran et les fondamentalistes palestiniens, possèdent-ils toujours une forte capacité de nuisance qui risquerait de plonger la région dans une folle aventure guerrière aux retombées à peine prévisibles? La réponse est tributaire aujourd’hui, plus que jamais, d’un nécessaire sursaut salvateur des dirigeants pragmatiques arabes, palestiniens et israéliens.

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