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Depuis l’opération surprise Déluge d’Al-Aqsa menée par le Hamas le 7 octobre dernier contre Israël, et la guerre destructrice lancée ensuite contre Gaza par Tel Aviv, le Liban-Sud vit sous forte tension avec un risque préoccupant d’escalade et d’embrasement. Cette situation a déclenché depuis quelque temps un ballet diplomatique dont l’objectif est double: rétablir le calme à la frontière sud et tenter, entre autres, de relancer les négociations sur les frontières terrestres.

L’émissaire présidentiel américain Amos Hochstein, qui s’était illustré dans les négociations maritimes entre les deux pays, est de nouveau à pied d’œuvre. Lors de ses rencontres avec les responsables libanais, il a été question de la mise en œuvre de la résolution 1701 du Conseil de sécurité (qui avait mis fin à la guerre 2006 entre le Hezbollah et Israël), des 13 points de désaccord frontaliers de la Ligne bleue tracée par l’ONU après le retrait Israélien en 2000, du point intermédiaire B1 sur la ligne de crête reliant Ras el-Naqoura au point BP1, des fermes de Chebaa et des collines de Kfarchouba occupées par Israël à la suite de la guerre des 6 jours en juin 1967, etc.

Tout ceci jette un relief particulier sur l’accord sur les frontières maritimes, précédemment conclu entre les deux pays et qui s’est caractérisé par de multiples failles qui méritent d’être rappelées.

Aussi bien au Liban qu’en Israël et aux États-Unis, cet accord signé le 27 octobre 2022 a été présenté comme un accomplissement historique et un grand succès.

Qu’en est-il en réalité, vu du côté libanais, et est-ce que cette affirmation résiste à un examen à la loupe de l’accord?

Le conflit à propos de la ligne de démarcation maritime entre le Liban et Israël durait depuis plus d’une douzaine d’années. Une guerre de positions les opposait avec, d’un côté, Israël qui réclamait en tant que frontière maritime nord la ligne 1 et, de l’autre, le Liban qui revendiquait la ligne 23 en tant que sa frontière sud. Ce sont ces deux lignes qui ont été à l’origine de la création de la zone disputée de 860 km².

L’ouverture des négociations indirectes le 14 octobre 2020 s’est faite sous l’égide des Nations unies et, pour les faciliter, deux médiateurs américains vont se succéder: John Desrocher puis Amos Hochstein. Dès le démarrage, le Liban a fait valoir une nouvelle ligne, la 29, qui lui donnait 1430 km² de plus de surface maritime. Et, il suffisait, pour l’acter officiellement auprès des Nations unies, d’amender le décret 6433 ayant instauré la ligne 23 en 2011. Malheureusement, les autorités politiques libanaises n’ont jamais entrepris cette démarche et la ligne 23 a été maintenue comme la ligne officielle.

Après différents soubresauts, un accord a pu être trouvé entre Israël et le Liban qui ont accepté tous les deux la ligne 23. Dans leurs communiqués de victoire respectifs, ce résultat a été qualifié d’"historique". Pour le premier, parce qu’il a signé avec un pays "ennemi", ce qui lui permet de sécuriser sa frontière nord et d’exploiter son gaz de Karish sans aucune entrave de la part du Hezbollah. Pour le second, parce qu’il a fait son entrée dans "le club des pays producteurs de gaz et de pétrole", ayant obtenu tout ce "qu’il a toujours réclamé", notamment pour "sauver l’économie du pays et le sortir des crises dans lesquelles il se débat".

Plusieurs mythes ont été propagés à propos de cet accord. En voici les cinq principaux avec des clarifications sur ce que chacun signifie précisément.

Mythe 1: "Cet accord va sauver le Liban et apporter prospérité et développement économique."

La réalité: Il n’y a aucun espoir de revenus avant 7 à 10 ans.

Réalisant à quel point la situation économique et financière est désastreuse au Liban, beaucoup le pressaient de signer un accord à n’importe quel prix. Or, tous les connaisseurs de ce type de dossier le savent bien, le Liban ne peut espérer des revenus de ses hydrocarbures que dans un horizon de sept à dix ans. Pour preuve, le premier forage dans Qana s’est avéré infructueux et il faut attendre entre six et douze mois avant de procéder à d’autres explorations. Une fois des ressources commercialement exploitables sont découvertes, il faut attendre autour de 3 ans avant d’envisager la phase de développement puis la phase d’exploitation.

Mythe 2: "Le Liban a obtenu tous ses droits en hydrocarbures."

La réalité: En s’abstenant de déposer la ligne 29 grâce à l’amendement du décret 6433, le Liban s’est privé d’une carte maîtresse qui lui aurait permis d’obtenir 500 à 700 km² de surface maritime supplémentaire.

