À la tribune du Parlement, les interventions se sont succédé lors de la deuxième journée du débat budgétaire. Une quarantaine de députés devraient s’exprimer au sujet du projet de loi de finances pour 2024, avant l’examen et le vote du texte, en principe jeudi soir.

Dans la matinée de jeudi, quinze parlementaires ont pris la parole. À l’exception d’Alain Aoun, député du Courant patriotique libre et membre de la commission parlementaire des Finances et du Budget, les députés qui se sont succédé à la tribune sont issus des Forces libanaises, du parti Kataëb et du Parti socialiste progressiste, en plus d’indépendants. Ils se sont majoritairement opposés à la dernière mouture du budget, considérant qu’il est contraire à la Constitution parce que non accompagné d’une clôture des comptes. Ils ont également dénoncé les multiples lacunes que le texte comprend, à savoir l’absence d’un taux de change unifié, les salaires des fonctionnaires du secteur public, le sort des dépôts bancaires et l’imprécision des chiffres qui y figurent, en plus, bien entendu, de l’absence de toute vision économique, à court ou à moyen terme, pour un redressement.

Halima Kaakour, députée de la contestation, a affirmé qu’elle ne votera pas pour le budget tel qu’il a été élaboré, considérant qu’"il s’inscrit dans la continuité d’une approche politique et économique qui ne tient pas compte de la réalité sociale". Avec 77% d’impôts dits régressifs qui figurent dans le texte en question, Mme Kaakour a souligné que les "impôts sont, certes, nécessaires dans tout pays. Ils se doivent toutefois d’être progressifs, surtout que le Liban a perdu entre 8 et 12 milliards de dollars en raison du paiement des taxes au taux initial de 1.500 livres libanaises". Il convient de souligner, dans ce contexte, qu’un impôt régressif est un impôt qui "prélève un pourcentage plus important des revenus des personnes à faible revenu que des personnes à revenu élevé. Il s’oppose à un impôt progressif, qui prélève un pourcentage plus important sur les revenus des personnes à revenus élevés".

Dénonçant le projet dans la forme et dans le fond, la députée a estimé que le texte "favorise l’effondrement du pays, empêche tout développement et protège ceux qui sont au pouvoir". La solution résiderait, d’après elle, dans "le développement d’une vision économique conforme au modèle économique auquel nous aspirons ".

De son côté, le député Alain Aoun s’est dit "surpris par la schizophrénie politique de certains députés qui se montrent favorables à une partie du budget, mais qui le rejettent en tant que tel, sous prétexte qu’il n’est pas accompagné d’une clôture des comptes". Regrettant le "courage" de l’ancien Premier ministre, Saad Hariri, dans "l’ouverture de brèches", M. Aoun a déclaré, dans le cadre d’un vibrant hommage à l’ancien chef du gouvernement, qui avait été pourtant combattu par son parti: "Si M. Hariri était présent aujourd’hui, l’équation aurait été très différente".  Et de pointer du doigt le gouvernement actuel de Najib Mikati, qui, "au lieu de lutter contre l’évasion fiscale, exerce des pressions sur ceux qui sont tenus de payer des taxes, les poussant ainsi à dissimuler délibérément une partie de leurs revenus ou de leur chiffre d’affaires".

Rejetant le projet de budget, Cynthia Zarazir (contestation) puis Razi Hajj (Forces libanaises) ont formulé les mêmes critiques que Halima Kaakour. M. Hajj a surnommé le texte "budget des 24 crimes", en référence aux 24 failles qu’il dit y avoir repérées.

La présidence de la République

Le comparant au budget 2022, le député indépendant Oussama Saad, a appelé les parlementaires à "abandonner le texte actuel", demandant au gouvernement de "revoir sa copie, surtout que le texte présente des défauts structurels". M. Saad a, par ailleurs, insisté sur la "nécessité d’élire un président de la République", poste vacant depuis le 31 octobre 2022, date de la fin du mandat de l’ancien chef de l’État, Michel Aoun. Paula Yaacoubian a abondé dans ce sens. "Il est du devoir des députés d’y procéder, loin de toute ingérence politique internationale et régionale", a martelé M. Saad. Il a par ailleurs insisté sur "l’importance d’une politique de défense pour le Liban", en commentant les affrontements dans le sud du pays, depuis le début de la guerre à Gaza, le 7 octobre dernier.

