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À Tripoli, ville ravagée par les divisions sectaires et la crise, l’ONG Women Alive mène une lutte tambour battant pour le droit des femmes et leur autonomisation. Le but: faire émerger une élite de femmes qui serait partie prenante du processus de paix et constituerait, à terme, la pierre angulaire d’un nouvel ordre social.

Entre spot télévisé diffusé en boucle sur des chaînes locales et affiches de sensibilisation ponctuant la route de Beyrouth à Tripoli, il est difficile de passer à côté de la campagne médiatique lancée récemment par l’ONG Women Alive et sponsorisée par le Fonds des femmes pour la paix et l’action humanitaire (WPHF). Servie par une scénographie percutante, dans laquelle l’actrice Bernadette Houdeib a gracieusement pris part, la vidéo, certes, met en avant l’action de l’organisation, mais elle promeut surtout un modèle de société inclusif dans lequel les femmes seraient des médiatrices au service de la sécurité et de la réconciliation sociale.

"Lors des combats qui ont fait rage entre les deux quartiers rivaux de Tripoli – Bab el-Tebbaneh et Jabal Mohsen –, les femmes ont clairement révélé leur leadership et leurs formidables aptitudes à travailler d’égal à égal avec les hommes pour consolider le processus de paix", rappelle d’emblée Ghenwa Schinder, co-fondatrice et directrice de Women Alive.

Cette habilité à réconcilier a d’ailleurs été consacrée en 2000 par l’adoption, à l’unanimité, par les 192 États membres de l’ONU, de la résolution 1325 qui a garanti la protection et la participation des femmes aux accords de paix. Le texte entérine un véritable tournant pour ces dernières, transformant dès lors leur image de victimes dans les situations de conflit en celle de participantes actives.

Mixité

C’est justement dans le cadre du projet visant à promouvoir la participation et l’engagement des femmes dans le processus de redressement et de consolidation de la paix, que le WPHF, en partenariat avec ONU femmes Liban, achemine depuis environ un an et demi les financements nécessaires à l’accroissement de la force de frappe de l’ONG sur le terrain. "Les fonds nous permettent de mettre en œuvre des programmes et des événements multiples qui ciblent la communauté dans son intégralité sans aucune distinction d’âge, de sexe, de nationalité ou de religion. Nos bénéficiaires viennent d’horizons socioculturels et professionnels variés", insiste Ghenwa Schinder.

Pour Carole Melhem, 23 ans, l’une des bénéficiaires, l’ONG joue un rôle unificateur dans une ville très morcelée. "Les formations réunissent des femmes de différentes régions avec chacune son vécu, ses a priori et ses blessures, certaines meurtries par la perte d’un fils ou d’un proche dans les conflits sectaires, confie-t-elle. Malgré tous les drames, elles n’abandonnent pas, conscientes de la portée de leur rôle et de leurs actions."

Si la participation des femmes et des filles demeure majoritaire, les hommes restent des alliés de poids pouvant aider à déconstruire les préjugés sexistes afin d’initier un changement pérenne dans les mentalités. "Ils bénéficient, eux aussi, des programmes, ainsi que les plus jeunes – étudiants ou collégiens – qui sont l’avenir de notre pays", souligne la co-fondatrice de l’ONG.

L’autonomisation, un enjeu crucial 

Militante de la première heure, Ghenwa Schinder est l’une des initiatrices du projet Women Alive, créé en avril 2021 pour répondre à la situation d’urgence des régions nord du pays dévastées par les crises financière et sanitaire. À Tripoli, le constat est sans appel: les violences basées sur le genre explosent, les femmes se retrouvent en première ligne face à la précarité. "Nous avons vite senti que la réponse adéquate passerait par le plaidoyer, raconte-t-elle. L’objectif est, en effet, de favoriser leur autonomie économique, sociale, psychologique et politique, leur faire prendre conscience de leurs droits et consolider ainsi leur rôle au sein de la communauté. Aujourd’hui, il n’est plus à démontrer que l’autonomisation des femmes génère un gain direct sur la croissance économique."

Lobbying 

Pionnière à Tripoli en matière d’engagement social et humanitaire pour l’égalité des genres – les autres organisations étant dans le caritatif – Women Alive va, dès sa genèse, faire feu de tout bois. "Les formations en leadership, les ateliers de travail, les tables rondes, les évènements communautaires, les séances de conscientisation ou encore de développement et de renforcement des capacités forment l’arsenal du processus de plaidoyer sur lequel nous nous appuyons", explique Ghenwa Schinder.

Même si ce travail d’autonomisation est crucial, il doit pour autant s’accompagner d’actions de réseautage et de lobbying soutenues en direction des décideurs et des acteurs clés de la société. "Le lobbying fait partie intégrante de la stratégie de plaidoyer, reprend la directrice de l’ONG. Il permet à nos études et recherches d’être publiées. Il nous donne également la possibilité de soumettre nos projets de loi réformatrice en faveur des droits des femmes et des filles et de convaincre les parties prenantes de les intégrer dans les législations futures." Car, pour accéder à l’égalité des sexes, il faut s’attaquer aux lois. Et dans un pays exsangue où les traditions patriarcales ont la vie dure, l’entreprise est un travail de longue haleine.

Soldates de la paix 

Outre les programmes phares d’autonomisation axés sur les violences sexistes (physiques, sexuelles ou d’ordre socio-économique), l’organisation dispense des modules spécialisés dans la consolidation de la paix qui initient les volontaires aux pratiques de règlement pacifique des conflits à travers la médiation. "Le but étant de donner aux femmes les outils nécessaires afin qu’elles puissent jouer pleinement leur rôle de médiatrices aussi bien dans leur foyer que dans des situations variées de la vie quotidienne", explique Ghenwa Schinder.

Une fois les certificats en poche, les volontaires endossent la mission d’organiser, à leur tour, des séances de conscientisation et, conjointement avec l’ONG, des événements communautaires. Au total, 61 femmes œuvrant pour l’égalité des genres et la consolidation de la paix à Tripoli ont été formées, 136 séances de conscientisation montées par leur entremise et 5 événements communautaires co-organisés avec l’ONG, au nombre desquels des tables rondes, des activités artistiques ou de développement de l’esprit d’équipe.

"En les engageant dans le processus de plaidoyer, l’ONG donne à ces femmes la satisfaction de se sentir utiles et leur confère, dans la foulée, une position renforcée au sein de leur communauté", souligne Ghenwa Schinder. À l’instar de Carole Melhem qui s’investit aujourd’hui pleinement dans ces rencontres. "Toutes les femmes et les filles devraient connaître leurs droits élémentaires, insiste-t-elle. En libérant leur potentiel, elles peuvent devenir des décideurs à part entière et faire entendre leur voix en faveur de la paix et de la cohésion sociale."

Si l’ONG fait aujourd’hui bouger les lignes, son action suscite également une levée de boucliers chez les groupes fondamentalistes, inquiets de perdre leur mainmise. Pour autant, ces incidents n’enrayent nullement la détermination de Ghenwa Schinder. À l’image des vaillantes soldates de la paix qu’elle promeut, la militante reste plus confiante que jamais. "Je crois profondément que la société civile a le pouvoir de changer les mentalités en place, abonde-t-elle. Prenez l’exemple des abus sexuels, le sujet était encore tabou il y a 15 ans. C’est grâce au travail acharné de la société civile que la parole a pu se libérer. On affronte aujourd’hui les causes pour pouvoir enfin trouver des solutions."