Effectivement, la ligne 23 déposée aux Nations unies en 2011 a été obtenue. Mais correspondait-elle à tout ce à quoi le Liban pouvait aspirer? De toute évidence, non. En effet, il s’est avéré que le gouvernement avait entre les mains une étude de l’Institut hydrographique du Royaume-Uni (UKHO), affirmant qu’il pouvait aspirer à beaucoup plus mais que certains s’étaient empressés de le faire disparaître de la circulation. Et, cerise sur le gâteau, il a été découvert après coup que cette ligne avait été tracée par Israël en 2009 pour délimiter ses blocs nord. Trouvez l’erreur!

Pour rappel, un des points de désaccord portait sur l’effet à donner à l’îlot de Tekhelet sur la ligne de démarcation. Entre le Zéro effet de la ligne 29 et le plein effet de la ligne 1 et HOF, un expert accepté par les deux parties aurait pu transiger à 50%. Encore fallait-il avoir préalablement rendu cette ligne 29 officielle.

Mythe 3: "Qana appartient en totalité au Liban".

La réalité: Tout ce qui se situe au sud de la ligne 23 appartient à Israël.

Dire que le Liban peut effectuer des forages sur l’ensemble du champ gazier ne signifie pas pour autant que les revenus potentiels dégagés de son exploitation lui appartiennent.

D’ailleurs, l’accord mentionne "qu’Israël a des droits économiques dans le prospect". En outre, les phases de développement et d’exploitation sont assujetties à l’aboutissement de l’accord financier à négocier entre TotalEnergies, opérateur du bloc 9, et Israël. Ceci, dans les faits, accorde un droit de véto aux Israéliens susceptibles de mettre en péril l’exploitation de ce champ puisque cela dépend de leur bon vouloir. Donc, à ce stade, selon les lois et les pratiques internationales, ce qui se trouve au nord de la ligne 23 appartient au Liban, tandis que ce qui se trouve au sud de cette ligne appartient à Israël.

Mythe 4: Le Liban n’a pas cédé sur sa souveraineté.

La réalité: En confirmant le statu quo de la ligne des bouées, l’accord légitime l’occupation illégale de 2,25 km2 de surfaces maritimes par Israël.

Cette ligne avait été édifiée unilatéralement par Israël lors de son retrait du Liban en 2000. Malgré les dénégations des acteurs politiques affirmant "n’avoir fait aucune concession sur la ligne des bouées et que l’accord ne lui a donné aucune implication légale", celui-ci malheureusement légitime une infraction qui jusqu’alors n’était actée dans aucun document officiel.

L’occupation illégale pour des raisons de sécurité d’une partie du territoire libanais heurte de toute évidence l’intérêt de souveraineté du Liban.

Mythe 5: "L’accord va assurer sécurité et stabilité sur la frontière sud avec Israël."

La réalité: C’est le Hezbollah, et non pas les instances politiques libanaises, qui décide de la guerre ou de la paix dans cette région.

Les Libanais, et plus particulièrement les habitants du sud, épuisés après des décennies de violence et de destruction, ne pouvaient que se réjouir de voir s’éloigner le risque de guerre.

Malheureusement, bien que la sécurité et la stabilité des frontières constituent un intérêt commun pour le Liban et Israël, la frontière sud du pays a été immédiatement mise sous très haute tension depuis l’incursion du Hamas en Israël le 7 octobre. Les échanges de tirs entre le Hezbollah et Israël, bien que contenus, sont quotidiens. Personne ne peut prédire si le risque d’escalade et de dérapage vers une nouvelle guerre destructrice est sous contrôle. En ce qui concerne la guerre et la paix sur le territoire, les Libanais considèrent que les instances politiques sont aux abonnés absents.

En résumé, pour mieux faire accepter cet accord, les autorités politiques libanaises ont édulcoré la vérité sur son contenu et masqué les failles et les pièges qui l’entachaient. Et, bien que comportant certains aspects positifs, il est à considérer comme une occasion manquée, plutôt que comme une victoire clamée haut et fort par les dirigeants. L’une des failles est justement, dans la perspective des négociations terrestres à venir, le fait de ne pas avoir consacré Ras el-Naqoura, point de la frontière terrestre défini en 1923 par Paulet-Newcombe, comme le point de départ de la ligne de démarcation maritime entre les deux pays.

À l’occasion de la relance des négociations sur les frontières terrestres, les responsables politiques libanais sauront-ils tirer les enseignements de la négociation maritime pour éviter les manquements qui ont entaché la défense des intérêts légitimes et la souveraineté du Liban ?

*Auteur de: Occasion manquée? Les secrets des négociations maritimes Liban-Israël, éd Dar An Nahar, 2023