Pour sa part, Bilal Abdallah, député du PSP, a jugé crucial de procéder au "relèvement du salaire de base à 20 ou 30 millions de livres libanaises", ainsi que celui des "prestations de la Caisse nationale de sécurité sociale". Il a, dans ce contexte, regretté l’amendement, par la commission des Finances et du Budget, de l’article 94 du projet du budget, y relatif. En vertu de cet article, l’échange d’information entre le ministère des Finances et la CNSS est exigé, de sorte que le calcul des indemnités de fin de service puisse être calculé sur la base d’une déclaration transparente, par les employeurs, des revenus de leurs salariés.

"Je ne voterai pas pour ce budget", a, pour sa part, annoncé Salim Sayegh, député et vice-président du parti Kataëb. Il a justifié sa décision par le fait que le texte "reflète une réalité incorrecte et qu’il est dénué de toute perspective financière". D’après lui, "restaurer la légitimité de l’État à tous les niveaux constitue la porte d’entrée pour toute réforme". Il a, dans ce sens, indiqué que "la Constitution ne permet pas de s’engager dans la vie démocratique régulière en l’absence d’un président de la République".

Lors de son intervention, le député du bloc parlementaire de L’entente nationale, Fayçal Karamé s’est penché sur la situation au Liban-Sud, insistant sur la nécessité de tenir compte de "nos intérêts nationaux, mais aussi de l’hystérie israélienne dangereuse, lorsqu’il faut prendre position".

Contestant l’absence d’une clôture des comptes", M. Karamé a déclaré que cette "séance est censée être destinée, selon la Constitution, à l’élection d’un président de la République". Il a plaidé en faveur d’un dialogue pour sortir de toutes les crises". Dénonçant "l’évasion fiscale et la non-fiabilité des chiffres, notamment ceux relatifs aux recettes, qui figurent dans le budget", le député de Tripoli a mis l’accent sur la "difficulté de déterminer le taux de change pour le calcul des impôts et des taxes, en raison du processus de dollarisation quasi-totale de l’économie".

Pour le député du bloc parlementaire de la Coalition du changement, Mark Daou, "le projet de budget traduit le désistement du gouvernement de sa responsabilité nationale". Non favorable au texte, il a appelé à "la convocation de séances pour l’élection d’un chef de l’État, laquelle sera suivie de la formation d’un gouvernement". Il a, par ailleurs, pointé du doigt le fait que le gouvernement n’a pas prévu, dans sa mouture, un budget suffisant qui permettrait aux municipalités de mener à bien leur travail.

Le député ahbache Adnane Traboulsi a rejeté "l’introduction de taxes qui ne tiennent pas compte de la capacité des citoyens à supporter des charges supplémentaires" dans un contexte de crise aigüe. Il a, dans ce sens, indiqué que "le traitement fiscal des entreprises individuelles, tel qu’il a été présenté dans le budget, décourage tout investissement alors que le pays en a besoin".

De son côté, le député indépendant Bilal Hocheïmi a appelé "tous ceux qui veillent à l’intérêt du Liban à s’entendre sur un président de la République pour éviter que le pays s’enfonce davantage dans la crise qu’il traverse depuis 2019". Et M. Hocheïmi de qualifier à son tour le projet de budget de "contraire à la Constitution", soulignant la "différence flagrante entre le montant des recettes prévues dans le texte et celui transmis par le ministère des Finances".

"Discuter du budget à la lumière des circonstances que traverse le Liban est un luxe, et la mouture actuelle me semble meilleure de la précédente", a, pour sa part, affirmé le député indépendant Jihad Samad. Il a ajouté que "les salaires du secteur public doivent être entièrement revisités".

Évoquant "des pressions exercées sur les parlementaires", Nabil Bader, député indépendant, a dénoncé la menace selon laquelle "si le texte n’est pas approuvé, les salaires ne seront plus en mesure d’être payés aux fonctionnaires et les services publics se retrouveront à l’arrêt. D’autant plus qu’à défaut d’être approuvé par le Parlement, c’est le gouvernement qui publiera le budget par décret-loi".

Stigmatisant le clientélisme dans le pays et le refus du gouvernement de décréter l’état d’urgence au regard de la situation au Liban-Sud, Firas Hamdane, député de la contestation, a dit refuser de voter un budget "contraire à la Constitution", soulignant que la priorité est à "l’élection d’un président".

La séance a été levée à 14h. La quatrième reprendra à 18h, sans que le processus de vote soit garanti pour la journée.